Ne pas succomber aux émotions

Salima Barragan

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Alejandra Grindal de Ned Davis Research: «Des anticipations d’inflation trop élevées peuvent mener à une prophétie auto-réalisatrice».

Des classes d’actifs simultanément à la baisse, une inflation vertigineuse alors que les économies se remettaient à peine d’une pandémie, une guerre déconcertante en Europe: 2022 a été difficile, mais aussi surprenante. Des points d'interrogation subsistent à l’heure des prévisions pour le nouvel an: quels défis occuperont les marchés financiers? Comment la conjoncture et le renchérissement évolueront-ils? De quelles façons les experts positionnent-ils les portefeuilles pour les mois à venir? Autour de 5 questions clés, l’équipe d’Allnews vous souhaite une heureuse année 2023.

Dans ce troisième volet, les anticipations d'inflation taraudent l’économiste en chef de Ned Davis Research Alejandra Grindal: «Si le renchérissement persiste, les anticipations d'inflation pourraient devenir définitivement plus élevées, entrainant une prophétie auto-réalisatrice», développe-t-elle. Le risque d’une récession mondiale en 2023 lui semblant plus probable qu'improbable, l’experte recommande à ses clients de rester prudent sur toutes les classes d’actifs. Pour l’instant.

Quelle leçon retenez-vous de 2022?

Chaque année est pleine de leçons à tirer. Les principales surprises ont été l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la persistance d'une inflation élevée et le resserrement plus rapide que prévu de la politique monétaire mondiale. Mais notre philosophie consiste à rester objectif, flexible, discipliné et conscient des risques. À cet égard, nous nous concentrons sur les données et nos indicateurs, et non sur les émotions, ce qui nous permet de guider nos clients en ces temps de volatilité.

Etant donné l'impact décalé de la politique monétaire sur l'économie et le peu de sources d'amélioration de la conjoncture sur le front fiscal, les baromètres sont susceptibles de se détériorer dans les mois à venir.
Sommes-nous rentrés dans un nouveau régime d’inflation?

Les perspectives à moyen terme indiquent toujours des tensions sur les prix supérieurs à la normale, alimentée par les services, le logement et les salaires aux États-Unis, ainsi que par l'énergie et ses effets secondaires en Europe. La question de savoir si nous entrons dans un nouveau régime d'inflation à long terme n'est pas encore tranchée. N'oubliez pas qu'avant la pandémie, la plupart des économies développées connaissaient des tendances désinflationnistes marquées. Bon nombre de ces facteurs, tels que la technologie, la démographie, l'endettement privé élevé et les inégalités, restent intactes.

Cependant, d'autres influences désinflationnistes avant la pandémie pourraient bien se désintégrer. Je pense à la mondialisation, mais aussi à l'élimination de la Russie en tant que source d'énergie pour l'Occident. De plus, l’accroissement des tarifs douaniers, les politiques protectionnistes et les délocalisations pourraient également contribuer à une augmentation du coût de la vie à long terme.  

Enfin, les anticipations d'inflation, qui sont restées ancrées pendant des décennies, me taraudent. Si le renchérissement reste conséquent pendant plus longtemps, les anticipations d'inflation pourraient devenir définitivement plus élevées, entrainant une prophétie auto-réalisatrice.

Quand pensez-vous que le pivot de la Réserve fédérale aura lieu et comment l’anticipez-vous?

La Fed continuera de réduire l'ampleur de ses hausses de taux jusqu'au premier trimestre. Après cela, elle fera vraisemblablement une pause. Toutefois, la perspective d'une baisse des taux dans un avenir proche semble peu probable.

Nous avons déjà assisté à un pic de l'inflation américaine, ce qui a permis de diminuer les augmentations de taux. Mais elle reste inconfortablement élevée. La Fed a clairement indiqué que le risque d'une inflation persistante est pire que la faiblesse cyclique de l'activité économique, car elle touche de manière disproportionnée les pauvres et les épargnants, c'est-à-dire les retraités, et ajoute une nouvelle couche d'incertitude aux décisions des entreprises. C'est pourquoi il n'est pas surprenant que les périodes de stagflation aient connu historiquement les plus faibles performances des marchés boursiers.

Quelles sont vos perspectives pour 2023 et comment les marchés y réagiront?

Nous pensons que le risque de récession mondiale en 2023 est plus probable qu'improbable. De nombreux indicateurs que nous surveillons de près, y compris notre modèle de récession mondiale, ont commencé à atteindre des niveaux sévères. Nous aimerions avoir la confirmation de quelques indicateurs supplémentaires avant de nous prononcer. Mais étant donné l'impact décalé de la politique monétaire sur l'économie et le peu de sources d'amélioration de la conjoncture sur le front fiscal, les baromètres sont susceptibles de se détériorer dans les mois à venir.

Sur la base des normes historiques, la baisse des actions mondiales du sommet au creux de la vague à laquelle nous avons assisté cette année a déjà permis d'anticiper un ralentissement global modéré. Toutefois, le prix d'une récession mondiale n'a pas été fixé. Cela laisse présager une baisse plus importante des actions mondiales dans le cours de l’année.

Nous prévoyons une histoire similaire de hausse du risque de récession aux États-Unis en 2023. Toutefois, nous nous risquons à dire qu'une éventuelle récession serait probablement légère. Par rapport à la grande crise financière, le marché de l'emploi est beaucoup plus tendu, les consommateurs disposent toujours d'une épargne confortable, les banques sont mieux positionnées et le marché immobilier est soutenu par une offre constamment faible, une démographie positive et des normes de prêt beaucoup plus prudentes.

Comment positionnez-vous les portefeuilles pour les mois à venir?

Notre allocation d'actifs demeure neutre sur les actions, les obligations et les liquidités. Si l'économie mondiale devait tomber dans une grave récession, nous réduirions probablement notre exposition aux actions et augmenterions celle aux titres à revenu fixe. Mais étant donné que les marchés anticipent la fin de la récession avec un temps d'avance, il est possible que nous assistions au retour d'un marché haussier cyclique des actions au second semestre de l'année. Si un environnement favorable au risque s'installe, nous diminuerions notre allocation au dollar américain et accroîtrions celle aux marchés émergents. Il ne s'agit là que d'hypothèses ; les données et nos modèles guideront finalement nos recommandations.

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