Les infrastructures sont le dernier domaine où l’on coupe dans les dépenses

Yves Hulmann

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Pour David Neal, CEO d’IFM Investors, les infrastructures représentent une catégorie d’actifs attrayante en particulier dans un contexte de stagflation.

Détenu par un groupe de fonds de pension australiens, IFM Investors gérait 211 milliards de dollars australiens à fin décembre 2022. En Suisse, la société emploie cinq personnes et gère des actifs d’environ deux milliards de francs. Quels sont les spécificités de l’approche d’investissement de cette organisation créée il y a vingt-cinq ans? Entretien avec David Neal, CEO de IFM Investors, un gestionnaire d’investissement global détenu par des fonds de pension australiens dont l’histoire remonte à plus de trente ans, à l’occasion de son passage en Suisse à la mi-novembre.

IFM Investors se décrit en tant que «superannuation fund» australien. Pouvez-vous expliquez à quoi cela correspond et quelle est votre approche d’investissement?

Au départ, la fondation d’IFM Investors est issue de la nécessité d’établir des fonds de pension dans différentes branches en Australie, lesquels sont devenus obligatoires à partir des années 1980. Une des particularités de notre approche est que tous les investissements que nous effectuons sont aussi alignés sur l’intérêt de nos propriétaires et nos clients. Notre mission est de fournir des rendements attrayants à long terme, aussi bien dans l’intérêt de nos clients que de leurs membres. Nous sommes un grand investisseur en infrastructures et nous gérons ces placements activement dans une optique de long terme selon une approche de type «buy & hold». Nos propriétaires détiennent environ 60% de nos actifs sous gestion. Cela fait qu’il y un alignement complet.

Quelle est la dimension de vos activités?

Après plus de trente ans d’activités, nous gérons actuellement environ 130 milliards de francs pour le compte de plus de 660 clients institutionnels répartis à travers le monde. Nous sommes aujourd’hui l’un des plus grands gestionnaires d’infrastructures au monde, avec des investissements dans la plupart des secteurs d’infrastructures, notamment les aéroports, les ports maritimes, les services publics, les routes à péage, les énergies renouvelables, les centres de données, les infrastructures sociales et la technologie numérique.

«Nous servons des clients en Suisse depuis 2013 et nous avons un bureau à Zurich depuis 2018 avec une équipe de cinq personnes maintenant.»

Nous pensons également que la gestion des risques pour l’environnement et la transition vers une économie à faible émission de carbone sont des considérations clés dans notre objectif de fournir des rendements nets compétitifs à long terme. Nous travaillons en étroite collaboration avec les responsables des actifs que nous gérons pour les aider à progresser vers leurs objectifs de zéro émission et nos portefeuilles d’infrastructures comprennent des investissements dans les énergies renouvelables.

Gérez-vous aussi des avoirs pour des clients institutionnels suisses?

Oui, les actifs sous gestion liés à la Suisse se situent aux environs de deux milliards de francs. La Suisse est attrayante pour nous – un de nos plus grands marchés clients en Europe - notamment parce qu’il s’agit d’un important marché pour les caisses de pension et les investisseurs institutionnels. Nous servons des clients en Suisse depuis 2013 et nous avons un bureau à Zurich depuis 2018 avec une équipe de cinq personnes maintenant. La Suisse est un marché de croissance très important pour nous, car nous continuons à développer nos investissements sur le marché privé.

Comment se caractérise le marché suisse par rapport à d’autres pays européens?

Basé à l’origine en Australie, je passe cette année 9 mois à Londres, un endroit à partir duquel j’ai pu rendre visite à des clients dans toute l’Europe. Je dirais que le marché suisse se caractérise par un très haut degré de sophistication. Par ailleurs, la Suisse est aussi intéressante pour IFM Investors du fait qu’il s’agit d’un endroit où les investisseurs institutionnels ont tôt compris quels étaient les avantages qu’ils pouvaient retirer en plaçant une partie de leur argent dans les infrastructures. Au fil du temps et avec la modification des règles d’investissement (OPP 2) en octobre 2020, chaque caisse de pension peut du reste investir 10% dans les infrastructures en tant que classe d’actifs séparée. Cela a permis de mieux faire connaître la classe d’actifs, ce qui est particulièrement utile. L’expérience que nous avons acquise dans le domaine des infrastructures – dans lequel nous gérons près de 72 milliards d’actifs – est un atout que nous pouvons faire valoir.

«Les revenus obtenus par les exploitants d’infrastructure sont souvent indexés sur l’inflation – et cela souvent de manière contractuelle.»
Quand les taux étaient négatifs et que les obligations de qualité investissement (IG) offraient des rendements nuls, voire négatifs, tous les investisseurs étaient à la recherche d’alternative de placement capables de générer régulièrement des rendements positifs. Maintenant que les taux d’intérêt sont remontés, est-il toujours aussi intéressant de placer son argent dans les infrastructures?

Lorsque les taux d’intérêt étaient extrêmement bas, il s’agissait d’un environnement favorable pour toutes sortes de catégories d’actifs. Maintenant que les taux d’intérêt sont plus élevés, l’environnement est plus « challenging » comme on dit en anglais. Les infrastructures sont une catégorie de placement attrayante justement dans un contexte de stagflation tel que l’on connaît actuellement dans de nombreux pays. On s’oriente dans plusieurs pays vers des taux de croissance du PIB très faibles, voire négatifs, tandis que l’inflation – même si elle tend à reculer – demeure comparativement relativement élevée. L’inflation dépasse encore nettement les limites visées par les grandes banques centrales, que ce soit avec la Fed aux Etats-Unis, la Banque d’Angleterre outre-Manche ou la BCE dans la zone euro.

Dans un tel contexte, les placements en infrastructures présentent deux atouts majeurs. D’une part, les revenus obtenus par les exploitants d’infrastructure sont souvent indexés sur l’inflation – et cela souvent de manière contractuelle. Par exemple, un péage autoroutier a le droit d’adapter ses prix en fonction de l’inflation, parfois les ajustements opérés dépassent même les taux d’inflation. D’autre part, les infrastructures sont en général le dernier domaine dans lequel les gens ou les gouvernements arrêteraient de dépenser de l’argent. Même s’il devait y avoir une récession, la plupart des gens qui effectuent de longs trajets vont continuer à circuler sur les autoroutes, par exemple. Les infrastructures peuvent être bénéfiques pour les investisseurs institutionnels en termes de diversification de portefeuille et fournir des rendements ajustés au risque à long terme.

«En périodes de difficultés économiques, il arrive fréquemment que des gouvernements augmentent leurs dépenses en infrastructures car c’est un moyen de créer rapidement des emplois.»
N’y a-t-il pas un risque que certains gouvernements coupent dans leurs dépenses en infrastructures si la situation budgétaire se dégrade?

On ne peut pas complètement l’exclure dans certaines situations. Toutefois, l’expérience montre que c’est souvent l’inverse qui se produit: en périodes de difficultés économiques, il arrive fréquemment que des gouvernements augmentent leurs dépenses en infrastructures car c’est un moyen de créer rapidement des emplois tout en disposant ensuite d’actifs réels qui permettent d’augmenter ultérieurement la productivité d’une région ou d’un pays quand l’économie redémarre.

Pour autant que les gouvernements disposent de moyens suffisants…

C’est là qu’une structure telle que IFM Investors entre en scène. Les projets de modernisation des infrastructures ou des projets entrepris dans le but de favoriser la transition énergétique ne doivent pas être nécessairement financés par les gouvernements seuls – les fonds peuvent aussi provenir d’investissements privés. Si l’on veut accélérer la transition énergétique, cela nécessitera des investissements gigantesques – une large partie de ces fonds devront aussi être mis à disposition par des investissements privés. Nous avons une contribution à apporter dans cette optique.

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