Priorité à l’objectif

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Banquier privé et photographe? «Pourquoi pas», répond Michel Juvet.

«En photographie comme en finance, il faut arpenter le terrain et saisir l’instant» affirme Michel Juvet qui, en marge de ses devoirs d’Associé de la banque Bordier, vit une seconde passion depuis des années. Points communs: savoir se faire discret, savoir établir un rapport de confiance avec l’autre, savoir capturer les moments clés. Entretien.

C’est à l’issue d’un travail sur les femmes victimes de violence sexuelle en Afrique1 que vous avez publié pour la première fois. Comment devient-on photographe quand on est spécialiste de l’analyse économique?

Un peu par hasard. Le voyage en Afrique s’est déroulé dans le cadre d’une mission mandatée par le Conseil fédéral à laquelle j’ai participé en tant que membre de la Commission consultative de la coopération internationale. Je n’avais pas prévu de publier mais simplement de recueillir des témoignages, en mots et en images. La construction du livre n’est venue que par la suite.

En Suisse, ce sont vos photos du Paléo, diffusées par le magazine Bilan et réunies dans « Paléo : Portraits en pied » qui sont les plus connues du public. Mais vous avez aussi publié un ouvrage plus insolite, «La résurrection de Veremonda».

Encore un hasard, avec la rencontre fortuite en 2013 à Turin de trois personnages – un metteur en scène napolitain, un chef d’orchestre australien, un costumier romain - qui voulaient recréer un opéra du compositeur vénitien Francesco Cavalli, jamais produit depuis le 17ème siècle. Avec Allison Zurfluh, auteur des textes, nous avons suivi la reconstruction de l’œuvre de Rome à Milan et jusqu’au lever de rideau de la première à Charleston aux Etats-Unis. Une épopée qui s’est déroulée sur plus de huit mois.

Je vis chaque passion à fond mais chacune a son temps propre.
Comment concilier un tel engagement avec vos obligations de banquier?

En y consacrant mes vacances, mes week-ends et l’essentiel de mon temps libre. Je vis chaque passion à fond mais chacune a son temps propre. Notez que les deux partagent plus de points communs qu’on ne peut l’imaginer : une ouverture d’esprit permanente, l’aptitude à saisir l’inattendu. En photographie comme en finance, il faut arpenter le terrain et saisir l’instant. C’est le principe du chasseur. Toutefois, je ne suis réellement venu à la photographie qu’avec l’arrivée du numérique qui permet l’instantanéité. L’argentique, ses chambres noires et ses temps de développement: très peu pour moi.

Autre point de convergence peut-être ? C’est avec «London After Brexit» que vous deveniez lauréat du Mobile Photo Award 2016 (MPA), il y a deux ans.

Effectivement…

Tournons-nous maintenant vers ce qui reste votre premier centre d’intérêt. Comment voyez-vous la place de la Suisse dans l’univers financier international?

La Suisse reste le premier centre international en termes d’actifs sous gestion. Malgré Hong Kong, malgré Singapour. Elle a passé le cap difficile de la résolution du passé de manière inattendue et a franchi, quoi qu’en disent les mauvaises langues, une bonne partie des pièges qui lui ont été tendus, démontrant ainsi une excellente capacité de résistance et d’adaptation. Même si une grande partie des postes de travail ont été créés à l’étranger, les banques suisses continuent de croître. Tout comme les sociétés exportatrices et malgré le choc de la montée du franc.

La BNS va avoir fort à faire pour remonter les taux
sans impacter la croissance et l’immobilier.
Reste la révision du projet fiscal qui a peut-être usé la patience de certaines multinationales.

Là aussi, la situation évolue dans le bon sens, mais il y a d’autres enjeux aussi importants.

Quels sont-ils?

En termes de politique monétaire, la Suisse s’est adaptée aux taux de change défavorable. Désormais, avec une croissance forte et un taux d’inflation de l’ordre de 1%, la Banque nationale suisse va avoir fort à faire pour remonter les taux sans impacter la croissance et l’immobilier. Je pense que nous assisterons à une accélération du volet macro-prudentiel.

Les relations avec l’Union européenne vont-elles se bonifier?

Je ne m’attends à aucun accord pour faciliter l’ouverture du marché européen au secteur financier suisse. Il n’y aura pas de « passeport européen », malgré LSFin, malgré LEFin. Les relations avec l’UE restent une bouteille à encre. Tout autant que celles encore à définir avec la Grande-Bretagne. Reste à savoir si le délai supplémentaire accordé aux négociations entre l’UE et la Grande-Bretagne sera une opportunité pour la Suisse ou non. L’Europe change. L’ère des Juncker et des Moscovici est révolue. Les prochaines élections européennes mèneront à un assouplissement des politiques européennes qui lâcheront du lest sur les déficits budgétaires. Les populistes ont déjà, de fait, gagné une première bataille.

Les Suisses devront ré-identifier les capacités
de leurs clients à prendre des risques.
A propos de LSFin, quels changements attendre en Suisse?

C’est un vrai défi pour les Suisses qui devront revoir leur façon de travailler lors de la prochaine forte baisse des marchés et ré-identifier les capacités de leurs clients à prendre des risques. Avec ces nouvelles règles, la réaction des clients qui auront été amenés dans des zones de risque mal adaptées à leur connaissance des marchés et des produits sera bien plus violente qu’elle ne l’a été en 2008. Cette complexification exigera une formation continue dans la finance comme dans les autres métiers. C’est la raison pour laquelle je juge indispensable les cours tels que ceux dispensés par l’ISFB. D’autant que l’évolution ne se limitera pas à la réglementation. Avec l’arrivée de la fintech, ce sont des métiers qui vont disparaître et de nouveaux métiers qui vont naître dans la banque. Le dialogue tripartite entre Etat, banques et employés en matière de formation sera la clef des succès de l’avenir.

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London After Brexit ©Michel Juvet

 


1 «Même le ciel ne pleure plus : Violences sexuelles dans la région des Grands Lacs de l'Afrique de l'Est ; Portraits et regards», publié aux éditions Slatkine, a obtenu le Prix de la Société Littéraire en 2012. Les droits d’auteur sont entièrement versés à une association de soutien aux victimes.

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