L’innovation naît principalement dans des entreprises issues des marchés privés

Yves Hulmann

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Selon Nils Rode de Schroders, la démographie, la décarbonation et la déglobalisation resteront des facteurs clés pour les choix d’investissement dans le private equity ces prochaines années.

A la différence des placements effectués dans des sociétés cotées en bourse qui peuvent faire l’objet de choix tactiques à plus ou moins court terme, investir dans le capital-investissement (private equity) requiert par définition un horizon d’investissement à plus long terme. Sur la base de quels critères peut-on s’orienter lorsque l’on choisit d’investir dans des entreprises pendant des périodes qui s’étendent sur plusieurs années? Les marchés émergents tels que l’Inde se prêtent-ils aussi aux placements dans le private equity lorsque l’on est basé en Europe? Tour d’horizon de ces différentes questions avec Nils Rode, directeur des investissements (CIO) chez Schroders Capital, lors d’un entretien effectué à l’occasion d’une journée consacrée aux actifs privés et aux placements alternatifs qui s’est tenue en mars à Zurich.

Dans le domaine du capital-investissement, Schroders mise sur le concept de «3D Reset». Pouvez-vous décrire quels sont ces trois «D» et quelle est votre approche d’investissement dans ce domaine?

Quand vous êtes actifs dans le capital-investissement, vous devez tenir compte d’un horizon de placement de long terme, situé typiquement entre 4 et 8 ans. C’est pourquoi nous orientons nos décisions d’investissement autour de thèmes qui resteront importants non seulement au cours des 2, 3 ou 4 prochaines années mais aussi pour l’ensemble d’une décennie, voire davantage. Il y a déjà dix ans, nous nous étions demandés quelles seraient les tendances les plus décisives à long terme pour la performance de nos placements et c’est dans ce cadre que nous avons identifiés ces trois tendances.

«L’Inde dispose d’un secteur du capital-investissement très dynamique, aussi bien dans le private equity que dans le domaine du capital-risque proprement dit.»

Et quelles sont les tendances représentées par ces 3 «D»?

Nous avons identifié en particulier la démographie, la décarbonation de l’économie et la déglobalisation – d’où l’acronyme «3D». Bien sûr, d’autres thèmes où développements actuels, comme l’intelligence artificielle (AI), entrent aussi toujours davantage en ligne de compte dans notre analyse. Toutefois, les «3D» continueront d’avoir une influence déterminante dans nos choix d’investissement au cours des prochaines années. Un aspect clé de ces trois thèmes est qu’il s’agit de tendances relativement prévisibles et qui continueront d’influencer de nombreux aspects de la société et de l’économie à long terme.

Si l’on commence par la démographie, quels que soient les innovations technologiques du moment, différents pays ou régions du monde comme l’Inde, la Chine et l’Europe resteront profondément influencés par l’évolution démographique au cours des prochaines décennies. Et cela aura aussi un impact sur les choix de mettre l’accent sur le développement de certaines technologies, à l’exemple de la robotique dans les pays industrialisés.

La décarbonation de l’économie restera, elle, aussi un sujet majeur au cours des prochaines années. Cela influencera les choix effectués en matière de production d’énergie, la demande pour certains matériaux et matières premières tout comme la consommation.

Qu’en est-il du troisième thème de la déglobalisation: n’est-il pas un peu hâtif de conclure que l’économie mondiale fonctionnera à l’avenir de manière moins globale qu’il y a dix ou quinze ans?

Bien sûr, on ne peut jamais considérer les choses tout en noir ou tout en blanc. On observe néanmoins qu’après une phase d’accélération de la mondialisation jusqu’au début des années 2010, ce mouvement a été ensuite considérablement freiné. La pandémie de Covid 19, plus les tensions géopolitiques croissantes au cours des dernières années, ont obligé les entreprises et les Etats à accorder la priorité à la fiabilité et à la sécurité de leurs chaînes d'approvisionnement. Cela a obligé les entreprises à envisager une relocalisation d’une partie de leur approvisionnement ou de leur processus de fabrication, soit vers des pays plus proches («nearshoring») ou jugés moins risqués.

«Si l’on prend l’exemple de l’IA, il n’y a pratiquement aucune société cotée en bourse qui est vraiment leader dans ce domaine.»

Parallèlement à cette tendance à la déglobalisation, n’assiste-t-on pas aussi à une intensification des échanges au niveau régional: les Etats-Unis, par exemple, travaillent désormais davantage avec certains pays d’Amérique latine et moins avec la Chine, l’Europe de l’Ouest avec certains pays d’Europe de l’Est?

On observe effectivement une telle tendance dans certains secteurs, avant tout dans une optique de réduction des risques et afin d’assurer la continuité des chaînes d’approvisionnement. La situation peut toutefois fortement varier d’un secteur à un autre. L’approvisionnement de l’Europe concernant certains ingrédients dans l’industrie pharmaceutique reste très dépendant de l’Asie. On assiste ainsi parfois simultanément à une tendance à la globalisation et à la déglobalisation des échanges en fonction des secteurs concernés. Fondamentalement, la tendance va néanmoins en direction d’une réduction des risques dans la gestion des chaînes d’approvisionnement. La globalisation fait place à une forme de multipolarité avec la définition de nouveaux espaces d’échange.

Quelle est la place de l’Inde dans ce contexte?

L’Inde est justement le quatrième pôle qui est venu s’y ajouter. Pour nous, l’Inde est intéressante à plusieurs égards. Premièrement, le pays dispose encore d’une population jeune tout en ayant une croissance démographique maîtrisée. Deuxièmement, il y a la forte croissance de l’économie indienne. Troisièmement, l’Inde bénéficie d’un très bon système de formation qui se caractérise par d’excellentes compétences dans le domaine technologique, l’usage de la langue anglaise qui facilite les choses ainsi que le fait que le pays dispose aussi d’un secteur du capital-investissement très dynamique, aussi bien dans le private equity que dans le domaine du capital-risque proprement dit. L’Inde dispose ainsi d’une base solidement établie constituée d’entreprises de croissance et de start-up, complétée par des investisseurs locaux qui investissent dans ces sociétés.

«La décarbonation de l’économie influencera les choix effectués en matière de production d’énergie, la demande pour certains matériaux et matières premières tout comme la consommation.»

Dans quels domaines les entreprises indiennes sont-elles particulièrement innovantes?

On peut citer en particulier les activités liées aux logiciels, à la pharma ou encore aux différentes technologies de pointe, y compris des fabricants de composants pour l’industrie spatiale par exemple.

Pourquoi les marchés privés sont-ils plus adaptés que marchés cotés en bourse pour tirer parti de ces trois tendances de fond ainsi que d’innovations telles que l’IA?

De manière générale, l’innovation naît principalement dans des entreprises issues des marchés privés. Si l’on prend l’exemple de l’IA, il n’y a actuellement pratiquement aucune société cotée en bourse qui est vraiment leader dans ce domaine. Certes, il existe des grands groupes qui rachètent des start-up actives dans l’IA et investissent dans celles-ci mais l’innovation n’est le plus souvent pas apparue dans ces grands groupes.

Si l’on prend le thème de la décarbonation, beaucoup d’entreprises actives dans les énergies renouvelables sont aussi en mains privées. Enfin, si l’on considère le thème de la déglobalisation, on peut observer que beaucoup des entreprises qui jouent un rôle clé dans l’organisation des chaînes d’approvisionnement sont souvent des acteurs locaux non cotés en bourse, et cela aussi bien aux Etats-Unis qu’en Inde par exemple. 

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