L’or profitera d’une inflation durablement élevée

Emmanuel Garessus

3 minutes de lecture

L’or et les métaux industriels profiteront en 2023 d’un moindre recul de l’inflation qu’attendu, avance Ole Hansen, de Saxo Bank.

Depuis plus d’une décennie à la tête des matières premières chez Saxo Bank, Ole Hansen est l’un des experts les plus écoutés dans la branche. Dans une interview à Allnews, il se dit convaincu de la poursuite de la tendance haussière des commodities. Malgré l’affaiblissement conjoncturel attendu, la demande de pétrole continuera d’augmenter, à son avis. Mais il se révèle avant tout haussier sir les métaux industriels et les métaux précieux.

L’année 2002 est celle de l’inflation, de la guerre en Ukraine et de mauvaises performances pour l’investisseur. Quelles leçons tirez-vous de cette année?

Ole Hansen: Cette année a mis le doigt sur l’importance des effets de l’inflation sur les actifs financiers et sur le comportement des marchés. Comme beaucoup d’investisseurs et de traders n’ont pas vécu la dernière grande phase d’inflation, celle des années 1970, la courbe d’apprentissage a été forte.

L’année 2022 a été le témoin de profonds changements dus à la guerre et aux tensions entre l’Est et l’Ouest, comme chacun a pu s’en rendre compte lors de la dernière réunion du G20. La situation géopolitique a profondément changé. Il en est résulté une scission du monde en deux grands espaces, d’une tendance à l’autonomie et au réarmement.

Quels sont les gagnants?

Les grands gagnants se trouvent au sein des commodities, des énergies renouvelables, de l’énergie nucléaire, de la cybersécurité et de la défense. On sous-estime d’ailleurs à quel point la transition énergétique nécessite différents métaux industriels, en premier lieu du cuivre.

La déglobalisation et les tendances ci-dessus devraient conduire à une hausse des prix pour les consommateurs puisque le but de la globalisation était précisément d’obtenir les plus bas coûts de production possibles. La priorité se déplace vers la sécurité de l’approvisionnement, mais cet objectif a un coût.

Nous pensons que l’inflation dans les principales économiques sera comprise entre 4 et 5% et non pas 3%.
Partagez-vous l’optimisme actuel sur le recul de l’inflation?

J’observe un fort vent d’optimisme sur l’inflation. Beaucoup d’investisseurs pensent qu’elle sera bientôt sous contrôle et qu’ils pourront profiter de nouvelles opportunités d’investissements. Les marchés risquent d’être à nouveau déçus. Les prix des commodities pourraient monter malgré le ralentissement économique en raison des difficultés liées à l’offre et les indices d’inflation pourraient décevoir les prévisions. La déglobalisation pousse aussi les prix à la hausse.

Nous pensons que l’inflation dans les principales économiques sera comprise entre 4 et 5% et non pas 3%. J’aimerais détenir de l’or afin de me protéger contre cette évolution. D’ailleurs en 2022, l’investisseur européen a gagné de l’argent en détenant de l’or, si l’on prend en compte la hausse du dollar.

Quelles sont les difficultés que vous attendez dans l’offre de matières premières?

L’affaiblissement de la demande qui résultera des politiques monétaires n’empêchera pas la demande de dépasser l’offre, en particulier dans l’énergie. La raison tient aux fermetures de raffineries durant la pandémie et au niveau de capacités de raffinage encore réduites. Le marché est également pénalisé par les sanctions à l’égard de la Russie. L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) a réduit mardi ses estimations de croissance de la demande à 1,6  million de barils par jour, contre 2,1 millions précédemment. Mais cela signifie que la demande augmentera encore.

Quant aux métaux industriels, nous assistons à un rebond des prix en réponse aux mesures d’assouplissement des règles liées au covid à un moment où l’offre est limitée.

Pensez-vous que la Fed détienne la clé des perspectives des matières premières pour 2023?

La Fed détient effectivement la clé des perspectives des matières premières les plus sensibles aux taux d’intérêt et au dollar, c’est-à-dire avant tout des métaux précieux et dans une moindre mesure des industriels.

En 2022, les cours de l’or et de l’argent ont été pénalisés par la forte hausse du dollar et des taux d’intérêt. Un changement de tendance de ce dernier au cours des prochains trimestres, combiné à un moindre repli de l’inflation que celui qu’attend le marché pourraient pousser les cours des métaux industriels et des métaux précieux à la hausse en 2023.

Est-ce que la hausse des commodities est un phénomène à court terme ou une tendance qui perdurera des années?

Nous sommes sur un trend clairement haussier à long terme. Il est important de comprendre la dynamique du marché dans la perspective du prochain ralentissement économique. Nous sortons d’une décennie de sous-investissement sur la plupart des marchés de matières et d’une concentration sur l’investissement respectant les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Il en est résulté une insuffisance de capacités pour financer à la fois la croissance économique et la transformation énergétique. Cette dernière a besoin de nombreux métaux industriels. La hausse de l’inflation et du dollar a entre-temps accru les coûts de production des producteurs, notamment des coûts de l’énergie. Les producteurs sont très disciplinés dans leurs investissements, notamment face à l’incertitude sur la rentabilité de leurs éventuels investissement. Le pétrole est abondant dans nos sous-sols, dans le monde, mais parviendra-t-on à maintenir le niveau de production?

Les événements de 2022 ralentiront toutefois le processus de transition énergétique.
Quel est votre scénario?

Mes prévisions se veulent conservatrices. Mon scénario prévoit que le ralentissement conjoncturel ne diminuera pas la demande naturelle de pétrole. Compte tenu des problèmes d’offre, il en résultera un cours du baril proche des 100 dollars. Les consommateurs souffriront toutefois des problèmes de raffinage à travers les prix du diesel et de l’essence.

Quelles sont les matières premières qui devraient le plus s’apprécier ces trois prochaines années?

Je favorise les métaux industriels qui profiteront de l’incapacité des banques centrales à réduire l’inflation au niveau promis.

Quelles matières premières profitent le plus de la hausse des dépenses militaires?

Cela dépend des choix militaires qui seront effectués. L’argent ira probablement moins en chars d’assaut, donc en acier, qu’en nouvelles technologies et en cybersécurité. Le réarmement ne devrait pas modifier profondément les marchés de matières premières.

Est-ce que l’investissement ESG conduira à une hausse des prix des énergies fossiles?

L’investissement ESG a sans doute conduit à un relèvement des bénéfices des groupes énergétiques en raison de la hausse des prix du pétrole, laquelle traduit une réduction des investissements liés à l’ESG pour trouver des barils supplémentaires. Ces groupes regorgent de cash et hésitent à accroître leurs investissements dans des projets d’exploration d’énergies fossiles. Mais je ne crois pas que ces tendances amèneront davantage d’investisseurs vers les énergies fossiles. Les événements de 2022 ralentiront toutefois le processus de transition énergétique.

A lire aussi...