Réforme de l’AVS: deux décennies à rattraper

Yves Hulmann

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Pour Erich Meier, expert en prévoyance chez KPMG, une politique des petits pas offre davantage de possibilités de surmonter les blocages.

Réformer la prévoyance vieillesse est une tâche particulièrement ardue compte tenu des différents intérêts particuliers qui sont susceptibles de bloquer les efforts entrepris dans ce sens. Comment surmonter de tels blocages alors que le déficit de répartition de l’AVS tend à augmenter chaque année? Le point avec Erich Meier, responsable du centre de compétence Prévoyance chez KPMG Suisse, à l’occasion de la présentation la semaine dernière de la publication Clarity on Pensions consacrée à l’avenir de la prévoyance vieillesse.

Selon les estimations du centre de compétence Prévoyance de KPMG, le déficit de répartition de l’AVS pourrait atteindre 400 milliards de francs d’ici 2050 de manière cumulée, soit plus de 20 milliards par an au cours des trente prochaines années. Comment faut-il interpréter de tels chiffres?

Il s’agit d’une estimation qui repose sur l’observation de tendances déjà existantes - et qui part de l’hypothèse que l’on ne changerait rien au système de retraite actuel au cours des trente prochaines années. Ce n’est donc pas un pronostic au sens strict mais plutôt une estimation de ce qui se passerait en maintenant le système actuel compte tenu de différents paramètres comme le vieillissement de la population, les attentes de croissance économique, les taux d’intérêt, etc. Ces chiffres reposent néanmoins sur des tendances réelles: en Suisse, il y a 92% des personnes qui reçoivent davantage d’argent de l’AVS qu’ils y en ont versé. L’espérance de vie n’a cessé d’augmenter: en 1985, elle était en moyenne de 79,9 ans pour les hommes, alors qu’elle atteignait 85 ans en 2019. Chez les femmes, elle est passée de 84 ans à 87,7 ans. Les taux d’intérêt des obligations à dix ans de la Confédération s’élevaient à 4,8% en 1985, ils se situaient à -0,5% en 2019.

«Jusqu’à présent, les réformes ont consisté surtout à revoir à la hausse
les cotisations. Je ne pense pas que l’on pourra continuer sur cette voie.»

En outre, du côté des recettes du 1er pilier s’élevant à 59 milliards de francs, plus du tiers (34%) de celles-ci sont générées par l’Etat via la Confédération, la TVA et les cantons. S’agissant de l’AVS, les seules cotisations versées par les employés, les employeurs ou les indépendants, totalisant 39 milliards de francs, ne suffiraient pas à financer les dépenses de 44 milliards de l’AVS.

Face à ces déséquilibres, quelles solutions peuvent être envisagées?

De manière générale, la première chose est de mieux informer la population et de lui faire prendre connaissance de cette situation de déséquilibre, qui ne va bien sûr pas se résoudre par elle-même. Jusqu’à présent, les réformes ont consisté surtout à revoir à la hausse les cotisations. Je ne pense pas que l’on pourra continuer sur cette voie – augmenter les cotisations ne suffira pas. Du côté des prestations obtenues, il semble aussi exclu de diminuer le montant des rentes ou d’augmenter l’âge de départ à la retraite en raison de la faible acceptation de telles mesures sur le plan politique.

«Une réforme globale n’a guère de chance d’aboutir
en raison du grand nombre d’intérêts particuliers en jeu.»
Qu’est-ce qui aurait le plus de chance d’être accepté: plusieurs réformes par petites étapes ou un projet de grande envergure incluant une refonte du 1er pilier, voire même en combinaison avec celle du 2e pilier?

Une réforme globale n’a guère de chance d’aboutir en raison du grand nombre d’intérêts particuliers en jeu. Je considère qu’une politique de petits pas offre de plus grandes possibilités – alors que le temps presse. Nous avons déjà perdu deux décennies en la matière. L’important est à mon avis surtout que les différentes forces en présence, que ce soit du côté de la population ou des milieux politiques, aient conscience de la nécessité d’une réforme et ne se contentent pas de défendre leurs intérêts particuliers.

L’étude Clarity on Pensions aborde aussi le thème de la numérisation. Que peut-on en attendre s’agissant du système de retraites?

Dans l’ensemble, la numérisation contribuera à améliorer l’efficience des processus. En revanche, je ne m’attends pas à une disruption complète dans le domaine de la prévoyance. Une caisse de pension entièrement automatisée n’existe pas encore.

Dans quels domaines de la prévoyance, la numérisation peut-elle apporter le plus d’avantages – du côté des placements, avec des sortes de «robo advisor» pour la prévoyance ou du côté des processus de gestion en arrière-plan?

Je pense que c’est davantage le cas pour les processus de gestion. Gérer une caisse de pension ou de retraite est un travail hautement standardisé qui est souvent très similaire chez toutes les caisses de pension. Beaucoup de travail qui s’effectue en arrière-plan pourrait être beaucoup plus automatisé et standardisé. S’agissant des placements, le domaine de la prévoyance est très spécifique et il me paraît difficile de proposer des solutions d’investissement entièrement automatisé comme on le fait pour la clientèle privée.

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