Investir dans les sociétés qui fournissent des services critiques pour leurs clients

Yves Hulmann

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Alice Foucault, experte en dette privée chez Barings, privilégie des entreprises qui ont un modèle d’affaires stable et résilient plutôt que celles qui sont en forte croissance.

Active depuis plus de huit ans chez Barings, Alice Foucault est experte dans le domaine des placements privés auprès du groupe dont les actifs sous gestion avoisinent les 350 milliards de dollars. Après avoir travaillé d’abord dans le domaine de la finance avec effet de levier («leveraged finance»), Alice Foucault se concentre actuellement sur des opérations de financement d’entreprises de taille moyenne qui réalisent un résultat avant intérêts, impôts et amortissements (EBITDA) pouvant aller jusqu’à 50 millions d’euros, avec un accent placé sur des marchés tels que le Royaume-Uni, la France, le Benelux, les pays nordiques ainsi que ceux de la région DACH (Allemagne, Autriche et Suisse) qui représentent une part importante des investissements effectués par la société. Les montants des opérations de financement réalisées se situent dans une fourchette allant de 30 à 250 millions d’euros par société. Le point avec Alice Foucault sur les conditions actuelles du marché et leur impact sur le domaine de la dette privée.

«Nous cherchons des entreprises qui soient capables de se retomber sur leurs pieds même durant des situations de marché défavorables.»
Quel est le profil usuel des investisseurs qui placent de l’argent dans de la dette privée?

Le premier aspect auquel un investisseur doit être attentif est celui de l’horizon d’investissement. Lorsque l’on place de l’argent dans de la dette privée, cet argent est investi pour une durée de l’ordre de sept ans. C’est pourquoi ce sont le plus souvent des caisses de pension, des sociétés d’assurance ou des structures qui agissent pour des personnes fortunées telles que des family offices qui s’intéressent à cette classe d’actifs. Fréquemment, il s’agit aussi d’investisseurs qui agissent de manière globale et qui sont très largement diversifiés.

En tant que prêteur, quel est le profil des sociétés que vous recherchez lorsque vous effectuez des opérations de financement?

Nous cherchons des entreprises qui soient capables de se retomber sur leurs pieds même durant des situations de marché défavorables. Nous privilégions des sociétés qui génèrent des cash-flows stables et dont le modèle d’affaires est résilient sur la durée. C’est pourquoi les taux de défaut de nos investissements sont également très faibles. Nous accordons aussi de l’importance à certains aspects organisationnels comme la séparation entre les équipes de management et les actionnaires de ces entreprises.

«Dans le B2B, nous apprécions en particulier les entreprises qui proposent des services ou des prestations qui sont en tout temps critiques pour leurs clients respectifs.»
Quels sont les secteurs que vous privilégiez?

Barings est agnostique en termes de secteurs, s’agissant de la finance privée. Nous mettons plutôt l’accent sur la place qu’occupent les entreprises au sein de la chaîne de valeur. Nous préférons les entreprises ayant une activité «business to business» (B2B) plutôt que celles qui s’adressent directement aux consommateurs finaux, ou «business to consumer» (B2C). Dans le B2B, nous apprécions en particulier les entreprises qui proposent des services ou des prestations qui sont en tout temps critiques pour leurs clients respectifs, par exemple des sociétés qui fournissent des équipements ou prestations pour le secteur de la santé ou encore des éditeurs de logiciels dont les solutions sont indispensables à leurs clients. Ou encore d’entreprises qui fournissent des composants industriels indispensables à de grands groupes.

En tant que prêteur, nous accordons surtout de l’importance à la stabilité des modèles d’affaires des entreprises dans lesquelles nous investissons – nous ne recherchons pas à tout prix des sociétés à très forte croissance comme le font certains fonds de capital-risque, par exemple.

«Les niveaux de valorisation deviennent globalement plus raisonnables, notamment car la concurrence des acteurs du private equity est un peu moins intense.»
Quel est l’impact de l’augmentation des taux d'intérêt sur la dette privée et son financement?

En tant que prêteur, c’est une situation qui s’avère plutôt favorable pour nous. Avant le début du mouvement de hausse des taux l’an dernier, nous étions en concurrence avec d’autres sociétés de financement qui recouraient au levier de manière souvent beaucoup plus agressive. Cette concurrence est devenue un peu moins forte car ces acteurs ne peuvent plus emprunter ou réunir des fonds à des conditions aussi avantageuses que par le passé. De plus, les niveaux de valorisation deviennent globalement plus raisonnables, notamment car la concurrence des acteurs du private equity est un peu moins intense. Enfin, beaucoup de banques sont aussi devenues plus conservatrices dans leur politique de financement. En conséquence, les prix tendent à baisser car les conditions de financement se sont resserrées. Cela ouvre des opportunités pour des acteurs comme nous qui sommes actifs à niveau intermédiaire en termes de recours aux effets de levier.

La plupart des gérants d’actifs intègrent les aspects de durabilité dans leur activité de placement. Dans la dette privée, est-il aussi possible d’investir en tenant compte des critères ESG?

L’ESG est un sujet traité dans nos papiers d’investissement depuis 2015. Nous prenons en compte cette dimension en regardant attentivement quelles sont les activités des sociétés que nous finançons en termes de durabilité. En outre, depuis 2020, nous intégrons des baisses de marge liées à l’ESG. Lorsqu’une société est évaluée positivement du point de vue des aspects ESG, cela se traduit par une réduction de ses coûts de financement, ce qui profite à l’entreprise qui emprunte. Nous intégrons les critères ESG directement dans nos processus d’investissement – non, pas de manière complémentaire ou séparée. Un aspect important pour nous est qu’il faut qu’il s’agisse de critères mesurables et quantifiables. Si ces objectifs sont atteints, alors cela se traduira par une réduction des coûts de financement pour l’entreprise financée via de la dette privée.

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