Dette émergente: lutter contre les vents de face

Ricardo Adrogué, Barings

4 minutes de lecture

Nous assistons à une inversion de la mondialisation avec un désengagement des États-Unis vis-à-vis du reste du monde.

Tout au long de 2019, nous avons été confrontés à une myriade de risques macroéconomiques, y compris un ralentissement de la croissance mondiale, qui ont engendré des vents contraires et des incertitudes pour les économies émergentes. Si l’on passe en revue l’univers des marchés de la dette des pays émergents, plusieurs pays se distinguent et notamment la Chine.

L’un des plus grands risques pour les marchés en 2020 sera le ralentissement de la croissance économique de la Chine. Depuis de nombreuses années, sa croissance augmente d’environ 6 à 7% par an, mais les données économiques actuelles indiquent que celle-ci est désormais légèrement inférieure à ce niveau et plutôt proche de 5,5%. Fait intéressant, le gouvernement chinois ne semble pas excessivement préoccupé par cette baisse, et en fait les autorités chinoises semblent avoir délibérément laissé l’économie ralentir plus que prévu. Les raisons de cette décision restent pour l’instant indéterminées, mais elles pourraient être liées à la transition que connaît la Chine actuellement, qui passe d’une économie principalement basée sur le secteur manufacturier à une économie principalement basée sur la consommation. Ou bien ce pourrait être lié à l’évolution des relations commerciales internationales. Ce que nous savons, c’est que les exportations vers les États-Unis ont beaucoup diminué depuis le début de 2019 et que le gouvernement chinois—malgré les manchettes dans les quotidiens locaux, qui alternent entre nouvelles encourageantes et nouvelles décourageantes dans ce domaine—ne semble pas pressé de conclure un accord commercial [avec les États-Unis].

La Chine est disposée à tolérer les conséquences économiques
négatives des tensions commerciales jusqu‘en 2020.

En réalité, nous pensons que la Chine est même disposée à tolérer les conséquences économiques négatives de ces tensions commerciales jusqu‘en 2020, probablement parce qu‘elle a le sentiment qu‘un accord commercial avec le successeur de Président Trump—au cas où celui-ci ne serait pas réélu aux États-Unis—lui serait davantage bénéfique. Il est à noter que les déclarations de Trump sur les médias sociaux concernant les progrès des négociations provoquent désormais des réactions plus atténuées de la part des marchés, ce qui montre que ceux-ci se laissent désormais moins exclusivement influencer par de la pure rhétorique.

Ce à quoi nous assistons actuellement est essentiellement une inversion de la mondialisation dans un contexte où la politique de Trump en matière d’échanges commerciaux manifeste un désengagement des États-Unis vis-à-vis du reste du monde. Les États-Unis et la Chine représentent à eux deux environ 40% du commerce mondial. Par conséquent, à long terme, l’absence de leadership international pourrait avoir des répercussions économiques importantes sur le monde entier, et en particulier sur les économies émergentes qui dépendent de leur commerce extérieur pour satisfaire leurs besoins en biens et en services.

Le Moyen-Orient, une région particulièrement instable.

Le Moyen-Orient est une région complexe et turbulente en général. C’est la région d’origine de trois grandes religions; c’est la principale source de pétrole dans le monde; et depuis plus de 70 ans, elle est largement sous l’influence des États-Unis. Plus récemment, l’Amérique étant devenue de moins en moins tributaire du pétrole en provenance de cette partie du monde et apparemment plus isolationniste, le Moyen-Orient est devenu beaucoup moins stable sur les plans politique et économique et en ce qui concerne les investissements.

Le récent retrait des troupes américaines de la région signifie que la Turquie est désormais particulièrement confrontée aux intérêts très contradictoires et dominants de l’Iran et de la Russie, et elle n’est peut-être pas suffisamment préparée pour faire face aux conséquences d’un tel retrait. De plus, la nouvelle donne signifie qu‘il y a désormais un groupe de puissances dominantes dans la région, à savoir la Russie, l‘Iran, la Syrie, Israël, l‘Arabie saoudite et la Turquie, qui luttent toutes pour ces territoires et pour la sécurité et le pétrole de la région. Avec le temps, l’absence des États-Unis pourrait créer un vide de pouvoir, et personne ne sait encore qui comblera ce vide et succèdera à l’Amérique là-bas. Par conséquent, les investisseurs demeureront probablement confrontés à un climat d’incertitude accrue dans l’intérim.

Une année relativement positive
pour les marchés de la dette des pays émergents.

Pour rappel, les marchés de la dette des pays émergents sont constitués soit de dettes locales, c‘est-à-dire d’obligations libellées dans la devise du pays émetteur, soit de dettes en monnaie forte généralement libellées en dollars américains ou en euros et se présentant sous la forme d‘obligations souveraines ou de sociétés. Tout au long du troisième trimestre, ces trois sous-catégories d‘actif ont généré des rendements proches de 10%, voire légèrement au-dessus de 10%. Les obligations souveraines en monnaies fortes sont arrivées en tête, à environ 13%, suivies des obligations de sociétés en devise forte, à 11% et des obligations en monnaie locale, à 9%. Bien que les devises des économies émergentes se soient affaiblies par rapport au dollar américain, ce qui a nui au rendement de ces titres, les obligations ont progressé en parallèle aux taux du Trésor américain, ce qui a permis de maintenir une performance relativement solide. Les obligations de sociétés, et en particulier celles de type «investment grade», ont également bénéficié de la reprise sur ces marchés compte tenu de leur durée plus élevée.

En dépit des difficultés que nous avons observées tout au long de 2019, ces sous-catégories d’actifs, ces pays et même les différents secteurs au sein des marchés de la dette des pays émergents ne sont pas tous impactés de la même manière, ce qui constitue une distinction importante. Les écarts significatifs qui existent entre les pays qui composent les indices de ces marchés rendent les rendements d’ensemble quelque peu trompeurs. En effet, une très bonne performance globale de la part d’un indice ne signifie pas pour autant que tous les pays ou toutes les entreprises se sont comportés de la même manière. À titre d’exemple, des pays tels que l’Argentine, le Venezuela et la Zambie ont généré des rendements très négatifs par rapport à l’indice de référence, alors que des pays tels que l’Ukraine, l’Équateur et le Salvador ont généré des rendements nettement positifs, toujours par rapport à l’indice. Cela illustre à quel point il est important de gérer de manière active les portefeuilles de titres des marchés de la dette des pays émergents. Il faut non seulement choisir des valeurs performantes et éviter les «brebis galeuses» au sein des indices, mais il est également utile d’avoir la flexibilité d’envisager des valeurs situées en dehors des indices traditionnels étant donné qu’elles sont parfois les plus intéressantes de toutes.

2020, les risques macroéconomiques et politiques ne manqueront pas.

Les pays émergents constituent une partie du monde vaste et diversifiée qui représente globalement un PIB de près de 34’000 milliards de dollars. On parle en effet de plus de 80 pays et de plus de 1’000 entreprises. Par comparaison, le PIB des États-Unis pèse environ 20’000 milliards de dollars. Il y a donc beaucoup d‘opportunités dans le secteur de la dette des pays émergents.

De plus, il est probable que les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) auront de plus en plus d’impact dans ce secteur. La méthode la plus efficace du point de vue des investissements consiste à analyser ces facteurs ESG pays par pays, en les évaluant en termes de durabilité et, à terme, de solvabilité. Il est donc important de chercher à identifier les pays dont les politiques conduiront à une croissance durable, à une dette durable et à des rendements durables pour les investisseurs.

En outre, dans le contexte actuel, une stratégie hybride prenant en compte tout à la fois les pays, les entreprises et les devises présente des avantages potentiels. Ces sous-catégories d‘actifs sont influencées par divers facteurs, qui peuvent ou non se chevaucher. Si, par exemple, les prix du pétrole fluctuent, l’impact de telles variations sur les producteurs de pétrole sera très différent de celui qui affecte les consommateurs de pétrole. Les investisseurs pourraient avoir intérêt à laisser un gestionnaire de portefeuille prendre toutes les décisions tactiques lorsque celui-ci a suffisamment de flexibilité pour capitaliser rapidement et efficacement sur les opportunités offertes par de telles fluctuations.

A lire aussi...