Le dollar ne fait face à aucun concurrent sérieux

Emmanuel Garessus

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Les rendements obligataires baisseront d’ici deux ans aux Etats-Unis et surtout en Europe de l’Est, selon Ricardo Adrogué de Barings.

Ricardo Adrogué, Directeur du service Dette souveraine et devises Monde de Barings, à Boston, travaille dans ce secteur depuis 30 ans et chez Barings depuis 10 ans. Il a précédemment effectué des travaux de modélisation de l’inflation pour le FMI. Il s’exprime sur les opportunités obligataires et sur les monnaies:

Les débats s’enflamment sur la guerre des monnaies, la fin du pétrodollar et le déclin structurel du dollar comme monnaie de réserve. Est-ce un sujet qui n’intéresse que les médias?

Ricardo Adrogué: Ce sujet n’intéresse que les médias. Durant toute ma carrière, je n’ai jamais cessé d’entendre parler du déclin du dollar. La monnaie d’un pays a besoin de caractéristiques particulières pour attirer la confiance des acteurs économiques, comme une structure juridique stable et solide, la confiance des investisseurs et la puissance militaire. Le billet vert satisfait tous ces facteurs. Aucune autre monnaie ne le concurrence sérieusement actuellement.

La vigueur des statistiques de l’emploi américain a fortement impacté le dollar et les taux d’intérêt. Est-ce qu’ils modifient vos attentes?

Non, pas vraiment. Le marché a réagi très fortement. Les statistiques confirment la vigueur du marché de l’emploi américain, mais elles ne constituent qu’un indicateur retardé de la conjoncture. Nous ne nous attendons pas à une hausse significative du dollar, ni d’ailleurs à une forte correction baissière.

Dans les obligations, est-ce que vous préférez prendre un risque de duration ou de crédit?

Nous préférons prendre un risque de duration. La politique monétaire a été résolument restrictive au plan global. Sans le vouloir, l’action des banques centrales a même été assez bien coordonnée. Le pic de l’inflation est derrière nous et la baisse devrait se confirmer.

Les obligations indexées sont attrayantes lors des phases, telles qu’aujourd’hui, caractérisées par une incertitude marquée sur l’inflation.

On parle beaucoup de resserrement quantitatif (QT) en ce moment. Les travaux académiques ne trouvent pas de relation directe entre un QT et l’activité économique. Notre analyse à partir de 2008 révèle que la masse monétaire globale s’est accrue de 6% et l’inflation de 2%. Elle a bondi de 16% en 2020 et l’inflation de 8%. Nous prévoyons que la quantité globale de monnaie se contracte de 5% en 2023, si bien que l’inflation devrait diminuer fortement. La désinflation devrait être un phénomène global.

Quelles sont vos perspectives de rendement pour les obligations américaines à 10 ans d’ici la fin 2024?

Nous pensons, comme Olivier Blanchard, l’ancien chef économiste du FMI, que la stagnation séculaire n’est pas morte. La tendance structurelle des taux d’intérêt demeure baissière. Le moteur des taux d’intérêt est d’ordre démographique. La tendance à long terme est donc fonction du vieillissement de la population.

Les taux américains à 10 ans devraient être plus bas dans deux ans qu’aujourd’hui. L’incertitude porte toutefois sur les risques géopolitiques. Face à un risque géopolitique majeur, en l’occurrence une escalade en Ukraine ou un durcissement majeur du conflit entre la Chine et les Etats-Unis, les taux pourraient toutefois augmenter.

Que pensez-vous des obligations indexées à l’inflation?

Les obligations indexées sont attrayantes lors des phases, telles qu’aujourd’hui, caractérisées par une incertitude marquée sur l’inflation. Elles sont surtout des opportunités d’achat dans des pays au bénéfice de structures juridiques solides. Par contre, elles ne protègent guère les investisseurs dans des pays  politiquement instables et qui n’hésitent pas à modifier les indices de prix pour réduire la charge d’intérêts. Nous apprécions ce genre d’instruments en Amérique latine par exemple parce que nous pensons que ces pays ne tenteront pas de mentir sur leur niveau d’inflation.

Est-ce qu’en matière obligataire, les opportunités se situent-elles dans les marchés émergents?

Les pays d’Europe centrale et orientale ont subi une forte hausse des prix, avant même le conflit en Ukraine. Leurs politiques monétaires ont été très restrictives. Nous anticipons donc une forte baisse de l’inflation et des taux d’intérêt dans cette région. Ces pays offrent l’avantage de ne pas présenter une forte indexation des salaires aux prix.

En Asie, à la suite de la réouverture de la Chine, peu de marchés obligataires paraissent attrayants. Nous sommes réservés à l’égard des marchés de taux d’intérêt en Thaïlande, en Malaisie et en Indonésie. En raison de leur position plus tardive dans leur cycle conjoncturel, le potentiel de baisse des taux est supérieur à Singapour et en Corée du Sud.

En Amérique latine, les politiques économiques sont devenues plus populistes. Les taux d’intérêt paraissent historiquement très élevés. Mais les autorités prennent des mesures de soutien à la hausse des salaires et les politiques monétaires risquent de ne pas être assez restrictives. Le niveau des taux ne nous paraît pas suffisamment attrayant.

Que pensez-vous des monnaies de pays exportateurs de matières premières?

Les monnaies des pays exportateurs de commodities ne se sont pas appréciées à l’inverse des cours des matières premières. Les raisons ne sont pas aisées à déterminer. Historiquement, la tendance de ces monnaies constitue un indicateur avancé de la tendance des matières premières. Plus récemment, qu’il s’agisse du dollar australien, du rand sud-africain ou du peso chilien, elles n’ont pas accru leur valeur tandis que les prix des commodities ont nettement progressé. Nous ne pouvons donc guère conseiller ces devises à la hausse. Nous préférons nous fonder sur les données macroéconomiques fondamentales.

Vous avez signé un article indiquant qu’en matière de stabilité financière le FMI était davantage la source du problème plutôt que la solution. Qu’entendez-vous par là?

Le rôle du FMI consiste à créer un système financier global stable. Cela suppose que les contrats puissent être respectés, par exemple sur le marché de la dette privée. Le FMI semble avoir cessé de croire que cette condition doit être remplie et que les pays doivent faire un réel effort pour rembourser leur dette. La question consiste ici à savoir si un pays ne désire pas ou est incapable de satisfaire son contrat. Il est parfois difficile de juger. Nous pensons toutefois que le FMI est allé trop loin dans son autorisation à réécrire les contrats par manque de volonté, par exemple à la suite de difficultés conjoncturelles temporaires. En mettant la pression sur les prêteurs, finalement, il en résulte une perte de confiance à l’égard des pays emprunteurs et une réduction de leurs perspectives de croissance. Le problème a débuté en Argentine, en 2001. Le Ghana est un bon exemple récent à ce sujet.

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