Le doute s’installe sur les performances économiques de la Suisse. Si notre pays brille dans les classements de compétitivité internationale, UBS, dans une étude, se demande si cet élève modèle s’égare. Depuis l’an 2000, la croissance réelle cumulée atteint 50% (contre 28% l’Allemagne et 55% les Etats-Unis). Mais la croissance du PIB par habitant n’est que de 23% en Suisse, contre 25% en Allemagne et 31% aux Etats-Unis. Faut-il s’en inquiéter? Comment réagir? Maxime Botteron, économiste auprès d’UBS Global Wealth Management Switzerland, et co-auteur du rapport, répond aux questions d’Allnews:
Le classement de l’IMD qui place la Suisse au 2e rang mondial en termes de compétitivité est-il excessivement favorable?
Le classement se concentre sur certains facteurs portant sur les conditions-cadres qui déterminent la compétitivité. Sous cet angle, la Suisse est très bien placée en comparaison internationale. Dans notre analyse de la Suisse, notre approche est plus macro-économique et se penche notamment sur le PIB par habitant. La Suisse dispose d’atouts indéniables, mais, ex post, la croissance de la productivité est inférieure à celle de certains autres pays ces 20 dernières années. L’Allemagne a connu, durant cette période, une augmentation significative de la participation au marché du travail par rapport à la Suisse. Il en résulte une augmentation de la richesse par habitant. Ce critère n’est pas pris en compte par l’IMD.
L’IMD souligne certains défis à relever, tels que l’adaptation à l’IA, à la géopolitique et au ralentissement économique. Sommes-nous prêts à nous adapter?
Cela dépend des branches d’activité. La croissance économique suisse a été tirée par des secteurs innovants, comme la pharma. L’innovation ne se limite pas à l’utilisation de l’IA. Notre étude montre aussi que la Suisse dispose d’un grand nombre de start-up et d’une forte capacité à exporter. Nous sommes en tête de nombreux classements et nous sommes prêts à relever ces défis.
«La croissance suisse devrait dépasser celle de la zone euro en 2025».
L’évolution démographique représente un autre défi. La Suisse doit chercher à augmenter le taux de participation au marché du travail des seniors, les 65 ans et plus. Ce taux est inférieur à celui d’autres pays européens. Cette piste doit être analysée à l’aune des besoins et des envies de cette classe de la population. Notre message s’adresse aussi aux entreprises, lesquelles doivent jouer un rôle et encourager l’emploi des 65 ans et plus.
Faut-il changer la loi pour y parvenir?
Des incitations peuvent être mises en place afin d’augmenter le taux de participation sur le marché du travail, par exemple en termes de garde des enfants pour les jeunes parents ou à travers des incitations fiscales en direction des seniors.
Pourquoi vous intéressez-vous à la croissance du PIB par habitant, laquelle est plus lente que dans d’autres pays? Et comment la Suisse pourrait-elle l’accélérer?
La Suisse ne peut enregistrer une croissance des salaires réelles sans augmentation de son PIB par habitant. Pour parvenir à une hausse du revenu, chaque salarié doit augmenter sa productivité. Une stagnation de la productivité ne peut conduire qu’à une stagnation du salaire réel.
Pour augmenter la productivité, la participation au marché du travail est l’une des mesures à envisager. Une seconde consiste à investir dans le capital humain, la formation, et l’innovation. Enfin, on pourrait promouvoir une politique industrielle plus active. Mais cette idée se heurte à la réalité des finances publiques, lesquelles devraient se détériorer significativement ces prochaines décennies. Il appartient donc aux entreprises suisses d’investir dans la formation duale pour augmenter la productivité et donc le PIB par habitant.
N’est-ce pas aussi possible à travers une immigration de main d’œuvre qualifiée?
En général, la Suisse profite déjà d’une immigration de main d’œuvre qualifiée. L’immigration est nécessaire pour répondre à la pénurie de main d’œuvre. L’augmentation du nombre d’habitants accroît le PIB. Mais la récente création d’emplois n’a pas été issue des secteurs les plus productifs.
La Suisse profite d’un tissu de sociétés industrielles familiales axées sur le B2B qui s’avère très performant. Est-ce que les perspectives de ces entreprises est en train de se détériorer?
La détérioration en cours frappe moins la Suisse en particulier qu’elle ne résulte des risques géopolitiques et des tensions commerciales qui compliquent l’accès aux marchés étrangers ainsi que de la hausse des droits de douane dans différents secteurs. Les conditions-cadres restent toutefois favorables en Suisse.
Est-ce que la Suisse souffre de sa situation géographique et des problèmes de nos voisins européens?
La zone euro, notre premier partenaire commercial, partage les mêmes problèmes structurels que la Suisse, à l’image d’un vieillissement démographique qui diminue le potentiel de croissance. Sur le plan cyclique, il apparaît que la croissance économique est assez faible dans la zone euro. Mais nous sommes plus optimistes à court terme. La BCE baisse progressivement ses taux d’intérêt. Cette politique moins restrictive de la zone euro devrait, par ricochet, également soutenir l’économie suisse. Nous prévoyons d’ailleurs une croissance économique suisse supérieure en 2025 à celle de 2024. Les exportations suisses devraient pleinement profiter de la reprise de la demande européenne.
Est-ce que le potentiel de croissance de l’économie suisse (1,5 à 1,75%) devrait augmenter ou diminuer?
Les facteurs démographiques plaident en faveur d’une tendance à la baisse du potentiel de croissance de la Suisse.
«La Suisse doit chercher à augmenter le taux de participation au marché du travail des seniors, les 65 ans et plus».
L’étude d’UBS a mis en évidence les montants considérables des successions ces 20 prochaines années, en l’occurrence de plus de 80'000 milliards de dollars. Est-ce que la fiscalité des successions déterminera les choix des entreprises et de leurs propriétaires?
L’initiative des Jeunes Socialistes pour un impôt de 50% sur les successions de plus de 50 millions sera soumise au peuple en 2025. Elle pourrait représenter un risque pour l’entrepreneuriat en Suisse.
UBS a effectué une étude à ce sujet. Il en résulte que, si cette initiative populaire est acceptée, d’une part, le nouvel impôt sur les successions entraînerait des recettes fiscales significatives. D’autre part, il est tout à fait probable que certaines personnes concernées par ce futur impôt déménageraient. Il faut prendre en compte cet élément, car les personnes très fortunées sont plus mobiles que le reste de la population, comme le montre l’exemple de la Norvège après l’augmentation de l’impôt sur la fortune en 2022.
Où se situent les principaux leviers de l’amélioration des conditions-cadres? Le coût de l’énergie, la fiscalité, les simplifications administratives?
Les gouvernements disposent d’une marge de manœuvre de plus en plus réduite pour baisser les impôts pour les entreprises et les particuliers. Les prévisions de déficits se creusent. Il est davantage probable que l’on assiste à des hausses d’impôts à l’avenir.
Sur l’énergie, à court terme, la transition énergétique s’accompagne d’un coût, mais progressivement nous devrions assister à une augmentation de l’offre, ce qui devrait conduire à des baisses de prix. Les estimations précises sont toutefois peu nombreuses.
Enfin, l’évolution démographique réduit le potentiel de croissance et augmente probablement l’inflation, dans la mesure où elle aggrave la pénurie de l’emploi.
Est-ce que ces deux ou trois prochaines années, la croissance suisse dépassera celle de ses voisins?
La croissance suisse devrait dépasser celle de la zone euro en 2025, même si nous excluons les événements sportifs (1,2% pour la zone euro et 1,5% en Suisse). Le potentiel de croissance suisse sera ensuite assez proche de celui de la zone euro, même si celui de l’Allemagne a sensiblement baissé.
Est-ce que les atouts de la Suisse en termes de productivité permettraient de mieux absorber un choc économique?
La Suisse est à même de mieux absorber les chocs non pas en raison de sa productivité mais plutôt de la structure de son économie. Elle est composée de branches moins cycliques, à l’image de la pharma, principal moteur des exportations. Les stabilisateurs, comme le chômage partiel, aident aussi à traverser les difficultés temporaires. Le faible taux d’endettement public est un autre facteur positif.
La stabilité politique n’est-elle pas un avantage majeur de la Suisse à une époque de troubles géopolitiques?
L’habitude des coalitions est clairement un atout, si l’on compare à la France. L’une des raisons qui nous ont amenés à nous pencher sur ce sujet a été l’acception d’une 13e rente AVS, une initiative qui augmente sensiblement l’Etat social.
Est-ce que l’absence de réformes et le désir de les renvoyer à plus tard sont devenus la norme en Europe?
Des réformes se mettent en place, y compris en France, avec le relèvement de l’âge de la retraite. Mais le coût politique des réformes ne cesse de progresser. Il est d’autant plus nécessaire d’augmenter la productivité et les salaires réels pour accroître le pouvoir d’achat. Une stagnation du PIB réel par habitant rend très compliquée la mise en place des réformes.
Est-ce que les investissements directes devraient augmenter en Suisse en raison des incertitudes politiques chez nos voisins?
Les incertitudes politiques ne sont pas nouvelles en Europe et elles n’ont pas conduit à une augmentation des investissements directs d’entreprises européennes en Suisse. Nous avons davantage assisté à l’arrivée de capitaux financiers à la recherche d’un pays refuge.