Les pays émergents profiteront davantage de la sortie de pandémie

Yves Hulmann

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Pour Seema Shah de Principal Global Investors, le «re-opening trade» bénéficiera davantage aux marchés émergents qu’aux nations industrialisées.

Alors que la pandémie de coronavirus connaît une résurgence rapide en Europe, les programmes de vaccination commencent tout juste à être déployés dans certains pays émergents. Malgré les incertitudes liées à l’évolution de la pandémie suite à l’apparition d’un nouveau variant en Afrique australe, rien n’empêche de se projeter quelques mois à l’avenir.

Quelles seront alors les régions qui profiteront le plus de la reprise lorsque la pandémie sera à nouveau sous contrôle? Les marchés émergents, dont les cours n’ont pas encore autant intégré les anticipations de reprise qu’aux Etats-Unis et en Europe, auront alors une carte intéressante à jouer durant les prochains trimestres, anticipe Seema Shah, stratège globale en chef (Chief Global Strategist) chez Principal Global Investors (PGI).

Vous observez que les pays qui ont pu déployer le plus rapidement leurs programmes de vaccination auprès d’une large partie de la population, à l’exemple des Etats-Unis, ont aussi été ceux où l’économie a pu redémarrer le plus rapidement cette année. Sur la base de cette expérience, vous anticipez qu’un certain nombre de pays émergents – où les programmes de vaccination devraient atteindre le niveau critique requis d’ici fin 2021 – seront les régions les plus à même de profiter d’un «re-opening trade» au cours des prochains trimestres. Sur quoi se fonde cette analyse?

Après avoir été à la traîne de la reprise de l’économie globale jusqu’ici, plusieurs pays émergents sont sur le point de voir leur activité économique redémarrer. Cela devrait permettre aux investisseurs de jouer la carte d’une future réouverture des économies des pays émergents, ou «re-opening trade», comme on l’appelle en anglais.

Les sociétés de la «Big Tech» restent attrayantes compte tenu de la qualité de leurs bilans, de cash-flow positifs et de marges toujours attrayantes.
Cela signifie-t-il qu’il sera, comparativement, moins attrayant de continuer à investir dans les pays développés?

Non. Cela ne veut bien sûr pas dire que le moment est venu de revendre toutes ses actions de sociétés basées dans les économies développées. Simplement, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, le «re-opening trade» perd graduellement de son élan dans les économies des pays développées. Au cours des six prochains mois environ, cette fenêtre d’opportunité sera moins attrayante dans les marchés développés que dans les marchés émergents. Les Etats-Unis ont en premier profité de la réouverture de leur économie, suivis ensuite par l’Europe. Au cours des prochains trimestres, il sera temps pour les pays émergents de prendre le relais. Si l’on considère le cas des Etats-Unis, l’indice S&P 500 a déjà progressé de plus de 20% depuis le début de l’année. Certes, beaucoup d’entreprises dans les pays développés continueront aussi de tirer parti d’une réouverture de l’économie mais il deviendra, de manière générale, plus difficile pour les investisseurs de profiter d’une impulsion supplémentaire résultant de l’augmentation des taux de vaccination dans la population.

Et qu’en sera-t-il des actions des pays émergents?

Par contraste, les actions des pays émergents ont, elles, connu une évolution difficile tout au long de 2021, pénalisées notamment par les retards pris par les programmes de vaccination, à cause des résurgences de foyers de Covid-19 dans certaines régions ainsi qu’en raison des arrêts et redémarrages successifs de l’économie au gré des restrictions mises en place ou assouplies. Par ailleurs, la prise en compte d’une future réouverture des économies des pays émergents aura un effet bénéfique non seulement pour la partie consommation mais aussi pour la partie production, ce qui devrait à son tour contribuer à résorber les situations de pénuries observées dans toutes sortes de domaines.

Une des conséquences de la situation de pénurie qui prévaut dans toutes sortes de domaines est aussi son impact sur l’évolution des prix. Lorsque les programmes de vaccination auront été déployés d’un bout à l’autre de la planète, va-t-on alors voir l’inflation repartir à la baisse?

Oui, je pense que l’accélération des campagnes de vaccination sur le plan mondial devrait contribuer à faire reculer l’inflation dans une phase ultérieure. Dans un premier temps, ce n’est toutefois pas certain, car il se peut – comme on l’a vu aux Etats-Unis – que la forte reprise de la demande induise d’abord des tensions sur les prix. Ensuite, lorsque les chaînes d’approvisionnement fonctionneront à nouveau normalement, les pressions inflationnistes s’atténueront toutefois peu à peu.

Au regard de l’évolution du marché du travail aux Etats-Unis, la banque centrale fait preuve d’une certaine complaisance.
Vous mettez l’accent sur l’importance des progrès des campagnes de vaccination. Toutefois, on observe que le niveau de tolérance des gouvernements envers la pandémie varie beaucoup d’un pays à un autre. En Chine, une large partie de la population est vaccinée – pourtant, cela n’empêche pas le gouvernement de tout refermer dès que quelques dizaines de cas de Covid-19 apparaissent dans telle ou telle ville…

En Chine, le niveau de tolérance du gouvernement en la matière est bien sûr très différent de celui qui est observé en Europe ou aux Etats-Unis. Néanmoins, au fur et à mesure que les vaccinations se généraliseront dans toute l’Asie, cela aidera aussi la Chine à assouplir ses règles sur le plan sanitaire.

En supposant que tout se passe bien au début de 2022 et que la pandémie reflue rapidement à la fin de l’hiver, ne risquerait-on pas d’assister à une surchauffe de l’économie – qu’en serait-il du risque d’inflation induit par les salaires?

Dans un tel scénario de reprise, il y a effectivement un risque d’inflation dû aux salaires. Toutefois, jusqu’à présent, je crois qu’il s’agit d’un problème spécifique aux Etats-Unis. On observe aussi que le taux de participation au marché du travail a diminué outre-Atlantique. Il y a vraiment un manque de l’offre de personnel disponible dans de nombreux secteurs. Au regard de l’évolution du marché du travail aux Etats-Unis, la banque centrale fait preuve d’une certaine complaisance. Pour les investisseurs, la hausse des salaires se traduira aussi par des marges bénéficiaires plus réduites. S’agissant des valeurs cycliques, il pourrait y a avoir des opportunités d’investir dans des entreprises des pays émergents qui seront à même de profiter d’une réouverture de l’économie.

En termes sectoriels, y a-t-il des secteurs à favoriser ou au contraire à éviter?

En ce qui concerne les Etats-Unis, les sociétés de la «Big Tech» restent à mon avis attrayantes compte tenu de la qualité de leurs bilans, de cash-flow positifs et de marges toujours attrayantes. S’agissant des pays émergents, les entreprises liées à des secteurs tels que le transport aérien ou le tourisme ont encore un potentiel d’appréciation, même s’il faut rester prudent compte tenu des risques de ralentissement de la reprise en raison de l’évolution de la pandémie.

Pensez-vous à la Chine en particulier?

Il peut y avoir une phase de ralentissement de l’économie en Chine à cause de la pandémie. Toutefois, même dans un tel cas, l’économie chinoise continuerait de croître à un rythme soutenu.