Le «Net Zero» n’est pas pour tous

Yves Hulmann

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Pour certains, le «zéro émission nette» d’ici à 2040 ou 2050 n’est pas assez ambitieux. Pour d’autres, il est irréalisable. Le point avec John Ploeg, PGIM Fixed Income.

Décarbonation, «Net Zero» ou réglementation SFDR font partie des termes incontournables lorsque l’on traite des questions liées à la durabilité et aux critères ESG. Comment s’y retrouver et quels sont les critères les plus pertinents lorsque l’on veut mesurer les émissions de CO2 d’un portefeuille? Le point avec John Ploeg, co-responsable de la recherche ESG chez PGIM Fixed Income.

Comment peut-on mesurer au mieux si un portefeuille donné apporte effectivement une contribution à la réduction des émissions de CO2? Quels sont les critères retenus chez PGIM Fixed Income pour évaluer si les entreprises inclues dans un portefeuille apportent réellement une contribution à la décarbonation de l’économie?

De manière générale, notre analyse repose sur un ensemble de critères qui tiennent aussi compte des spécificités des différents secteurs d’activité des entreprises analysées. Un des critères les plus utilisés est celui de l’intensité en carbone d’une entreprise ou d’un émetteur donné. L’intensité carbone est un indicateur qui compare la quantité de gaz à effet de serre émise par une collectivité ou une entreprise - mesurée par son équivalent en dioxyde de carbone (CO2) – par rapport au PIB d’un pays ou au chiffre d’affaires d’une entreprise.

La question qui se pose ensuite est de savoir par rapport à quel indicateur de référence on calcule l’intensité carbone. Usuellement, l’intensité carbone est mesurée par rapport au chiffre d’affaires. En fonction des secteurs d’activité concernés, le chiffre d’affaires n’est pas nécessairement la mesure la plus pertinente. Dans le secteur aérien, il est peut-être plus intéressant de mesurer l’intensité carbone par rapport au nombre de passagers transportés. Une compagnie aérienne qui transporte un grand nombre de passagers dans des avions avec un taux d’occupation élevé polluera, comparativement, moins qu’une autre qui transportera un faible nombre de passagers. Les exemples varient pour chaque secteur. Le plus souvent, on utilise le chiffre d’affaires comme base de référence parce que c’est l’indicateur le plus simple. Il serait toutefois fréquemment plus pertinent d’utiliser des critères de mesure spécifiques en fonction de chaque secteur.

«SFDR accroît la transparence des placements mais ne dit pas si tel ou tel fonds est meilleur qu’un autre en termes de durabilité.»
Comment tenez-vous compte de l’évolution, ou trajectoire comme on l’appelle, d’une entreprise concernant ses émissions de CO2?

Evaluer la trajectoire d’une entreprise en termes d’émissions de CO2 n’est jamais simple. Ne serait-ce que du point de vue des données utilisées. En général, les sets de données disponible présentent toujours un décalage par rapport à la situation actuelle d’une entreprise. Il est souvent impossible de connaître l’intensité carbone actuelle d’une entreprise. Malgré tout, il est important d’observer la trajectoire d’une entreprise sur la durée. Pour une entreprise active dans la sidérurgie, un secteur qui émet de grandes quantités de CO2, il essentiel de pouvoir disposer de scénarios permettant d’évaluer son intensité carbone au cours des trois, cinq ou dix prochaines années. Il en va autrement s’il s’agit d’un éditeur de logiciels qui peut, certes, afficher une intensité carbone très basse mais qui n’a pas eu besoin de faire beaucoup d’efforts pour y parvenir.

En résumé, il est nécessaire de considérer un grand nombre d’indicateurs, non pas se limiter à un seul. Il faut aussi tenir compte de la trajectoire des entreprises par rapport aux objectifs qu’elles visent. En outre, il est aussi nécessaire de prendre en considération l’évolution d’une entreprise en matière d’émissions de gaz à effet de serre sur la durée. Il ne suffit pas de considérer les émissions à un moment «T» mais aussi de façon cumulée sur la durée.

A supposer qu’une entreprise avait eu des activités très polluantes jusqu’à présent mais qu’elle promet de faire des efforts pour s’améliorer.  Allez-vous tenir compte des objectifs qu’elle se fixe dans le cadre de votre évaluation?

Si une entreprise part d’un niveau très élevé d’intensité carbone, il s’agira d’abord d’évaluer la faisabilité des objectifs qu’elle se fixe pour la réduire. L’accent ne sera donc pas placé sur l’objectif lui-même mais plutôt sur la crédibilité de parvenir à l’atteindre.

Par ailleurs, nous ne pensons pas qu’un seul et même indicateur est le plus adapté pour toutes les entreprises. Atteindre le «Net Zero» n’est pas nécessairement le critère adéquat pour toutes les entreprises de tous les secteurs. Pour certaines entreprises, atteindre le «Net Zero» d’ici à 2040 ou 2050 n’est pas un objectif suffisamment ambitieux – il faudrait l’atteindre dans un délai beaucoup plus court. A l’inverse, pour des sociétés d’autres branches, on peut se demander s’il s’agit d’un objectif réaliste à cette échéance. Dans certains cas, mieux vaut se concentrer sur les objectifs à court terme plutôt que ceux à très long terme. En plus, il est parfois plus pertinent d’utiliser d’autres indicateurs tels que la hausse des températures impliquée («implied temperature rise») que le «Net Zero».

Pour mesurer si une entreprise agit en conformité avec les objectifs qu’elle se fixe, la question des données disponibles est un indicateur critique. Quelles données utilisez-vous?

Nous nous appuyons sur les données fournies par différents prestataires externes, y compris des fournisseurs rémunérés et des ONG, que nous complétons avec notre propre analyse. Les données disponibles ne parviennent pas mesurer tous les aspects. Schématiquement, on pourrait dire que les données disponibles permettent d’évaluer la situation d’une entreprise d’un point de vue environnemental à hauteur d’environ 80%, tandis que les 20% restant nécessitent une analyse manuelle.

Faut-il mettre l’accent uniquement sur les mesures de décarbonation des portefeuilles investis ou est-il nécessaire, en parallèle, de miser sur les entreprises qui fournissent des solutions permettant de s’adapter à un climat qui sera caractérisé par des températures toujours plus élevées?

Sans être pessimiste, on peut constater que le monde n’est actuellement pas du tout sur la bonne voie pour parvenir à contenir la hausse des températures de 1,5 degré visée dans le cadre des objectifs définis par les accords de Paris. En étant réaliste, on voit que cela ne se produit pas. De nouvelles mines de charbon continue d’être ouvertes en vue d’être exploitées, en Australie notamment. De nouvelles plateformes pétrolières sont planifiées au Royaume-Uni.

Maintenant, en ce qui concerne l’adaptation, il s’agit à mon avis plutôt d’une considération faite par certaines entreprises en vue de réduire leurs risques – et cela avant tout dans leur propre intérêt. Une entreprise qui redoute que la hausse du niveau des océans affecte certaines de ses activités pourra, par exemple, adopter des mesures d’adaptation spécifiques pour s’en protéger. Cela réduit ses propres risques mais n’apporte pas pour autant une solution pour la société dans son ensemble.

Au sujet de la règlementation SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), beaucoup d’investisseurs - et parfois aussi des gérants - admettent avoir de la peine à bien comprendre la différence entre les exigences de l’article 8 et celles de l’article 9 (plus restrictives) de la réglementation SFDR. Cette distinction est-elle souhaitable ou créée-t-elle davantage de confusion que de clarté?

Il faut clarifier certains aspects à cet égard. SFDR n’a pas pour vocation de créer un label standardisé destiné à fournir une évaluation du caractère durable ou non d’un portefeuille de placements. La réglementation SFDR a pour avantage de contribuer à apporter de la transparence en matière de placements – mais il ne s’agit pas d’une labélisation des produits financiers en tant que telle, semblable aux étiquettes qui renseignent sur la consommation énergétique des appareils électronique ou des voitures par exemple. SFDR accroît la transparence des placements mais ne dit pas si tel ou tel fonds est meilleur qu’un autre en termes de durabilité.

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