La place financière genevoise se porte bien

Nicolette de Joncaire

4 minutes de lecture

Hausse des actifs sous gestion, croissance des apports nets de fonds: le bilan de 2023 est positif. Entretien avec Edouard Cuendet, directeur de la Fondation.

Selon les résultats de l’enquête annuelle menée par la Fondation Genève Place Financière, la moitié des acteurs ont enregistré une hausse de leurs actifs sous gestion au premier semestre 2023 avec une croissance des apports nets de fonds supérieure à 5% pour la plupart des établissements. Une majorité d’entre eux a l’intention de continuer à étoffer ses effectifs en 2023 et en 2024, en particulier dans le «front office». A noter, la montée rapide des taux d’intérêt a inversé la dynamique dans la gestion de fortune. D’un côté, elle a soutenu le résultat net des opérations d’intérêt, mais de l’autre, elle a engendré l’attentisme chez les clients, plus frileux vis-à-vis des actifs risqués. Côté finance durable, la quatrième édition de Building Bridges a mis Genève et le savoir-faire de sa Place financière sur le devant de la scène internationale. Quant à l’impact de la disparition de Credit Suisse, il est encore trop tôt pour le mesurer. Quelques questions à Edouard Cuendet, directeur de la Fondation Genève Place Financière.

Comment se présentent les derniers chiffres de l’enquête conjoncturelle de la place financière genevoise?

Selon l’enquête conjoncturelle 2023-2024, l’ensemble des établissements bancaires, des gestionnaires de fortune et autres intermédiaires financiers anticipent une bonne année 2023 et se montrent confiants pour 2024. Les résultats de cette enquête, menée chaque année par la Fondation Genève Place Financière, démontrent la solidité et le dynamisme du secteur bancaire et financier face à un contexte exigeant.  En ce qui concerne la gestion de fortune, qui constitue l’un des piliers de la place financière genevoise, la moitié des acteurs financiers ont enregistré une hausse de leurs actifs sous gestion au premier semestre 2023. Ce chiffre démontre que cette activité a le vent en poupe, après une année 2022 difficile marquée par le repli des marchés. Ce rebond est également illustré par plusieurs indicateurs à la hausse. Le bénéfice net est en augmentation et la tendance concernant l’évolution des effectifs est plutôt favorable. De plus, la croissance des apports nets de fonds est supérieure à 5% pour la plupart des établissements. Le second semestre 2023 devrait ressembler au premier, avec un regain d’activité des investisseurs. Tous ces éléments convergent vers la même conclusion: la confiance de la clientèle envers notre Place financière reste intacte.

La place reste-elle attractive? Quels sont les secteurs/activités montantes?

Tous les signaux indiquent que la place financière genevoise demeure attractive. Dans la gestion privée, plus des deux tiers des établissements financiers ont enregistré à fin juin 2023 une augmentation des apports nets de fonds, en comparaison de fin 2022. Cette évolution positive résulte prioritairement d’une clientèle résidant à l’étranger. Les clients sont donc toujours demandeurs des services offerts par la place financière genevoise. Dans le détail, deux zones géographiques sont en forte progression. Il s’agit du Moyen-Orient et de l’Europe. Pour la gestion institutionnelle, nous observons une légère augmentation des apports nets de fonds. Dans ce domaine d’activités, la clientèle est majoritairement helvétique.

La disparition de Credit Suisse a bouleversé le paysage bancaire helvétique. La Place genevoise sera certainement impactée par cet événement.

Toujours selon l’Enquête conjoncturelle 2023-2024, la majorité des acteurs financiers ont l’intention de continuer à étoffer leurs effectifs en 2023 et en 2024, en particulier dans le «front office». Les défis posés par l’évolution constante des réglementations, l’émergence des nouvelles technologies et les opportunités offertes par la finance durable exigent un développement continu des compétences du personnel bancaire et financier. C’est pourquoi, la formation demeure une priorité. Or, dans ce domaine, Genève a la chance de disposer d’une infrastructure de pointe avec l’Université de Genève qui grimpe de 13 places pour s’établir dans le top 50 du classement de Shanghai, l’un des rankings de référence. Notre Place bénéficie aussi d’une offre variée et de qualité de formations continues grâce à l’Institut Supérieur de Formation Bancaire et à la Haute Ecole de Gestion.

Quels sont les secteurs/activités en perte de vitesse?

Dans le domaine de la gestion de fortune, la clientèle de l’est de l’Europe et, dans une moindre mesure, celle d’Amérique latine, sont celles pour lesquelles nous pouvons constater une perte d’attractivité. Ceci n’a rien d’étonnant en raison des sanctions appliquées par la Suisse envers les clients russes, qui ne constituent toutefois pas un marché systémique pour la place financière genevoise.

La montée rapide des taux d’intérêt a davantage impacté la marche des affaires, inversant la dynamique dans la gestion de fortune: d’un côté, ils ont soutenu à la hausse le résultat net des opérations d’intérêt des établissements bancaires, mais de l’autre, ils ont engendré une attitude attentiste de la part des clients. Il est donc à prévoir que les banques vont continuer à dégager davantage de revenus d’intérêt. Mais il faudra attendre que l’inflation soit maîtrisée pour que les banques centrales assouplissent leurs politiques monétaires et que les clients retrouvent pleinement leur appétit au risque.

Quel est l’impact de la reprise de Credit Suisse par UBS sur la place genevoise?

La disparition de Credit Suisse a bouleversé le paysage bancaire helvétique. La Place genevoise sera certainement impactée par cet événement. S’il est trop tôt pour en connaître l’ampleur précise, la question des emplois a toute notre attention. L’annonce faite par la nouvelle banque le 31 août dernier indique la suppression de 3'000 postes en Suisse. A Genève, UBS et Credit Suisse emploient 1'700 collaboratrices et collaborateurs. Or, ces derniers sont majoritairement actifs dans le «front office», dans lequel les doublons sont moins nombreux. Par ailleurs, ils possèdent des compétences de pointe très recherchées. On peut donc espérer que les personnes qui seront concernées par ces suppressions retrouvent un poste auprès d’un autre acteur financier.

Quel est l’impact de Building Bridges sur la notoriété de la place financière? Comment se manifeste cet impact et quels sont les traits les plus marquants?

La quatrième édition de Building Bridges a mis Genève et le savoir-faire de sa Place financière sur le devant de la scène internationale. De plus en plus d’acteurs financiers se joignent à ce mouvement en devenant sponsors ou organisateurs d’événements. Entre la première édition en 2019 et aujourd’hui, il est indéniable que cet événement a pris de l’ampleur tant en termes de fréquentation que de qualité des discussions. Cette semaine sur la finance durable a permis non seulement de poursuivre le dialogue entre toutes les parties concernées, mais surtout a contribué à établir des plans d’action dans plusieurs domaines, à savoir le climat, la nature, la biodiversité ou encore le social. En tant que Founding Partner de cette manifestation, la Fondation Genève Place Financière se montre attentive à ce que les actes suivent les paroles. C’est pourquoi, l’atelier, qu’elle a organisé conjointement avec l’Association suisse des banquiers et l’Asset Management Association, a eu pour objectif de déterminer dans quelle mesure des données fiables et des standards constituent des éléments décisifs pour accélérer la durabilité.

L’an dernier, la place financière s’inquiétait de l’évolution des différents régimes de taxation. Ces aspects restent-ils préoccupants?

2023 a été une année charnière pour la compétitivité fiscale de la Suisse. Deux issues favorables ont été gagnées dans les urnes en mars en juin. L’Initiative 179 qui visait à imposer 100% des dividendes a été balayée par près de 60% du peuple genevois. Ces mêmes citoyens se sont prononcés à plus de 55% contre l’Initiative 185 dont le but était d’augmenter l’impôt sur la fortune, évitant ainsi un exil fiscal qui aurait fragilisé encore davantage la pyramide fiscale genevoise. En tout état, nous pouvons saluer ces deux votes qui témoignent du soutien et de la confiance des Genevois envers l’activité entrepreneuriale et les PME.

Il a souvent été question de «Swiss finish». Est-ce toujours d’actualité?

La question du «Swiss finish» est plus que jamais d’actualité dans les deux dossiers phares de l’année 2023:  la reprise de Credit Suisse par UBS et les sanctions contre la Russie. Ces deux dossiers ont en effet un point commun: le risque d’une surenchère réglementaire. Si le perfectionnisme suisse peut être considéré comme un gage de qualité, la réglementation doit rester conforme au principe de la proportionnalité.

Or, suite à la fusion entre Credit Suisse et UBS, le monde politique a immédiatement réagi en déposant de nombreux textes portant sur le système de rémunération des banques avec pour conséquence la suspension, voire la suppression, des rémunérations variables. Notre pays doit ainsi se garder de réagir de manière émotionnelle et d’adopter des règles supprimant de manière disproportionnée et non différenciée ces rémunérations pour éviter une distorsion de concurrence.

Le même raisonnement peut s’appliquer aux sanctions contre la Russie en ce qui concerne la question de la confiscation des avoirs gelés. En effet, le droit suisse n’autorise pas l’expropriation d’avoirs privés sans indemnisation, du moment que leur origine n’est pas illégale. Certains argumentent cependant qu’il faudrait suivre l’exemple de l’Union européenne. Or, la Présidence suédoise de l’UE a rappelé en avril 2023 le respect de l’Etat de droit. Berne suit donc la même ligne que Bruxelles. Il est primordial d’œuvrer pour le respect et la promotion de l’Etat de droit et de la démocratie directe.

En conclusion, la Suisse serait bien avisée de respecter une neutralité réglementaire et de tenir compte de la réalité d’une concurrence féroce pour l’obtention de parts de marché.

 

Lire également: Les acteurs bancaires et financiers se montrent optimistes pour 2024

A lire aussi...