La pharma suisse est peu exposée au risque d’une hausse des droits de douane

Yves Hulmann

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Pour Maxime Botteron, économiste chez UBS, il serait en outre politiquement délicat pour le gouvernement américain de taxer des produits pharmaceutiques importés.

Si l’inflation est actuellement moins un sujet de préoccupation pour les investisseurs qu’il y a un an à la même période, les incertitudes liées à l’impact de l’introduction de droits de douanes par la future administration dirigée par Donald Trump sont, elles, devenues un enjeu majeur en vue de l’année prochaine. Cette thématique concerne aussi la Suisse compte tenu de l’importance du marché américain pour ses entreprises exportatrices, notamment la pharma. Le point sur ces questions avec Maxime Botteron, économiste senior au sein de l’équipe du Chief Investment Office d’UBS Global Wealth Management d’UBS, qui s’exprimait à l’occasion de la présentation des perspectives d’investissement pour 2025 («UBS Year Ahead 2025») par le numéro un bancaire helvétique jeudi.

Alors que les marchés boursiers poursuivent sur leur lancée, en particulier aux Etats-Unis, la croissance reste faible en Europe et nombre d’entreprises industrielles licencient, notamment dans l’industrie automobile en Allemagne. Entre ces deux pôles, quelles sont vos attentes pour l’économie suisse pour l’an prochain?

S’agissant du PIB suisse - hors événements sportifs -, nous anticipons une accélération de la croissance à 1,5% en 2025, contre 1% estimé pour l’année 2024. En incluant les événements sportifs, l’écart est moins marqué avec une croissance du PIB helvétique attendue à 1,3% en 2025, contre 1,4% pour l’année qui s’achève.

En ce qui concerne la zone euro, nous anticipons aussi une légère accélération de la croissance du PIB qui devrait atteindre 0,9% en 2025, après 0,7% estimé pour 2024. La reprise de la croissance dans la zone euro devrait être soutenue par une reprise de la consommation des ménages et une amélioration de l’activité industrielle.

«Le problème principal de l’économie suisse actuellement est la surcapacité dans l’industrie. Les secteurs des métaux et des machines subissent la faiblesse conjoncturelle de l’industrie européenne.»

Pour les Etats-Unis, la croissance a nettement dépassé les attentes cette année et un modeste ralentissement semble probable l’année prochaine. Le taux de 1,9% que nous anticipons pour 2025 démontre toutefois une croissance solide.

Vu d’Europe, on entend actuellement surtout parler de surcapacités dans l’industrie, de croissance atone, voire d’un risque de récession. Ce n’est pas ce qu’indiquent vos prévisions?

Non. Aux Etats-Unis, le risque de récession est de toute façon assez faible, d’autant plus que la baisse des taux directeurs de la Fed va commencer à produire ses effets sur l’économie. Du côté de la zone euro, l’Allemagne, la première économie européenne, souffre de la faiblesse de son secteur industriel, freiné par des prix de l’électricité et des taux d’intérêt élevés ainsi que la faible demande chinoise. Toutefois, il y a aussi des points positifs : on constate des premiers signes de rebond de la consommation des ménages et le taux de chômage reste bas historiquement. Quant à l’inflation, elle est à nouveau à peu près sous contrôle, ouvrant ainsi la porte à un relâchement de la politique monétaire. Une des déceptions de cette année, d’un point de vue économique, c’est que les consommateurs européens ont plutôt augmenté leur épargne plutôt que de consommer davantage.

En ce qui concerne le recul de l’inflation observée dans la plupart des pays industrialisés cette année, l’élection de Donald Trump début novembre a fait ressurgir des craintes que l’imposition de droits de douanes aux importations de toutes sortes de pays puisse finir par relancer l’inflation aux Etats-Unis, ce qui serait potentiellement négatif pour les marchés. Est-ce un risque dont il faut tenir compte?

Tout dépend bien sûr de la manière avec laquelle ces droits de douane seraient imposés – de manière universelle ou seulement sur des produits spécifiques? Même si des droits de douanes sont imposés suite à l’entrée en fonction de Donald Trump en janvier 2025, leurs mises en œuvre dépendra du processus législatif. L’impact de l’imposition d’éventuels droits de douanes ne se ferait probablement ressentir qu’à partir de la seconde moitié de l’an prochain.

Quelle serait leur impact sur l’inflation? Une hausse de 10% des droits de douanes se traduirait-elle automatiquement par une augmentation des prix des biens importés de même ampleur?

Non, on ne peut pas calculer aussi simplement. Aux Etats-Unis, l’importation de marchandises représente environ 13% du produit intérieur brut. Même à supposer que tous les biens importés soient taxés à hauteur de 10% par des droits de douane, cela se traduirait, tout au plus, par une hausse des prix d’environ 1,3%. On ne pas dire, une hausse des droits de douane de 10% ou de 20% se traduira par une augmentation de prix équivalente.

Pour les entreprises suisses qui sont largement tournées vers les exportations, comme c’est le cas du secteur pharmaceutique, quel pourrait être l’impact d’une forte hausse des droits de douane aux Etats-Unis?

60% des exportations suisses en direction des Etats-Unis sont constituées par la pharma. Donc, effectivement, une hausse des droits de douane aurait un impact important. Toutefois, il faut tenir compte de quelques aspects spécifiques aux produits pharmaceutiques. Premièrement, l’élasticité des prix est faible dans ce secteur. Une hausse des prix ne devrait donc pas trop réduire la demande pour les produits pharmaceutiques. Deuxièmement, les entreprises suisses exportatrices sont habituées à devoir faire face à des hausses de leurs prix de vente en raison de l’appréciation du franc. Par exemple, le franc s’est apprécié de plus de 8% face au dollar en mai et septembre cette année. Une telle évolution n’est pas tellement différente à l’imposition de droits de douane de 10%.

«L’hypothèse d’un retour à une situation de taux négatifs n’est plus un sujet tabou mais ce n’est pas non plus notre scénario principal.»

Troisièmement, la question de savoir si le gouvernement américain peut vraiment imposer des droits de douane sur les produits pharmaceutiques comme sur d’autres produits se pose aussi. Est-ce que les électeurs américains apprécieraient de voir augmenter encore les prix de produits qu’ils ne consomment pas par choix? Politiquement, c’est très délicat.

Autre secteur suisse d’exportation, l’agroalimentaire. Au cours des derniers mois, l’action de Nestlé n’a cessé de perdre de sa valeur. Cela pourrait-il devenir un problème plus large pour ses sous-traitants – ou s’agit d’une situation très spécifique à cette multinationale?

En Suisse, l’évolution du SMI ne reflète pas vraiment celle de l’économie suisse dans son ensemble. Le problème principal de l’économie suisse actuellement est la surcapacité dans l’industrie. Les secteurs des métaux et des machines subissent la faiblesse conjoncturelle de l’industrie européenne. Malgré cette situation difficile, un rebond de la conjoncture dans l’UE devrait petit à petit permettre d’améliorer les choses.

De plus, la compétitivité de l’économie suisse ne se fait pas en jouant sur les prix mais elle repose plutôt sur la qualité et la complexité de ses produits.

L’inflation ne semble plus vraiment être le sujet de préoccupation du moment. Qu’anticipez-vous concernant l’inflation et en matière de taux pour 2025?

L’inflation devrait continuer de reculer à 0,7% en 2025, après un taux de 1,1% estimé pour 2024. Nous anticipons toujours deux baisses de taux du côté de la BNS jusqu’en mars prochain, ce qui ferait passer passer le taux directeur de 1% actuellement à 0,5% au printemps prochain.

Certains experts redoutent déjà un scénario de retour aux négatifs et émettent des craintes quant à un risque de déflation en Suisse. Qu’en pensez-vous?

Pour que cela soit le cas, il faudrait qu’il y ait une récession dans la zone euro qui entraînerait une nouvelle appréciation du franc par rapport à l’euro, réduisant à nouveau le niveau d’inflation. Nous n’en sommes toutefois pas là. L’hypothèse d’un retour à une situation de taux négatifs n’est plus un sujet tabou mais ce n’est pas non plus notre scénario principal. 

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