François Millet, Lyxor: «Nous assistons à une réallocation du capital des institutionnels vers le scenario le plus ambitieux du Net Zero».
Interrogé dans le cadre du récent Geveva Forum for Sustainable Investment, François Millet, responsable Stratégie, ESG et Innovation chez Lyxor ETF, revient sur l’essor exceptionnel des encours liés aux stratégies Net Zero. Un essor porté notamment par l’engouement des grands institutionnels, qui arbitrent de plus en plus l’allocation des actifs de leur portefeuille en faveur de solutions plus seulement ESG mais visant directement la décarbonation des portefeuilles.
Le Net Zero, c’est très précisément l’exigence absolue que les émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) et pas seulement de CO2, soient réduites à zéro à un horizon donné afin que le réchauffement anthropogénique soit stabilisé à un niveau donné. Un réchauffement limité à 1.5° est synonyme de net zero autour de 2050. Ou encore d’une diminution de 7% par an des GES d’ici à 2050.
L’extraordinaire montée en puissance du Net Zero dans l’investissement est soutenue par les progrès réalisés dans la mise en œuvre d’arsenaux réglementaires comme la réglementation benchmark sur les indices climat, recommandant des trajectoires de décarbonation des économies. La taxonomie verte européenne est une étape importante pour donner une structure plus standardisée, lisible, comparable, d’une part aux investisseurs pour identifier des projets contribuant au Net Zero, d’autre part aux entreprises pour publier les informations relatives à leur trajectoire énergétique. De nouvelles réglementations ont depuis vu le jour, en particulier, le règlement Sustainable Finance Disclosure (SFDR) qui impose aux sociétés de gestion et aux distributeurs de produits d’épargne plus de transparence sur leur prise en compte des critères ESG à travers, entre autres, la publication des indicateurs auxquels ils ont recours. D’autres sont attendues d’ici à la fin de 2022 (part verte, part de renouvelables dans l’exposition à l’énergie). Et ce n’est que pour l’Europe. Autrement dit, le Net Zero a de beaux jours devant lui.
Les initiatives se matérialisent sous nos yeux. Une grande partie des gouvernements a déclaré ses objectifs net zero, certains ont même avancé leur calendrier, comme l’Allemagne. Les entreprises ne sont pas en reste, qui sont de plus en plus nombreuses à afficher leurs propres objectifs d’émission et feuilles de route, permettant d’évaluer leur budget carbone par rapport aux références de leur secteur industriel. Ces budgets sont définis sur la base de trajectoires souvent exprimées par les sociétés elles-mêmes à travers les Sciences Based Targets (SBT), l’un des principaux cadres de reporting pertinents à ce jour, qui résulte d’une initiative de partenaires issus des mondes public (le programme Global Compact des Nations unies) et privé (le WWF, le World Resources Institute, et le trust caritatif CDP – anciennement Carbon Disclosure Project). Plus de 600 entreprises, parmi lesquelles des champions leaders mondiaux de leur industrie, ont recours aux SBT pour calculer et affiner leur budget carbone.
Quitte à repenser leur stratégie pour atteindre des objectifs exigeants. Plus de 3'100 entreprises ont fixé des objectifs net zero 2050 dans le cadre de l’initiative «Race to Zero» soutenue par les Nations Unies. Parmi les investisseurs, de nombreuses institutions financières, J. Safra Sarrasin ou Swedbank Robur par exemple, et des institutionnels, comme Aviva, AXA ou Zurich ont déclaré leurs objectifs. Cela étant dit, cette montée en puissance du Net Zero s’accompagne d’imprécisions (au pluriel) sur la réalité sous-jacente, ainsi que de disparités: l’Allemagne vise 2045, la Chine 2060.
Par un véritable engouement des grands institutionnels, en Europe et en Asie notamment, qui n’ont pas hésité en 2020 à réallouer leur flux vers des fonds Net Zero. Si je prends l’exemple de la gamme de trackers indiciels Lyxor dédiés à l’objectif Net Zero, laquelle s’appuie deux fournisseurs indices, S&P Trucost et MSCI, afin de garantir une diversité, donc une richesse, d’approche méthodologique, elle a engrangé en un an 1,6 milliards d’euros d’argent frais, sans aucune conversion de fonds existants. Les flux de capitaux vers des fonds durables parlent d’eux mêmes. Nous avons assisté à une augmentation sensible des encours de ces fonds, qui répondent aux critères des articles 8 et 9 de la réglementation SFDR européenne au détriment des fonds classiques aux termes de l’articles 6 (aucun critère intégré ESG dans la gestion de fonds). Ce mouvement a été et continue d’être net dans la gestion passive: 61 milliards d’euros ont été collectés par les trackers ESG (répondant aux critères des articles 8 et 9 ) sur 127 milliards de collecte ETF au cours des 9 premiers mois de 2021, battant le record des années précédentes. Cette année, près de la moitié des flux drainés par des trackers sont alloués à des véhicules ESG.
Il est intéressant de constater que les réallocations vers des indices climat se font majoritairement vers des trackers fondés sur les indices PAB (Paris Aligned Benchmarck), qui sont la version le plus ambitieuse. Mis en place par l’Union européenne, il vise, avec le CTB (Climate Transition Benchmark), à sélectionner les entreprises les plus vertueuses dans leur contribution au Net Zero sur la base objectifs précis de réduction année après année. La beauté de ces indices est qu’ils tiennent compte du profil des entreprises quant à leur capacité à décarboner leurs activités. Il ne s’agit pas d’éliminer de l’indice tous les grands pollueurs ¬ donc à renoncer à peser sur leur stratégie de décarbonation en tant qu’investisseur – et à les remplacer systématiquement par des secteurs moins carbonés comme les média, nouvelles technologies, l’assurance et des services tertiaires en général. Les entreprises à haute intensité́ carbone doivent ainsi représenter la même proportion que sur le marché de référence. Sans quoi, il sera difficile sinon impossible de contribuer à la réduction globale des émissions de gaz à effet de serre. La gestion indicielle fondée sur les indices PAB et CBT, en provoquant un arbitrage chez les investisseurs institutionnels, puis de toutes catégories, s’avère un puissant effet de levier auprès des entreprises pour aligner leur stratégie opérationnelle sur un objectif de Net Zero.
Ce raccourci serait trompeur sinon fatal pour l’objectif final, qui est d’inciter la très grande majorité des secteurs intensifs en carbone, qui représentent 70% de l’économie, à adopter des trajectoires compatibles avec des budgets en GES validés par les données scientifiques de référence. Ce qui ne veut pas dire que certains secteurs ne soient pas exclus, les énergies fossiles notamment des PAB, d’autres surpondérés, les pharmas et technologiques par exemple. In fine, les stratégies d’investissement Net Zero conformes aux indices PAB et CBT sont inclusives ; la plupart des secteurs étant représentés. Une inclusion qui suppose une méthode intensive en données, puissante et source de performance. Etant précisé que la surperformance exceptionnelle des stratégies Net Zero en 2019, 2020 et sur les 9 premiers mois de 2021, est essentiellement liée à l’effet de sélection et repondération individuelle des entreprises en sous-budget carbone plus qu’à des biais ou facteurs de risque globaux.
Un portefeuille de gestion passive Net Zero comprendra en particulier des ETF indexés sur les indices labellisés climat, des ETF d’obligations vertes, des ETF thématiques sur l’énergie propre. La Climate Bond Initiative montre que 83% des obligations vertes rapportent les utilisations du produit de l’émission et 75% rapportent des indicateurs d’impact comme les émissions carbone évitées. La liquidité sur les obligations vertes a sensiblement augmenté au cours des 12 derniers mois, alimentée par de grosses émissions, souveraines ou d’émetteurs privés très attractives pour les institutionnels. Ces émissions obligataires fourniront des données précises sur les émissions évitées. De véritables et tangibles données d’impact.