La singularité de son modèle fait la force de la Mobilière

Philippe Rey

3 minutes de lecture

Le statut de coopérative incite l’assureur toutes branches à se montrer encore plus innovant et discipliné, selon la CEO Michèle Rodoni.

La plus ancienne société d’assurances privée de Suisse affiche la meilleure marge de solvabilité parmi ses pairs. Cet avantage doit continuer à être préservé. Entretien avec Michèle Rodoni, CEO du groupe basé à Berne.

Le modèle de coopérative n’amène-t-il pas la Mobilière à se montrer plus agressive en termes de tarification et conditions au regard des autres assureurs cotés en Bourse?

Le Groupe Mobilière agit en conformité avec le marché en termes de prix et d’offre. Nous n’effectuons aucun dumping et notre objectif est d’être meilleurs que la concurrence en matière de services. Par exemple, la Mobilière est le seul groupe qui gère directement les sinistres localement, au travers de ses agences générales, si bien que celles-ci agissent comme des PME. Notre ancrage régional est un facteur de différenciation important. Cela signifie en particulier une proximité plus grande avec la clientèle, et une attention spéciale au contact humain. Nous complétons cet atout avec nos capacités numériques. L’avantage d’être une coopérative est que nous n’avons pas à arbitrer en termes de redistribution des excédents entre les actionnaires et les assurés, mais que nous pouvons pleinement nous concentrer sur ces derniers.

«La tarification des produits est devenue plus complexe depuis la libéralisation du marché de l’assurance en 1993, surtout dans l’assurance non-vie.»
La forte capitalisation du groupe, avec un quotient de solvabilité SST (Test suisse de solvabilité) de 516% au 1er janvier 2022, bien au-dessus de la moyenne, reflète une politique disciplinée de sélection des risques…

La tarification des produits est devenue plus complexe depuis la libéralisation du marché de l’assurance en 1993, surtout dans l’assurance non-vie. La concurrence s’est accrue au niveau des prix. Ce qui nous oblige à mener sans relâche une gestion professionnelle et disciplinée des risques et des placements de capitaux.

Avec un capital porteur de risque de plus de 10 milliards de francs et des fonds propres consolidés supérieurs à 6 milliards, le groupe n’est-il pas surcapitalisé au regard du volume des primes de 4,3 milliards en 2021?

Ce n’est pas un luxe, car nous devons prêter une attention particulière à notre mix d’affaires et à notre statut de coopérative. Ce dernier ne nous permet pas d’accéder au marché financier comme le peut une société d’assurances cotée en Bourse. En outre, une forte capitalisation permet non seulement de faire face à la volatilité du marché de l’assurance, mais également d’agir avec flexibilité et de cultiver le facteur confiance vis-à-vis des clients. N’oubliez pas que la pandémie a coûté à la Mobilière 530 millions de francs.

Quel est l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur la marge de solvabilité SST?

Il est globalement neutre, de même que sur le compte de résultat jusqu’ici, sans perdre de vue que nous pouvons réinvestir les liquidités à des taux plus élevés. La méthode du coût amorti s’applique aux placements à revenu fixe (les obligations, les prêts et les prêts hypothécaires), qui sont généralement détenus jusqu’à leur échéance.

Concurrence par les prix et augmentation des coûts fixes à la production (systèmes informatiques et numérisation) combinées exigent-elles une efficacité accrue et un plus grand volume d’affaires?

La Mobilière assure aujourd’hui un tiers des entreprises et des ménages en Suisse, ce qui signifie que nous pouvons faire valoir des effets d’échelle. Parallèlement, nous poursuivons notre transformation numérique, en utilisant la technologie afin d’enrichir l’expérience client et d’intégrer encore davantage la perspective de notre clientèle dans le développement de nos univers d’offres. A cet égard, nous nous concentrons sur deux axes: la modernisation de notre cœur de métier et le développement de nos écosystèmes axés autour de l’habitat et des PME, entre autres avec Swiss Caution et le portail immobilier Flatfox ainsi que Bexio. Nous sommes donc un partenaire global qui propose bien plus que des solutions d’assurances.

«Certes, nous nous concentrons sur le marché suisse, mais nous accélérons le développement de nos activités dans le numérique avec Companjon.»
La Mobilière a-t-elle l’intention de développer la gestion d’actifs ou asset management pour des tiers et non seulement en propre?

Nous le faisons déjà de manière limitée, simultanément à notre spécialité dans la gestion des risques biométriques, avec des solutions de placement pour les caisses de pension et des fonds de placement pour les investisseurs privés. Nos clients bénéficient de l’effet d’échelle de la Mobilière. Et nous leur proposons les mêmes produits que ceux que nous utilisons nous-même. Au demeurant, c’est un secteur très compétitif.

L’américain Progressive Corp a été le premier assureur à adopter la télématique comme méthode de suivi des conducteurs d’automobile utilisant la technologie GPS pour mieux déterminer les tarifs et cibler les clients. Le faites-vous?

Avec notre assurance voiture CleverDrive, nous appliquons une approche analogue au segment des jeunes conducteurs. L’objectif est d’inciter à un bon comportement sur la route, ce qui favorise une faible sinistralité et donc une tarification plus avantageuse. Au final, chaque partie y gagne. Nous accordons d’ailleurs de plus en plus d’importance à la prévention et à la sécurité au moyen de services correspondants, qu’il s’agisse de mobilité, d’habitat et de cybersécurité. Un exemple: depuis années, nous soutenons, à travers notre laboratoire de recherche sur les risques naturels à l’Université de Berne, la recherche dans les domaines des impacts climatiques et des risques naturels. Depuis 2006, la Mobilière a soutenu 155 projets de protection contre les dangers naturels dans toute la Suisse à hauteur de 40 millions au moyen de son fonds d’excédents de la coopérative.

Votre stratégie consiste-t-elle à vous focaliser exclusivement sur le marché suisse?

Un élément fort de cette stratégie est le développement omnicanal, donnant le libre choix au client d’accéder à nos produits et services par des canaux numériques ou analogiques selon son choix. Nous avons ainsi un service à la clientèle complet. Certes, nous nous concentrons sur le marché suisse, mais nous accélérons le développement de nos activités dans le numérique avec Companjon, (ndlr: Mobilière Suisse Assurance en détenait 98,8% du capital à la fin 2021). Cette dernière est une assurance numérique add-on que nous avons créée en 2020 à Dublin, en Irlande. Et avec laquelle nous testons au sein de l’UE, autrement dit sur un marché au volume suffisant, un nouveau modèle d’affaires avec une gamme de produits comprenant des solutions d’assurance exclusivement numériques dans le domaine des voyages et des loisirs. C’est un modèle d’affaires original et tourné vers l’avenir.

A lire aussi...