Un reflet des changements structurels de l’économie

Yves Hulmann

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Selon Roman Kostal de MainFirst, la hausse des matières premières n’est pas seulement due aux perturbations des chaînes d’approvisionnement.

Outre la hausse des marchés d’actions qui s’est poursuivie depuis le début de l’année, 2021 a aussi été marquée par l’envolée des prix de plusieurs matières premières comme le cuivre, le bois ou diverses denrées agricoles. Ces hausses reflètent-elles les anticipations de reprise de l’économie mondiale ou s’expliquent-elles avant tout par les perturbations de certaines chaînes d’approvisionnement? Entretien avec Roman Kostal, gérant de portefeuille chez MainFirst.

La première moitié de l’année 2021 a été marquée par l’envolée spectaculaire des cours de plusieurs matières premières, allant du bois au cuivre, en passant aussi par le pétrole et différents produits agricoles. Comment interprétez-vous ces mouvements – s’agit-il d’une simple «hype» momentanée ou le signal de l’attente d’une forte reprise de l’économie?

Les cours des matières premières sont caractérisés par leur très forte volatilité. Après avoir atteint leur cours le plus élevé durant le deuxième trimestre, les cours de certaines matières premières telles que le cuivre ou le bois ont déjà en partie corrigé par rapport aux plus hauts niveaux atteints ce printemps. Cela montre également que les investisseurs qui avaient été les derniers à entrer sur ce marché sont aussi, souvent, déjà ressortis entretemps. 

«Un véhicule électrique nécessite 4 à 5 fois plus de cuivre qu’un véhicule à combustion classique.»

On peut observer ces mouvements successifs de hausses rapides, suivies de corrections, pour plusieurs matières premières: après le cours le plus élevé atteint en mai, les cours du maïs et du blé sont déjà redescendus à des niveaux à nouveau proches de ceux du début de l’année. Pour autant, cela ne signifie pas que ces mouvements n’ont aucun fondement. La hausse observée pour certaines matières depuis un an reflète une véritable augmentation de la demande pour certaines d’entre elles, en réponse à des changements structurels de certains secteurs de l’économie.

A quelles matières premières pensez-vous?

Si l’on prend l’exemple du cuivre, la hausse de la demande de ce métal est due en bonne partie à l’essor des véhicules électriques. Un véhicule électrique nécessite 4 à 5 fois plus de cuivre qu’un véhicule à combustion classique.

S’agissant du bois, la demande a été dopée par la gigantesque demande supplémentaire pour le bois de construction provenant à la fois de Chine et des Etats-Unis. Outre-Atlantique, le faible niveau des taux d’intérêt a incité de nombreuses personnes à construire ou à rénover des maisons. S’y ajoutent les perturbations des chaînes de livraison en raison de la pandémie, qui ont créé des goulets d’étranglement sur certains segments, poussant encore davantage à la hausse les cours du bois.

Est-ce surtout ces goulets d’étranglement momentanés dus à la pandémie qui expliquent ces fortes variations de prix plutôt qu’un changement fondamental de la demande? Ne va-t-on pas rapidement revenir à la normale lorsque les chaînes logistiques fonctionneront normalement?

Bien entendu, certains problèmes logistiques ont conduit à des hausses de prix exagérées de certaines matières premières. Les prix des transports de certains containers ont été parfois multipliés par trois en quelques mois. Malgré tout, la hausse des prix de certaines matières premières ne peut pas entièrement s’expliquer par les perturbations des chaînes d’approvisionnement mais elle reflète réellement une hausse de la demande dans certains domaines. En outre, il y a des segments pour lesquels il faut énormément de temps pour parvenir à adapter les capacités de production. Ainsi, vous ne pouvez pas ouvrir une nouvelle mine de cuivre ou en réactiver d’un jour à un autre.

«Les cours du pétrole peuvent encore s’apprécier de 10 à 15 dollars supplémentaires par rapport aux cours actuels.»

De même, les matières premières agricoles sont fortement dépendantes des aléas de la météo, tandis que le changement climatique augmente encore l’imprévisibilité dans ce domaine. La demande en protéines animales continue aussi d’augmenter, notamment sous l’effet des marchés asiatiques. En Asie, la viande continue d’avoir un statut de symbole. Cela renforce également la demande pour certains produits comme le soja.

Quant au pétrole et au gaz, il n’y a pas encore, aujourd’hui, de substituts suffisants au fuel fossile et la plus grande partie du parc automobile mondial reste constitué par les moteurs à combustion. On ne va certainement pas revenir aux records affichés par les prix du pétrole de l’ordre de 150 dollars le baril observés en 2008 mais je pense que les cours du pétrole peuvent encore s’apprécier de 10 à 15 dollars supplémentaires par rapport aux cours actuels.

Qui dit hausse des prix des matières premières, pense à l’inflation. Faut-il s’inquiéter de l’accélération des prix observée un peu partout dans le monde ces derniers mois?

Un peu d’inflation est en soi positive dans un cycle de reprise. En revanche, si les prix augmentent mais que la conjoncture fait du sur place, alors il y a un risque de stagflation qui est, elle, très mauvaise pour l’économie. Actuellement, il y a un contraste surprenant entre, d’un côté, le repli des taux des emprunts d’Etat à 10 ans aux Etats-Unis, retombés en juillet à moins de 1,3% (ndlr: comparé à plus de 1,7% début avril) et, de l’autre, l’augmentation des indices des prix à la consommation qui dépasse les 5%.

Faut-il s’inquiéter de ce décalage pour la stabilité des marchés, déjà jugés très chers par de nombreux observateurs?

Je ne pense pas que l’on soit dans une situation de surchauffe des marchés et de l’économie, comme certains le craignent parfois, mais que l’on assiste à une normalisation à un niveau élevé. S’il y a eu une phase de surchauffe en 2021, elle concerne plutôt plus spécifiquement les matières premières. Mais comme je l’ai déjà évoqué, ceux qui avaient pris le train en marche en dernier sont déjà ressortis du marché entretemps, ce qui a permis une correction.

S’agissant des marchés des actions, il y a sur les marchés encore une très grande quantité d’argent à disposition qui attend d’être investie, ce qui fait que beaucoup d’investisseurs utilisent chaque correction comme une opportunité pour entrer à nouveau sur les marchés. La fête n’est à mon avis pas encore finie.

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