Les marchés d’actions se sont généralement bien comportés en 2024, avec des gains allant jusqu’à 25% avec l’indice S&P 500. Mais depuis les élections américaines, l’optimisme semble réduit hors des Etats-Unis. Le gérant NS Partners, qui avait correctement prévu la hausse des actions américaines, s’attend-il à de nouveaux gains en 2025? L’or va-t-il encore s’apprécier? Quelle allocation faut-il adopter? Angel Sanz, responsable des investissements et CIO de NS Partners, répond aux questions d’Allnews sur ses vues sur les marchés:
L’un de vos principes d’investissement consiste ne pas se battre contre la Fed. Cette dernière va-t-elle encore baisser ses taux en 2025?
La Fed baissera encore ses taux mais dans une moindre mesure que nous le pensions ce printemps. Les marchés à terme anticipent une diminution d’encore 75 points de base. Même si le recul était inférieur, la politique monétaire resterait moins restrictive et soutiendrait les marchés d’actions. La Fed adoptera toutefois une attitude attentiste à l’orée du mandat de Donald Trump. Jerome Powell, le président de la Fed, insiste sur le besoin de considérer les données conjoncturelles avant d’agir. En évitant de se prononcer, il évite de se tromper.
L’investisseur devra-t-il davantage considérer la politique budgétaire que la politique monétaire?
Si nous nous en tenions aux promesses électorales de Donald Trump sur l’immigration, la baisse d’impôts et les droits de douane, nous devrions vendre toutes les actions. La réalité sera différente: Les déplacements de migrants seront sans doute plus bas que 10 millions. Les droits de douane n’augmenteront pas de 60% sur la Chine. Et la baisse des impôts sera ciblée. L’effet net des mesures qui seront prises devrait être neutre à positif pour les marchés.
La baisse de l’impôt pour les entreprises soutiendra en effet les bénéfices de 3 à 6% en 2025, donc aussi les marchés. La dérégulation produira aussi des effets positifs.
N’oublions jamais qu’aux yeux de Donald Trump, l’indice des actions sera le baromètre de son succès. Il est conscient qu’il devra ajuster ses promesses à la réalité économique et financière.
«Pendant le premier mandat de Donald Trump, les entreprises spécialisées dans les énergies fossiles ont sous-performé de 300% celles des énergies alternatives».
Est-ce que vous êtes aussi positifs pour 2025 que vous l’étiez en début d’année sur les actions américaines?
Nous avons modifié notre stratégie ces derniers mois pour prendre en compte les effets de la forte hausse de l’indice S&P 500 sur les valorisations. Les gains de cet indice n’ont jamais été aussi élevés au cours du siècle. Les entreprises américaines se portent bien mais tout a un prix. Nous avons déplacé notre intérêt vers l’indice S&P équipondéré et les mid-caps. La valorisation y est 20% plus avantageuse.
Nous pensons aussi que la politique de Donald Trump profitera davantage aux entreprises petites ou moyennes qu’aux très grandes. Nous privilégions toujours les Etats-Unis mais nous avons changé d’indice. Le rendement devrait atteindre 8 à 10% en 2025 mais sans doute pas davantage.
Le marché américain des actions doit-il garder la pondération la plus élevée d’un portefeuille?
Oui, en vertu de notre approche fondamentale (Bottom-up et non Top-down). Le pays applique une politique économique assez libérale et se porte bien, mais notre choix résulte d’abord de la qualité de ses entreprises plutôt que de sa politique économique. Les meilleures sociétés technologiques sont américaines. Il en va de même des pharmas, des banques, des sociétés énergétiques. Notre sélection de titres nous amène à un portefeuille composé en grande partie de groupes américains. Nous n’y trouvons aucune société japonaise et très peu d’entreprises européennes. D’ailleurs chez NS Partners, nous ne parlons plus de pays mais de secteurs et d’entreprises.
Avec Donald Trump, nous avons l’impression que l’heure est aux énergies fossiles. Est-ce un secteur que vous appréciez?
Pendant le premier mandat de Donald Trump, les entreprises spécialisées dans les énergies fossiles ont sous-performé de 300% celles des énergies alternatives. 300%! Avec Joe Biden, les Etats-Unis ont davantage produit de pétrole qu’auparavant. La raison est à chercher dans un prix du baril plus bas, ce qui incitait les entreprises à augmenter leur production. Actuellement, le prix du baril est très bas. Le secteur dépend avant tout des conditions géopolitiques. Il ne suffit pas de se limiter au slogan électoral de Donald Trump («Drill, baby drill!») pour évaluer les groupes pétroliers. Un producteur regarde le cours du baril plutôt qu’un slogan quand il ajuste sa production. Nous sommes neutres à ce sujet.
Avec Donald Trump, nous n’avons pas modifié notre choix sectoriel. Nous sommes positifs sur les entreprises américaines en général, et surtout pour les sociétés de taille moyenne.
Le seul secteur susceptible de profiter de l’arrivée de Donald Trump serait la défense, mais nous n’avons pas accru sa pondération. A l’inverse, la cleantech devrait en souffrir, mais elle ne pèse que 1% de l’indice américain.
Que pensez-vous de la Big Tech américaine?
C’est le secteur qui profite de la plus forte croissance bénéficiaire, mais sa valorisation est excessive. Pour cette raison et pour la première fois depuis longtemps, nous sous-pondérons les valeurs technologiques. C’est pourquoi nous préférons l’indice équipondéré.
Nous sommes également assez préoccupés, dans la Big Tech, par l’augmentation significative des dépenses d’investissements et de leurs effets incertains sur la rentabilité. Nos clients sont à la recherche d’investissements rentables mais ils ne veulent pas maximiser le risque. Ils préfèrent des gains de 8 à 10% et éviter le risque de fortes pertes.
«Nous sommes également assez préoccupés, dans la Big Tech, par l’augmentation significative des dépenses d’investissements».
En termes de risques, les perceptions sont très négatives à l’égard de l’Europe. N’est-ce pas une opportunité?
Dans le cadre de notre approche fondamentale, notre portefeuille est investi à 25% en Europe, y compris la Suisse, mais pas davantage. L’arrivée probable de la CDU à la tête du gouvernement allemand, après les prochaines élections, nous paraît aller dans le bon sens. Mais dans le choix des titres européens, nous voulons des sociétés leaders, comme ASML, Novo Nordisk, LVMH, Schneider, Ferrari.
L’Europe est à la traîne. Elle accumule les problèmes budgétaires, ainsi qu’en témoigne les déficits de la France et du Royaume-Uni. L’Allemagne doit, elle, changer de modèle, ce qui suppose un changement constitutionnel pour assouplir le frein à l’endettement.
Est-ce que les pays émergents, qui représentent la moitié de l’économe mondiale, n’offrent pas d’opportunités?
Notre portefeuille comprend 75% de sociétés américaines et 25% d’européennes. On pourrait nous reprocher de n’avoir rien en Asie ni en Amérique latine. Une analyse de la répartition des revenus des sociétés que nous avons en portefeuille révèle que la part américaine tombe de 75 à 55% et que la part européenne reste à 25%. L’Asie et les émergents passent à 20%. Nous profitons de la croissance supérieure dans les pays émergents en achetant des sociétés européennes et américaines fortement exposées aux pays émergents.
Nous n’avons aucune entreprise latino-américaine. Quant à la Chine, elle reste très opaque et peu favorable aux entreprises. En revanche, nous avons investi en Inde, forts de sa croissance économique solide, de l’augmentation significative des bénéfices et d’une politique économique favorable aux affaires. Nous en sommes récemment sortis parce que la valorisation dépassait celle de l’indice S&P 500.
Est-ce que l’allocation des actifs correspond à 60/40 ou avez-vous une autre répartition?
Nous offrons trois types de mandats. Au sein du mandat Equilibré, la part des actions atteint 55%. Dans les mandats Croissance, elle monte à 75%. Et dans les mandats Conservateur 30%.
Comment faudra-t-il modifier l’allocation à l’approche de la fin de la baisse des taux?
Ce moment devrait se présenter dans environ un an. Face à ce défi, nous sommes friands d’instruments alternatifs. Si le point bas des taux se présente dans 9 à 12 mois, nous mettrons en avant des Hedge funds qui se sont très bien comportés quand les taux étaient très bas. Nous déplacerons un partie de la part en obligations vers ces produits. Si les actions nous paraissent trop chers, nous pourrons faire appel à des mécanismes qui semblent bien adaptés. Le premier est celui des stratégies long/short, le deuxième celui des produits structurés. Cette deuxième possibilité permet d’offrir une protection partielle.
Avez-vous un exemple?
Par exemple, il est possible d’investir dans un certificat airbag à 2 ans qui offre une performance maximale de 20%. Si le sous-jacent monte de 30%, l’investisseur recevra 20%. Par contre l’investisseur ne subit aucune perte tant que le recul ne dépasse pas 25%. Cette asymétrie positive nous paraît intéressante et nous ouvre des possibilités de changement tactique.
Nous avons une troisième possibilité si le mouvement de baisse des taux se termine dans un an, celui d’une stratégie plus conservatrice. Au total, nous aurons donc au moins trois choix possibles.
Les rendements des obligations américaines semblent ne plus vouloir baisser. Est-ce que l’on assiste au début de la hausse des taux longs?
La réponse dépend des mesures que prendra Donald Trump à partir du 20 janvier. Logiquement, s’il devait accomplir le tiers de ce qu’il a promis, le rendement des Bons du Trésor à 10 ans devrait remonter à 5% mais pas davantage. A l’inverse, j’ai peine à imaginer un recul en dessous de 4% au vu de la poursuite de la croissance. Nos préférences vont aux obligations avec une échéance entre 2 et 5 ans plutôt qu’à 10 ans. La dette publique dépasse100% du PIB aux Etats-Unis, en France, au Royaume-Uni, en Espagne. Les «Bond Vigilantes» risquent de se manifester.
Au vu du débat sur la France, est-ce que vous évitez les obligations souveraines de la zone euro?
Les craintes sur la France illustrent l’hystérie de certains acteurs. La France paie un rendement plus élevé sur sa dette que la Grèce. Qui peut croire que la probabilité de défaut de la France est supérieure à celle de la Grèce?
Nous investissons dans la zone euro à travers des entreprises à 5 ans, mais nous n’avons aucun problème avec la détention d’obligations Senior en Europe. En revanche, nous évitons d’investir dans des obligations subordonnées ou hybrides de secteurs en difficultés comme l’automobile.
Faut-il vendre son or après que l’once ait battu de nouveaux records?
Nous conserverons l’or en portefeuille. Il a certes beaucoup monté et il n’offre pas de rendement, ce qui complique sa valorisation. Nous n’avons ni pris des profits ni accru la position.
La question de l’exposition à l’or est complexe car, après l’offensive russe en Ukraine, plusieurs pays émergents ont vendu leurs obligations américaines et accumulé de l’or. Je peux m’imaginer que cette tendance se poursuivra. Les clients privés, eux, apprécient d’avoir de l’or en portefeuille.
Une étude révèle que l’or est multiplié par 4 à 6 lors de ses cycles haussiers. Nous en sommes à 2,6 fois. Qu’en pensez-vous?
Une autre étude indique que l’or est une protection à la détention d’actions. Historiquement, la corrélation entre le métal jaune et les actions est nulle. Pourtant en 2024, les deux classes d’actifs ont monté. L’or peut encore s’apprécier pour des raisons géopolitiques mais pas en vertu de son statut de hedge par rapport aux actions.
Est-ce que vous avez modifié votre portefeuille ces derniers mois?
Ces derniers 2 à 3 mois, nous avons accru la position dans l’indice S&P 500 équipondéré. Nous avons commencé à investir dans des obligations catastrophes (Cat Bonds). Nous avons commencé à bâtir des protections de portefeuille de manière indirecte (dérivés) pour réduire l’exposition. Nous réduisons aussi l’exposition aux obligations à haut rendement en raison de la baisse du spread.
Enfin, dans les marchés privés, nous avons créé une exposition dans des fonds evergreens, plus liquides que les fonds de private equity habituels. Ces sociétés ont par ailleurs l’avantage de ne pas être exposées aux grandes capitalisations. Nous espérons ainsi obtenir la même performance que les actions avec une volatilité réduite.
Est-ce que vous avez de fortes convictions sur les monnaies?
Oui, les comptes en francs suisses doivent être hedgés en francs. Le franc reste la monnaie la plus forte. Avec une croissance de 1,5%, une inflation inférieure à 1%, un budget excédentaire, un taux d’endettement de seulement 30%, un excédent de la balance courante de 8%, un système de retraite stable, un système d’assurance maladie efficace, un système de formation duale qui fonctionne, des infrastructures au point. La monnaie doit être la plus plus forte. Il faut rester dans la monnaie la plus forte parce que c’est le pays le mieux géré au monde.