Pour une gestion active et sans contrainte de la dette émergente

Anne Barrat

3 minutes de lecture

Deux conditions pour optimiser les avantages de la dette émergente, un must dans l’environnement actuel. Avec Damien Buchet de Principal Global Investors.

Finisterre Capital est la boutique du groupe Principal Global Investors créée en 2002 et entièrement dédiée à la dette émergente, qui affichait 3,7 milliards de dollars d’encours fin 2021. Son style est résolument une gestion de conviction et active, conçue pour performer en toutes saisons, particulièrement dans des conjonctures incertaines. Eclairage avec Damien Buchet Chief Investment Officer de Finisterre Capital.

La dette émergente semble être un sujet d’actualité. Au-delà des inquiétudes concernant l’Ukraine, la Chine et l’inflation globale, y aurait-il des facteurs positifs à considérer sur cette classe d’actifs?

Il est certain que l’environnement macro-économique global reste chahute y compris pour la plupart des pays émergents. Cependant, nombre de ces dynamiques négatives nous semble maintenant bien reflétées dans les valorisations de la dette locale, la dette externe en dollar ou des devises, et en tous cas, bien mieux que dans les classes d’actifs concurrentes telles que les crédits européens ou américains. En outre, le cycle inflationniste a débuté beaucoup plus tôt dans les émergents, poussant la plupart des banques centrales à réagir très tôt en resserrant leurs politiques monétaires dès le début 2021. Cela leur procure une protection au moment où la FED et la BCE commencent leur propre cycle de resserrement monétaire.  Même si l’inflation du prix des matières premières stratégiques – énergie, denrées alimentaires, métaux – reste un sujet pour nombre d’importateurs, il reste qu’une grande partie de notre univers est constituée d’exportateurs pour qui cela représente une manne en termes fiscaux et de balances extérieures. Enfin, la dette émergente dans son ensemble a été désertée par la plupart des investisseurs globaux depuis la crise de Covid, que ce soit pour les crédits émergents souverains et corporate en dollar, qui ont souffert de la concurrence des programmes d’achat d’actifs de la FED et la BCE favorisant les crédits développés, ou la dette locale, qui a vu les obligations domestiques chinoises drainer la plupart des flux disponibles, si bien que les taux de participation des étrangers dans les marchés obligataires locaux hors-Chine, sont revenus à des plus-bas historiques.

«Une gestion active et libre de contrainte permet au gérant de se libérer mentalement du carcan de l’indice et de prendre de meilleures décisions.»

Nous nous trouvons donc en présence d’une classe d’actif peu chère en termes absolus et relatifs, peu investie, à un moment où plusieurs catalyseurs positifs se mettent en place, à savoir un pic prochain des pressions inflationnistes, l’impact positif des matières premières sur plusieurs grandes régions émergentes, sans oublier un FMI beaucoup plus activiste et prêt à refinancer un certain nombre de pays en difficultés, du Sri Lanka, la Tunisie, l’Egypte ou l’Argentine.

Comment aborder les opportunités dans un environnement global qui demeure complexe ?

Seule une gestion active, déconnectée de la dictature des benchmarks, offre l’agilité nécessaire non seulement pour assurer une diversification fondamentale – en identifiant d’un côté les opportunités de rendement au long cours, celles, plus idiosyncratiques, liées à des événements ou situations spécifiques, de l’autre les opportunités de valeur relative, et pour gérer au jour le jour le momentum de marché, mais aussi pour anticiper les prochaines phases du cycle et être capable de se repositionner rapidement. Notre approche consiste à catégoriser nos investissements en fonction de quatre poches représentant différents moteurs de performance: la poche « Income », qui représente environ 60% de la performance à long terme, se compose d’actifs générateurs de rendement, dont la volatilité à court-terme est largement compensés par des flux de coupon généreux, une poche «Alpha», dédiée aux opportunités idiosyncratiques et de valeur relative pour une contribution d’environ 20%, une poche « Beta » pour capturer des tendances de marche avec des actifs volatils mais liquides, pour 20% environ, et un coussin de cash ou d’actifs défensifs pour gérer les retournements de marché. Cette approche nous permet d’alterner régulièrement les moteurs de performance en s’adaptant aux aléas du cycle de marché, avec un objectif prioritaire de capturer au moins 90% des hausses de marché tout en limitant la volatilité et la participation aux baisses (50% maximum). La possibilité de permuter de larges portions de portefeuille d’une poche à l’autre, et l’utilisation de dérivés simples à des fins de couverture, entraîne un niveau de «turnover» élevé (de 3 à 6 fois par an), mais qui se porte naturellement vers les actifs les plus liquides, en minimisant les couts de transactions. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: depuis 2013, date du lancement de la stratégie « EM Debt Total Return » de Finisterre Capital, cette asymétrie entre 90%, ou plus, des hausses, contre 50% des baisses, a presque toujours été respectée lors des multiples épisodes de marché. Cela s’est traduit par une surperformance moyenne de 2 à 3% par an, net de frais, par rapport à un investissement standard dans les trois indices de dette émergente (dette souveraine en USD, dette corporate en USD et dette en devises locale), avec une fraction de la volatilité de marché.

«Le principal reste d’anticiper la fin de la phase baissière actuelle et d’être prêt à se repositionner pour la prochaine phase du cycle..»
Cette approche sans contrainte permet-elle de mieux gérer les risques de défaut?

Une gestion active et libre de contrainte permet au gérant de se libérer mentalement du carcan de l’indice et de prendre de meilleures décisions. De ce fait, si nous avons la conviction que les fondamentaux d’un grand pays émergent se détériorent, nous n’aurons aucun état d’âme à n’avoir aucune position, voire à vendre à terme une devise ou bénéficier d’une hausse des taux d’intérêt en utilisant des dérivés simples et liquides. Cette attitude flexible quant à la prise de risque, nous a permis d’éviter ou de fortement limiter l’impact de la plupart des crises pays des dernières années, que ce soient des gains réalisés sur l’Argentine en 2019, nos très faibles pertes sur la Russie cette année, grâce à des positions vendeuses sur le Rouble, ou encore des profits réalisés en mars lors de la dévaluation de la Livre Egyptienne.

C’est donc le bon moment pour investir dans la dette émergente?

Nous n’avons pas de baguette magique pour prévoir le timing du marché. En revanche, notre stratégie vise à s’adapter à la plupart des conditions de marché. Dans la conjoncture actuelle, dominée par les incertitudes, le caractère défensif de notre approche permet à un investisseur de lisser son risque de «timing», tout en se positionnant pour une stabilisation et un rebond à venir. Les opportunités sont nombreuses et très diverses, des obligations longues en dollar ou en devises locales sur des courbes de taux ou de crédit déjà très pentues, en passant par les marchés frontières dopés par l’augmentation du prix des matières premières ou secourus par le FMI, traitant à des niveaux totalement décotés, tout en maintenant une duration de portefeuille très faible pour l’instant, en continuant à parier sur des hausses de taux aux Etats-Unis et en Asie notamment, que nous pourrons retourner rapidement le moment venu. Le principal reste d’anticiper la fin de la phase baissière actuelle et d’être prêt à se repositionner pour la prochaine phase du cycle.

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