Pas d’inflation, vraiment?

Nicolette de Joncaire

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«La hausse des prix a dépassé 2% aux Etats-Unis. L’élection d’un candidat 'un peu extrême' pourrait la faire exploser» estime Wilfrid Galand de Montpensier.

Aux Etats-Unis, l’inflation se voit. Dans le prix des actifs, ceux des actions et ceux de l’immobilier plus particulièrement. Elle se voit aussi dans les frais médicaux et les primes d’assurance qui ont augmenté de 3% sur un an. Sur la «diagonale du vide» américaine – Michigan, Mississipi, Missouri, Ohio, Wisconsin –, la frustration monte chez ceux que la croissance post-crise a oubliés et alimente des tensions sociales qui seront peut-être la clé des élections de novembre prochain. On n’en parle guère mais, si une inflation modeste reste le scénario central, elle pourrait exploser bien plus vite qu’on ne l’imagine. Quelques questions à Wilfrid Galand, directeur de la stratégie de Montpensier Finance.

Malgré les dires de la banque centrale, l’inflation américaine est donc déjà au-dessus de 2%?

L’indice des prix à la consommation hors énergie et immobilier se situe à 1,7% mais, à 2,4% sur un an, l’indice PCI a déjà passé la barre.

Avez-vous identifié un scénario selon lesquels l’inflation pourrait exploser?

Aujourd’hui dans un climat où économistes et financiers projettent une croissance faible, une inflation modeste et des taux bas avec un si bel ensemble, je ne me sens pas tout à fait à l’aise. Trop de consensus peut rapidement devenir un motif d’inconfort. Quand on est trop sûr de soi, l’histoire se permet parfois de retoquer à la porte. 2020 sera une année chargée politiquement et ouvre une décennie où la politique va diriger l’économie. Certes la stabilité reste le scénario central mais il existe un scénario alternatif auquel je donnerai une chance sur cinq pour peu qu’un candidat démocrate «un peu extrême» gagne les élections et que les Démocrates obtiennent la majorité aux chambres.

Le paysage de la politique monétaire serait susceptible de changer
dans un contexte inconfortable de croissance modeste.
Plus précisément?

Un petit tour des élections américaines permet de distinguer trois pôles du côté des Démocrates. On trouve d’abord un pôle centriste avec Joe Biden et Pete Buttigieg, des néo-démocrates plutôt modérés et libre-échangistes. Ceux-là ne présentent pas de risque particulier. Vient ensuite un courant social-démocrate façon années 1970 en Europe avec Bernie Sanders soutenu par Alexandra Ocasio-Cortez et Ilhan Omar. Arrive ensuite ce que je qualifierais de «consensus rooseveltien» représenté par Elizabeth Warren ou par Kamala Harris. Ce dernier pôle veut «réinventer» le capitalisme américain et domestiquer le capitalisme financier. Orienté vers le soutien aux petites entreprises et vers la réduction des inégalités, il est le seul, avec Elizabeth Warren à avoir publié un programme détaillé. C’est ce dernier qui serait porteur d’inflation.

De quelle manière?

Elizabeth Warren souhaite bannir le fracking or, le tarissement de l’approvisionnement en pétrole de schiste aurait un effet très inflationniste. Il existe bien de vastes réserves ailleurs, en Arabie Saoudite, au Venezuela ou en Iran mais l’Arabie a besoin d’un prix élevé pour équilibrer son budget et les deux autres pays présentent de graves déficits d’infrastructure. En conséquence, l’arrêt du fracking serait problématique et une augmentation des prix du pétrole serait à prévoir. 

Est-ce l’unique point?

Non. Dans ce même programme on trouve aussi en germe une réglementation de la «gig economy» dont l’objectif est de redonner un vrai pouvoir de négociation salariale aux employés des plateformes. Si on cumule les deux effets – baisse de la production de pétrole et donc un cours au-dessus de 80 dollars / baril et une montée des salaires –, l’inflation pourrait dépasser 3,5 à 4% rapidement. En conséquence, le paysage de la politique monétaire serait susceptible de changer dans un contexte inconfortable de croissance modeste (autour de 2%), de poids élevé du déficit, de productivité en baisse et d’inflation en hausse. Dès le 2 février – date des primaires dans l’Iowa –, il sera plus facile d‘évaluer la capacité des candidats et donc de mieux anticiper l’inflation.

Trump encore a une bonne chance de passer si l’économie tient.
En cas de ralentissement, il n’a plus qu’une chance sur 3.
Que disent les sondages actuels?

Celui du New York Times le 4 novembre a testé les potentiels de Trump, Biden et Warren dans les «swing states» (Michigan, Wisconsin, Pennsylvanie, Floride, Arizona, Caroline du Nord). Conclusion? Joe Biden est bien positionné vis-à-vis de Trump. Viennent ensuite Sanders et Warren. Aujourd’hui, Trump encore a une bonne chance de passer si l’économie tient. En cas de ralentissement, il n’a plus qu’une chance sur 3. Les choses vont se cristalliser en début d’année autour du super-Tuesday (3 mars) auquel la Californie participera exceptionnellement.

Quels sont les thèmes qui focalisent l’électorat?

L’Obamacare, les assurances sociales, le débat assurances privées-assurances publiques avec une hésitation à basculer vers un système étatique. Il ne faut pas oublier que l’espérance de vie baisse aux USA et qu’on observe aussi une baisse du taux de participation au financement des retraites. On parle souvent du départ à la retraite des baby-boomers mais il y a d’autres raisons : les études prolongées, la crise sanitaire des opioïdes et la mise en œuvre au début des années 2000 d’une politique de tolérance zéro qui a fait exploser la population des prisons.

Quelle signification pour les marchés financiers?

Si Donald Trump passe, il fera tout pour que les marchés montent mais nous risquons un second mandat plus fragile avec une instabilité problématique de l’administration. Joe Biden serait rassurant pour les marchés, façon Bill Clinton ou Barak Obama, avec un peu plus de régulation mais un climat propice aux affaires. Avec Bernie Sanders, ça risque de secouer fort. Un peu comme la baisse du CAC 40 de 30% sur un mois lors de l’élection de Mitterrand… En compagnie d’Elizabeth Warren, il y aura vraisemblablement un choc initial avec une chute de 10 à 15% des marchés au départ. Mais à terme, l’impact sera différencié selon les secteurs : très négatif sur la tech et les bancaires, positif sur les renouvelables, la santé, voire l’infrastructure. Restera toutefois à résoudre le déficit de 1000 milliards de dollars. Le prochain président devra gérer une croissance faible avec des marges budgétaires minces. Une remontée graduelle de l’inflation n’en serait que plus difficile à supporter.

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