Le succès de la lutte contre l’inflation a pris de court certains acteurs

Yves Hulmann

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Pour Patrick Schwaller d’EY, la baisse des taux d’intérêt survenue plus rapidement qu’attendu incite les banques à être plus prudentes dans leurs prévisions pour 2025.

Des attentes concernant les bénéfices à l’usage des nouvelles technologies dans le secteur bancaire en passant par les questions liées à la durabilité et à la réglementation, le Baromètre des banques d’EY passe en revue année après année depuis 2010 les principaux thèmes qui préoccupent la centaine d’établissements bancaires interrogés par la société de conseil. Tour d’horizon de ces différents sujets avec Patrick Schwaller, Managing Partner Audit Financial Services chez EY qui a commenté jeudi le Baromètre des banques 2025.

Alors qu’en 2023, près de neuf banques sur dix (87%) interrogées par EY s’attendaient à une hausse de leurs bénéfices, 40% d’entre elles indiquent dans le Baromètre des banques 2025 anticiper un recul du bénéfice à moyen terme. Comment expliquer les anticipations sensiblement plus prudentes cette année des quelques cent banques suisses interrogées par EY en octobre 2024?

La baisse des taux d’intérêt, qui s’est accélérée en deuxième moitié d’année 2024, est clairement le facteur principal qui explique cette évolution. Cela d’autant plus que cette baisse des taux est survenue plus rapidement qu’attendu. Le succès de la lutte contre l’inflation menée par les banques centrales a pris de court un certain nombre d’acteurs. Pour les banques orientées sur le marché intérieur, cette baisse des taux intervient après une courte phase de remontée des taux d’intérêt qui a eu lieu entre 2021 et 2023, laquelle avait fait suite à un recul continuel des taux d’intérêt entre 2007 où ils se situaient encore à plus de 1,8% à moins de 0,9% en 2021. La remontée des taux d’intérêt en 2022 et 2023 n’aura ainsi été que de courte durée, avant qu’un mouvement inverse n’intervienne à nouveau en 2024.

«La situation est plus exigeante pour des entreprises de moyenne taille qui n’ont plus que la possibilité de se refinancer soit auprès des grandes banques, chez des banques étrangères ou auprès des plus grandes banques cantonales.»

Deux facteurs expliquent ainsi la prudence des banques sondées par EY concernant l’évolution de leurs résultats attendue en 2025: d’une part, il y a, principalement, la baisse des taux d’intérêt évoquée. D’autre part, il y a des craintes concernant de possibles augmentations des taux de défauts dans les crédits accordés. On est passé d’une situation où il n’y avait auparavant presque aucun défaut de paiement à des attentes désormais un peu plus prudentes à ce sujet. C’est notamment le cas pour les entreprises qui exportent beaucoup vers Allemagne et en Europe plus généralement. Il y a des incertitudes sur le fait que, par exemple, de nouveaux droits de douane imposés par la nouvelle administration américaine sur les exportations allemandes vers les Etats-Unis puissent aussi avoir un impact des entreprises suisses, notamment dans l’industrie.

La combinaison de ces deux éléments explique la prudence plus marquée des banques helvétiques pour l’année en cours.

Le retour à des taux d’intérêt nuls, voire négatifs, est à nouveau évoqué. Est-ce un facteur d’inquiétude pour les banques suisses?

Nous n’en sommes pas encore à un retour aux taux d’intérêt négatifs. Toutefois, même un retour à des taux d’intérêt nuls en Suisse, comme l’anticipent des économistes, aurait aussi un impact très défavorable sur la rentabilité de nombreuses banques suisses. Des taux d’intérêt nuls seraient même pire que les taux négatifs. En effet, avec des taux négatifs, une banque a malgré tout la possibilité de demander quelque chose à ses clients. Avec des taux d’intérêt nuls, ce n’est pas même le cas.

Un scénario dans lequel les taux d’intérêt tomberaient à zéro, combiné avec une courbe des taux horizontale, pourrait même être encore pire que les taux négatifs en termes de profitabilité.

Un autre résultat qui ressort de l’étude est que près des trois quarts (73%) des établissements sondés indiquent avoir reçu davantage de demandes en matière de financement de la part d’entreprises. Est-ce à cause de la reprise de Credit Suisse par UBS qui a fait disparaître un acteur clé du financement des entreprises?

La reprise de Credit Suisse a certainement joué un rôle ici. Beaucoup d’entreprises se sont alors interrogées à propos des relations bancaires qu’elles entretenaient avec différents établissements. A ce sujet, il y a d’importants écarts entre les différentes catégories d’entreprises: chez les grandes entreprises, les demandes n’ont que peu augmenté (22%) alors que la hausse a été beaucoup plus marquée du côté des petites entreprises (43%) et encore davantage chez les moyennes entreprises (51%).

Comment l’expliquer?

Les très grandes entreprises avaient déjà largement diversifié leurs sources de financement. Les grands groupes du SMI ont des relations avec plusieurs grandes banques internationales. Le fait qu'il n'y ait plus qu’une seule grande banque en Suisse ne change pas fondamentalement la donne pour de très grandes entreprises. Ce n’est pas non plus un changement essentiel pour des artisans ou des toutes petites PME car celles-ci s’adressent souvent à des banques cantonales ou régionales. En revanche, la situation est plus exigeante pour des entreprises de moyenne taille qui n’ont plus que que la possibilité de se refinancer soit auprès des grandes banques, chez des banques étrangères ou auprès des plus grandes banques cantonales.

«Peu d’établissements estiment qu’ils peuvent se différencier grâce aux critères ESG.»

Sur le plan technologique, l’étude indique que plus des deux tiers (67% contre 55% un plus tôt) des banques sondées veulent recourir à l’IA dans l’optimisation des processus. En revanche, seules 13% d’entre elles envisagent de recourir à l’IA dans le conseil à la clientèle et de placements, soit moins que la proportion de 20% qui envisagaient de le faire un an plus tôt. Les attentes concernant l’IA dans le secteur bancaire n’ont-elles pas été exagérées?

Cette différence n’est pas si suprenante. En effet, dans le cadre de leurs prestations de conseils apportées à la clientèle, les banques veulent être vraiment sûres de pouvoir disposer d’outils et de technologies entièrement matures. Elles ne veulent pas faire un faux pas avec leurs clients à cause de solutions ou d’outils qui ne seraient pas encore entièrement au point.

Il en va différemment lorsqu’il s’agit de processus internes. Dans ce cas, la banque peut toujours améliorer les outils utilisés par l’entreprise et évaluer leur utilité dans différents cas d’usage. L’IA est par exemple utilisée dans le cadre de la détection du blanchiment d’argent, dans différents outils d’analyse, etc.

Parmi les sujets jugés prioritaires par les banques, la cybersécurité se place à nouveau en tête en 2024, tout comme cela a été le cas au cours des quatre années précédentes. En revanche, le thème de la durabilité et l’ESG n’apparaît plus qu’au 19e rang, après avoir été placé au 3e rang en 2021. Comment interpréter cette baisse d’intérêt pour la thématique de la durabilité?

La phase d’euphorie pour les aspects liés à la durabilité a clairement diminué. Cela peut s’expliquer par plusieurs raisons. Côté négatif, peu d’établissements estiment qu’ils peuvent se différencier grâce aux critères ESG. En outre, au début de la décennie, beaucoup d’établissements avaient lancé un grand nombre de produits en lien avec la thématique de la durabilité. Ensuite, la réglementation est devenue beaucoup plus stricte, en particulier en Europe. On a infligé des amendes aux banques accusées de Greenwashing. Proposer des prestations ou des produits ESG implique plus de devoir, plus de frais pour être en conformité avec la régulation européenne qui affecte du reste aussi les prestataires suisses. Bref, il y a peu de facteurs qui incitent les banques à investir davantage pour améliorer leur offre en matière de durabilité.

Dans le financement de l’immobilier, qui reste un facteur clé pour de nombreux acteurs de la banque de détail, quelles sont les priorités des établissements?

Avec la baisse des taux, les demandes de financement vont certainement à nouveau augmenter. Pour autant, du côté des banques, l’objectif n’est plus d’augmenter à tout prix les volumes. Financer d’importants projets immobiliers a aussi pour effet de bloquer de grandes quantités de capital, ce qui a un impact sur le bilan. Les banques vont aussi être sensibles à l’aspect des risques. Désormais, le rendement obtenu va certainement primer sur la croissance des volumes. 

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