Les obligations municipales: des atouts dont sont privés les bons du Trésor

Emmanuel Garessus

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Le rendement des obligations municipales, des instruments méconnus en Suisse, dépasse de 100 points de base les bons du Trésor, note Jeffrey Burger, d’Insight Investments.

Les obligations municipales américaines sont méconnues des investisseurs européens et suisses. Il s’agit pourtant du principal instrument employé par les Etats-Unis pour financer les infrastructures. Le principal objectif consiste à financer les hôpitaux, les aéroports, les établissements éducatifs et les gouvernements locaux ainsi que ceux des Etats américains. Jeffrey Burger, gestionnaire de portefeuille et spécialiste de ce marché auprès d’Insight Investment, «l’histoire de ce marché est très riche en termes de taille et d’étendue». Conçu en 1812, il représente aujourd’hui 4000 milliards de dollars d’actifs. L’une de ses principales différences avec d’autres marchés obligataires réside dans sa diversité et dans son rôle essentiel. Il compte 56’000 émetteurs. Ce nombre tient au mécanisme particulier employé par les Etats-Unis pour financer les infrastructures. Les autres pays comptent plutôt sur le gouvernement central ou le secteur privé dans ce domaine si bien qu’ils font nettement moins appel aux obligations municipales.

Historiquement, les Etats-Unis ont toujours voulu limiter les moyens de l’Etat fédéral par par rapport aux différents Etats. Pour Jeffrey Burger, «les obligations municipales offrent un rendement attractif et une sécurité élevée». Leur rendement dépasse les Bons du Trésor d’environ 100 points de base. La probabilité de défaut des «Munis» n’est que d’une fraction des obligations d’entreprises. Sur les 50 dernières années, selon Moody’s, ce taux n’est que de 9 points base sur base cumulée.

Le fonds UCITS d’Insight Investments gère plus de 550 millions de dollars pour le compte de ses clients. Jeffrey Burger répond aux questions d’Allnews:

Est-ce que les qualités de rendement et de sécurité s’expliquent par les aspects fiscaux des obligations municipales?

Les considérations fiscales expliquent pourquoi ce secteur est relativement nouveau pour les investisseurs internationaux. Le traitement fiscal de ces titres, à partir de 1812 et jusqu’en 1986, était favorable aux contribuables américains. Ceux-ci n’avaient à payer aucune taxe sur les intérêts versés par les obligations municipales. C’est pourquoi les investisseurs américains acceptaient un rendement ou un intérêt nominal inférieur. Durant cette époque, les investisseurs internationaux n’avaient guère de raisons de s’y intéresser. En 1986, la réglementation fiscale a été modifiée pour introduire les «taxable municipal bonds». Afin d’accroître les recettes de l’Etat fédéral, le législateur a déclaré qu’il ne pouvait plus se permettre l’absence de taxes sur les obligations municipales. Les intérêts de ces titres ont ensuite dus être taxés. L’Administration fédérale a décidé qu’au moment de l’émission le but de l’emprunt devait être précisé. Une partie devait être taxée, afin d’assurer des rentrées fiscales, et une autre partie évitait une imposition. Si Boston par exemple émet un emprunt pour financer l’école, elle peut décider une exemption fiscale des obligations. En revanche, si Harvard se lie à une entreprise pharma pour développer un traitement thérapeutique, l’emprunt que Harvard pourrait émettre serait taxé parce qu’en cas de succès thérapeutique il peut en résulter un bénéfice pour Harvard.

«Il s’agit pourtant du principal instrument employé par les Etats-Unis pour financer les infrastructures».

La partie taxée des obligations municipales est une petite partie du marché obligataire. Ces considérations sont souvent ignorées des investisseurs internationaux. Mais comme ce segment de marché est de plus en plus analysé, les investisseurs internationaux commencent à le découvrir. En fait 3% des investisseurs en obligations municipales viennent de l’étranger. C’est peu mais cela crée des opportunités.

La seule grande différence entre une obligation municipale imposée et celle qui ne l’est pas tient au traitement fiscal du contribuable américain. Les deux catégories sont libres d’impôts pour les investisseurs non américains, par exemple pour les Suisses. L’investisseur suisse obtient un rendement supérieur sans risque fiscal et sans prendre un risque sur la qualité du crédit. Cette dernière est identique pour les obligations imposées et celles qui ne le sont pas.

Donc si l’investisseur suisse achète votre fonds en obligations municipales, existe-t-il un risque de mauvaise surprise lié aux aspects fiscaux?

Le traitement fiscal sera le même que pour n’importe quel autre fonds UCITS. Il n’y a pas de retenue à la source.

Ce segment de marché est très diversifié. Préférez-vous des obligations municipales avec un rating AAA ou un Bon du Trésor avec la même duration?

Nous préférons des obligations municipales AAA aux Bons du Trésor pour de nombreuses raisons. Le rendement est supérieur et le risque est différent, donc il est une source de diversification. La première raison tient à la différence de clientèle. Les achats de Bons du Trésor font réalité partie des victimes des mesures de rétorsion contre la politique commerciale américaine. Les achats de Bons du Trésor par le Japon et la Chine ont par exemple diminué. Or les autorités chinoises ou japonaises n’achètent pas d’obligations municipales américaines.

La deuxième différence est liée à la courbe de taux américains. Celle-ci est déjà très pentue. Les échéances à long terme sous-performent les plus courtes. Comme l’économie américaine est entrée en phase de ralentissement, ce qui conduit à une pente accrue sur la courbe de taux, on devrait enregistrer des gains notables dans les obligations municipales soumises à l’impôt.

De plus, pour un investisseur intéressé à un impact positif sur l’économie américaine, ce segment de marché est une bonne façon de s’exposer aux Etats-Unis sans être soumis aux risques liés à l’Etat fédéral -je pense par exemple au plafond de la dette-.

Enfin, les obligations municipales améliorent la diversification du portefeuille. C’est un substitut et un complément aux Bons du Trésor.

Comment les obligations municipales ont-elles réagi aux tensions du marché des Bons du Trésor qui ont conduit Donald Trump à décider une pause sur les droits de douane?

La volatilité des Bons du Trésor n’a pas épargné les obligations municipales. La raison est à chercher dans l’abondance d’émissions municipales ces derniers mois. Ce phénomène est saisonnier et se retrouve chaque printemps et chaque automne. Cette tension a profité aux investisseurs jusqu’ici sous-investis à cette classe d’actifs parce que la liquidité est élevée et l’offre abondante.

«Les considérations fiscales expliquent pourquoi ce secteur est relativement nouveau pour les investisseurs internationaux.»

Quelles sont vos e sur les perspectives des différents segments des marchés d’obligations municipales?

Le marché a été victime d’une grande complaisance ces cinq dernières années. Même si je ne m’attends pas à une forte augmentation des taux de défaut, je pense qu’une gestion active est cruciale aujourd’hui. Les écarts de performance vont augmenter à la hausse et à la baisse. Pour répondre à ce défi, nous disposons d’une dizaine d’analystes spécialisés dans les obligations municipales.

Une autre raison de la faible exposition des investisseurs suisses et internationaux à ce marché tient à sa complexité. Il y a 56’000 émetteurs d’obligations municipales. Comment analyser le financement de Los Angeles et d’une petite ville de l’Alabama? Pour l’investisseur, cette diversité crée de réelles opportunités.

Est-ce que vous présentez une surperformance par rapport à l’indice?

Notre fonds surperforme les Bons du Trésor et le marché obligataire en général depuis ses débuts en avril 2017. L’indice des obligations municipales imposables surperforme, l’indice obligataire américain depuis le début des années 2000. L’une des raisons provient du rendement supplémentaire, de la moindre volatilité et de l’absence de dilution de la qualité de crédit en dépit des nombreuses crises qui sont intervenues. Cela tient aussi à sa base d’investisseurs essentiellement américaine. Comme les investisseurs américains en achètent pour des raisons fiscales ils sont moins encouragés à procéder à de nombreuses transactions.

Quel est le rendement moyen de votre portefeuille?

Il est supérieure de 100 points de base à celui des Bons du Trésor. Il dépasse 5%.

Le portefeuille est diversifié mais existe-t-il une forte pondération de certaines régions?

Le marché des obligations municipales est diversifié sur l’ensemble des Etats-Unis. Il existe toutefois une forte relation entre le crédit et la taille. Par exemple, 17,5% des émissions proviennent des villes et des comtés de Californie. Les cinq plus grands Etats représentés par leurs municipalités font 55% du fonds: Californie, New York, Illinois, Floride, Pennsylvanie.

Préférez-vous les échéances rapprochées ou plus éloignées?

J’aime bien les deux, dans le cadre d’une stratégie «barbell». La courbe est plus pentue et j’apprécie la rémunération des échéances longues. Mais j’aime aussi le court terme parce que Jerome Powell ne réduira que lentement les taux directeurs par crainte d’un retour de l’inflation dans le sillage des droits de douane. Avec un ralentissement économique, la partie longue devrait s’aplanir. Les investissements des entreprises devraient diminuer. De plus, la baisse du dollar par rapport à l’euro rend les investissements américains des Européens plus attractifs.

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