L’immobilier au défi de la durabilité

Yves Hulmann

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Pour Stephan Lüthi de Swisscanto Invest, les acteurs qui s’orientent selon une trajectoire de réduction de leurs émissions de CO2 bien définie auront une longueur d’avance.

Les prix de l’immobilier en Suisse ont poursuivi leur progression en 2021, avec une hausse estimée à 7,8% pour les maisons et à 6,2% pour les appartements, selon des chiffres publiés début février par la plateforme RealAdvisor. Hormis l’évolution des taux d’intérêt et celle de la demande en général, un autre aspect influence toujours davantage les prix, celui de l’impact environnemental des bâtiments. Comment les investisseurs dans le secteur de l’immobilier peuvent-ils intégrer les nouvelles exigences en matière de durabilité? Un panel d’experts s’est penché sur cette question dans le cadre du salon dédié à l’immobilier Immo’22 qui s’est tenu en janvier à Zurich. Le point avec Stephan Lüthi, directeur de l’immobilier chez Swisscanto Invest.

Lors d’une discussion qui s’est tenue dans le cadre d’Immo’22, un intervenant avertissait, de manière un peu provocante, que le secteur de l’immobilier, s’il n’y prend pas garde, pourrait un jour finir à son tour sur la liste d’exclusion de certains gérants, comme c’est le cas aujourd’hui pour les sociétés actives dans l’extraction de charbon par exemple. Est-ce une simple provocation ou y a-t-il quelque chose de vrai dans cette affirmation?

Je ne pense pas que le secteur de l’immobilier encourt le risque d’être placé sur une liste d’exclusion en matière d’investissements du jour au lendemain. Pour autant, les fonds immobiliers, tout comme les investisseurs dans ce secteur de façon plus générale, ont tout intérêt à intégrer les aspects de durabilité dans leur approche d’investissement. Je suis convaincu que les fonds immobiliers qui ne s’orientent pas en fonction d’une trajectoire de réduction de leurs émissions de CO2 ou de gaz à effet de serre (GES) vont, tôt ou tard, être confrontés à des difficultés – que ce soit vis-à-vis des autorités de régulation, de fondations, de caisses de pension. Les acteurs du secteur de l’immobilier qui continueront simplement à agir comme par le passé, sans tenir compte des aspects environnementaux ou de durabilité, finiront par avoir un problème. Ceux qui, en revanche, s’orienteront en fonction d’une trajectoire de réduction de leurs émissions de CO2 clairement définie auront une longueur d’avance.

«Les investisseurs multi-asset, les family offices regardent désormais de très près les aspects de durabilité avant d’investir dans un fonds, en plus des rendements obtenus.»
Peut-on fixer des objectifs de réduction des émissions de CO2 aussi ambitieux et aussi rapides dans l’immobilier que dans d’autres domaines? Rénover un parc d’immeubles ne peut pas se faire du jour au lendemain… 

On en revient à la question de la définition d’une trajectoire de réduction des émissions de CO2. Il n’est certes pas possible d’atteindre le «Net Zero» en quelques années dans l’immobilier. Il est dès lors plus important de définir le chemin qui va permettre de réduire année après année ses émissions de CO2, de diminuer la consommation de matériaux polluants, etc.

Certains gérants immobiliers se targuent parfois de ne plus détenir que des objets qui sont à la pointe de toutes les exigences actuelles sur le plan environnemental. Pour y parvenir, ils revendent simplement leurs immeubles les plus anciens ou les moins efficients en matière énergétique. Est-ce satisfaisant d’un point de vue environnemental?

C’est toute la question de l’engagement qui se pose ici. La question de savoir ce qui se passe avec les objets immobiliers qui sont revendus ou externalisés est effectivement très importante. De mon point de vue, la question de la trajectoire de réduction à suivre se pose dès le moment de l’achat d’un objet immobilier – quelles seront les améliorations à apporter sur le plan de la consommation énergétique? Dans quel délai? Il est important d’avoir une vision d’ensemble de ce que l’on fait avec un objet immobilier lorsqu’on l’achète.

D’où vient la pression à tenir compte des aspects de durabilité – de la part des clients, à savoir les locataires, ou de la part des investisseurs?

La pression dans ce sens augmente peu à peu de tous les côtés, même si elle se présente sous des formes différentes. Il ne faut d’abord pas oublier l’influence des autorités de régulation, par exemple pour se mettre en conformité avec les exigences des Accords de Paris en matière climatique. Cela influencera les normes s’appliquant à la construction, à la rénovation, à l’accès à d’éventuelles subventions, etc.

Quant aux investisseurs, on observe que les investisseurs multi-asset, les family offices regardent désormais de très près les aspects de durabilité avant d’investir dans un fonds, en plus des rendements obtenus. C’est le cas aussi du côté de certaines caisses de pension, de fondations, etc.

«La construction d’un parc de 360 logements à Zurich Witikon par la Fondation Swisscanto constituera un test intéressant.»

S’agissant des locataires, les personnes qui louent des appartements ou, le cas échéant, des espaces commerciaux, ne posent que rarement la question de savoir quelle est la situation d’un immeuble en fonction des critères ESG. En revanche, ils s’intéressent de plus en plus aux questions de certification énergétique. Dans les centres-villes, ce n’est pas forcément le cas car les personnes qui recherchent un appartement sont d’abord contents de trouver un logement. En périphérie ou dans les segments de biens immobiliers haut de gamme, cela devient une préoccupation croissante.

Les clients sont-ils pour autant prêts à payer davantage pour habiter dans des logements bénéficiant de meilleures normes énergétiques ou d’un bilan environnemental plus favorable?

Il est difficile de répondre à cette question. A cet égard, la construction d’un parc de 360 logements à Zurich Witikon (ndlr: quartier situé sur les hauteurs de Zurich) par la Fondation Swisscanto constituera un test intéressant. L’ensemble de ces bâtiments tiendront compte des critères de durabilité à la fois environnementaux mais aussi sociaux. Outre les émissions de CO2, le projet prendra en considération aussi des aspects tels que l’énergie «grise» utilisée, la préservation de la biodiversité, etc. Pour évaluer s’il existe une disposition à payer pour ces aspects, la Haute école d’économie de Zurich (ZHAW) va réaliser une étude sur ce sujet – nous sommes curieux d’en connaître les résultats.

Mon impression est que certains standards ne sont désormais plus véritablement considérés comme étant une véritable plus-value mais seulement une sorte de prérequis. Si beaucoup d’acheteurs étaient encore prêts il y a 10 ou 15 ans à payer davantage pour un bâtiment certifié Minergie, ce n’est désormais plus le cas pour les nouvelles constructions. Les clients partent du principe que les nouveaux bâtiments satisfont à de telles normes.

Comment se compare le parc immobilier suisse par rapport au reste de l’Europe et des pays d’Europe du Nord en particulier?

En ce qui concerne les nouveaux bâtiments, le parc immobilier suisse se caractérise déjà par des standards très élevés. Les projets d’assainissements énergétiques sont nombreux. De manière générale, la Suisse est certainement plus avancée que l’Europe en moyenne.

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