Les actifs émergents, actions et obligations, sont largement sous-évalués par rapport à ceux des pays industrialisés. Interview d’Andranik Safaryan de Mainfirst.
Une nouvelle équipe gère le fonds en obligations d’entreprises émergentes (en monnaies fortes) de Mainfirst depuis janvier 2022. Elle est composée d’Andranik Safaryan, gérant principal, de Cornel Bruhin et Carloalberto Fraccaro. Leur première année a été très compliquée, marquée par une faible liquidité. La composition du fonds a été modifiée et depuis novembre 2022, le fonds surperforme l’indice de 1,5%. Les actifs sous gestion s’élèvent à 80 millions de francs, auxquels s’ajoutent 120 millions de franc sous forme de mandats.
Cornel Bruhin (CB): La situation a été très volatile durant trois ans. Un grand nombre d’entreprises des pays émergents n’ont pas bénéficié d’un soutien similaire à celui des entreprises des pays industrialisés. La fermeté du dollar n’a rien arrangé, ni la hausse des taux d’intérêt. Les fonds en obligations émergentes ont été confrontés par des sorties de capitaux significatifs, allant parfois jusqu’à 30%, notamment au sein des fonds en monnaies locales. Toute l’industrie a souffert. Le marché des capitaux n’a pas été épargné: Un grand nombre d’entreprises dotées d’un modeste rating n’ont pas pu lever de capitaux. Aujourd’hui, seules les compagnies émergentes «Investment Grade» émettent des obligations. Je rappelle que la notation du Brésil est de BB-. Ne parlons pas de la Colombie, de l’Argentine ou de la plupart des pays africains. Un besoin de refinancement se traduit souvent par un risque existentiel.
Andranik Safaryan (AS): En principe, nous investissons dans des débiteurs de toutes les catégories de notation et notre portefeuille dispose d’une notation moyenne de BB+. Mais actuellement le rating moyen est de BBB-, donc Investment Grade (IG). Notre stratégie est fonction de la situation économique. Dans un contexte de resserrement monétaire et de hausse des taux d’intérêt de la part de la Fed, nous préférons investir dans des entreprises de qualité et peu cycliques. Nous avons donc accru l’allocation aux titres bénéficiant d’un rating IG.
CB: Nous pensons que le prix des matières premières a touché un plancher en avril 2020 et qu’il se trouve dorénavant dans un cycle haussier pluri-annuel. Le précédent cycle haussier a duré de 2001 à 2011. Chaque cycle dure environ une décennie et comprend trois mouvements de hausse. Nous avons donc déjà traversé le premier, quand le baril de brut a atteint 130 dollars, en mars 2022. Le marché a ensuite corrigé jusqu’à 65 dollars. Puis il a regagné 30% à 90 dollars (Brent) actuellement. Nous observons un déficit d’offre significatif. Les stocks ont diminué de 10 millions de barils par semaine aux Etats-Unis. Le prix du pétrole devrait donc s’apprécier au second semestre et en 2024. Nous nous situons au début du 2e mouvement de la hausse des commodities.
CB: Ce sont essentiellement les pays émergents. Les Etats-Unis sont aussi des producteurs de pétrole. Mais leur niveau de production se stabilise et devrait bientôt diminuer. Le monde dépendra donc toujours davantage des pays de l’Opep.
CB: Un grand nombre d’entreprises émergentes profitent de la hausse des commodities. Petrobras, au Brésil, produit un niveau record de pétrole au deuxième trimestre et promet de poursuivre sur cette voie. L’entreprise brésilienne est un grand producteur de jus d’orange et de sucre, la matière première la plus fortement en hausse en 2023. En général, le jus d’orange, le pétrole et les métaux précieux sont fortement corrélés.
Un grand nombre d’entreprises sont très bénéficiaires avec un baril entre 70 et 80 dollars le baril. Seplat, une entreprise nigériane, produit quotidiennement 50'000 barils de pétrole, n’a pratiquement pas de dette et ses obligations se traitent à un rendement de 12 à 13% même si son rating n’est que B. D’autres entreprises émergentes, qu’elles soient dans les commodities ou non, sont financièrement nettement plus solides qu’au cours du précédent cycle du début des années 2000. Leur endettement moyen n’a pratiquement jamais été aussi bas. Notez que le rapport entre la dette et le PIB est de 60% au Brésil, soit très en-dessous de la France ou des Etats-Unis.
L’inflation s’élève à 3,2% au Brésil si bien que les taux courts ont été abaissés de 13,75% à 13,25% en août. La croissance économique dépasse 3%. Le PMI est supérieur à 50. L’excédent commercial est au plus haut de la décennie. Si les commodities poursuivent leur hausse, le Brésil sera le Saint Graal de l’investissement.
CB: Durant le précédent cycle des matières premières, le prix du baril a été multiplié par six et celui du cuivre par 12. Pendant le cycle actuel, le baril n’a que doublé. Le potentiel reste important.
L’inflation issue des injections de liquidités et du niveau record de dépenses publiques doit encore être reflétée dans l’économie. De 2014 à aujourd’hui, le secteur minier a sous-investi, par exemple dans le cuivre nécessaire pour la transition énergétique. Coldelco, le leader chilien, produit 16% de moins qu’il y a deux ans en raison de la hausse des coûts. Or les délais sont très longs. Il faut 4 à 8 ans pour passer de la planification à la production.
Si l’offre peine à s’accroître, la demande bat des records, par exemple pour les énergies fossiles. En effet, 7 milliards de personnes vivent dans les marchés émergents et la croissance démographique atteint 5 à 6%.
Les actifs émergents, actions et obligations, sont largement sous-évalués par rapport aux pays industrialisés. Si le dollar s’affaiblit, les capitaux vont davantage se diriger vers les émergents.
AS: Nous sommes des investisseurs en obligations et n’avons pas besoin que le baril s’envole pour offrir un rendement attrayant. Les entreprises doivent simplement payer leurs intérêts et rembourser leurs emprunts. Même avec une baisse de 20% du pétrole, je ne me fais aucun souci à cet égard. Les fondamentaux sont déjà excellents et les rendements obligataires s’élèvent à 12-15%.
CB: Nous pensons que le sentiment sur le dollar devrait changer. Pourtant, malgré la hausse du billet vert cette année, le peso mexicain et le peso colombien se sont tout de même appréciés face au dollar. Le rating de ces pays, ainsi que celui du Brésil, seront revus à la hausse, ce qui profitera à leur devise. D’autres pays suivront le Brésil. En Asie, nous aimons bien l’Indonésie, avec une croissance de 5% et une dette modérée.
CB: En 2003, l’élection de Lula a été mal accueillie d’investisseurs craignant une politique communiste. La réalité a été différente.Le pays a prospéré, non pas grâce à Lula, mais en raison de l’augmentation de la demande en produits agricoles et en métaux. Après les récentes élections, les mêmes craintes sont apparues à propos du gouvernement Lula. Elles ne se dissipent que lentement, mais la situation économique est de plus en plus favorable.
AS: La Chine a sous-performé l’an dernier, à la suite de la politique de confinement et d’une crise immobilière qui n’a fait que prendre de l’ampleur ces derniers mois. Nous avons continuellement réduit nos positions. La Chine continue de souffrir de problèmes structurels que le gouvernement peine à résoudre. Ce n’est pas un marché que nous privilégions, à l’exception d’entreprises actives dans le pétrole et le gaz. Pour le reste, le risque de baisse ultérieure est toutefois limité. Je constate qu’il n’y a pas d’effet de contagion de la crise immobilière chinoise dans d’autres pays de cette région.
AS: Le secteur financier est très difficile à analyser. Il est difficile d’évaluer dans quels domaines les banques ont des risques. Nous préférons d’autres branches d’activités.
AS: Notre plus forte sous-pondération est la Turquie pour des raisons de risque/rendement. L’inflation y est très forte. Mais si nous évitons ce pays, c’est surtout parce que l’avenir de la politique économique dépend de l’agenda politique.