Implication de l’initiative des droits de tirage spéciaux du G20

Salima Barragan

4 minutes de lecture

Une bouée de sauvetage bienvenue pour les pays dépendant du tourisme. Le point avec Carlos de Sousa de Vontobel.

L’ère Trump terminée, le G20 a ressorti du tiroir la mise à jour du dossier des droits de tirage spéciaux (DTS), un actif de réserve international émis par le FMI et constitué d'un panier de cinq devises, dont le Renminbi. Ce dossier, initialement rejeté par l’ancien président américain, porte sur une nouvelle allocation de DTS équivalant à 500 milliards de dollars US. S'il est approuvé, ce nouveau fonds augmenterait directement les réserves de change des banques centrales des Etats membres du FMI. Une bouée de sauvetage bienvenue pour les pays dépendant du tourisme ainsi que pour les Etats surendettés. Le point avec Carlos de Sousa, stratège et gestionnaire de portefeuilles pour les marchés émergents chez Vontobel.

Comment analysez-vous cette nouvelle allocation en DTS?

Il s'agit d'une initiative bienvenue du FMI et des dirigeants du G20, qui ne s'était malheureusement pas concrétisée en 2020 en raison de l'opposition de l'administration Trump. L'expansion des allocations a certainement des avantages et des inconvénients, mais dans l'ensemble elle est positive. Les pays à faible revenu ainsi que ceux en situation de surendettement seront les plus avantagés, car ils pourront faire usage d’une allocation disproportionnée à leur PIB.

Les Etats-Unis disposent d'un pouvoir de vote de 17,4% qui pourrait bloquer
l'initiative même si tous les autres pays du monde y étaient favorables.
Pourquoi le soutien des Etats-Unis à cette initiative est-il crucial?

Le FMI peut augmenter à volonté le montant total des DTS alloués à ses Etats membres, à condition que cette augmentation soit approuvée par 85% de ses membres, pondérée par la quote-part de chaque pays. Et les Etats-Unis disposent d'un pouvoir de vote de 17,4% qui pourrait bloquer l'initiative même si tous les autres pays du monde y étaient favorables. Une fois l’initiative approuvée, les pays membres, qui comprennent la plupart des nations existantes, reçoivent leur nouvelle allocation de DTS en proportion de leur quote-part au FMI.

Les plus grands bénéficiaires absolus seront donc les pays riches comme les Etats-Unis qui n’ont pourtant pas besoin de ces fonds?

En termes absolus, les économies avancées et riches comme les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni recevront l'allocation la plus importante. Mais les grands marchés émergents disposant de réserves importantes recevront également des montants conséquents. C'est le cas notamment de la Chine, de la Russie et du Brésil. Toutefois, ces pays ne les utiliseront probablement pas mais seront plus susceptibles d'être des prêteurs nets de DTS.

Comment fonctionne le système de prêts de DTS entre les Etat membres?

Si un pays souhaite utiliser ces DTS pour payer ses importations, le service de la dette extérieure ou tout autre action sur la balance des paiements comme une diminution de réserves, il doit les échanger bilatéralement avec une autre banque centrale qui souhaite accumuler des réserves de change. Le FMI joue ainsi le rôle d'intermédiaire entre acheteurs et vendeurs de DTS. En cas d'insuffisance d'acheteurs volontaires, il peut désigner un membre ayant une balance des paiements et une position de réserve solide. Les pays dont les avoirs en DTS sont supérieurs à leur allocation reçoivent une rémunération d'intérêt, qui est versée par les pays dont les avoirs en DTS sont inférieurs à leur allocation. Cependant, les pays n'auront jamais à rembourser leur allocation qui peut être considérée comme une ligne de crédit perpétuelle. Et contrairement à d'autres prêts, elle n'est pas comptabilisée dans l'encours de la dette des pays, et ne menacera donc jamais leur soutenabilité car l'intérêt des DTS est déterminé par le rendement moyen pondéré des obligations à trois mois de chacune de ses monnaies constitutives, à l'époque 0,064%.

Les Etats parias comme le Venezuela et l'Iran ont vraiment
besoin de ces ressources, mais leur cas est politique.
Cette allocation ne pourrait-elle pas renforcer les réserves de change des Etats parias comme le Venezuela et l'Iran?

Les Etats parias comme le Venezuela et l'Iran ont vraiment besoin de ces ressources, mais leur cas est politique. Les Etats-Unis et ses alliés occidentaux ne voudraient pas financer ces régimes sans conditions. Le Venezuela serait le plus grand bénéficiaire en termes de PIB, mais le fait que certains membres du FMI reconnaissent le président Nicolas Maduro alors que d’autres admettent le président intérimaire Juan Guaidó pourrait entraver son allocation. D’ailleurs, l’année dernière, cette confusion avait empêché le FMI de prêter au Venezuela. Le cas de l'Iran est moins clair. Certains commentateurs pensent que les sanctions les empêcheront d'accéder à leur allocation, mais étant donné la nature bilatérale du marché des DTS qui se traite de banque centrale à banque centrale, je n'en suis pas tout à fait sûr.

Comment ces allocations pourraient-elle affecter la dette souveraine des marchés à haut rendement?

Les marchés souverains à haut rendement qui sont en situation de surendettement ou qui risquent d'en être victimes, sont certainement ceux qui en bénéficieront le plus. Nous considérons la Turquie et l'Argentine comme de bons exemples de grands pays émergents dont les réserves nettes de change sont très faibles et qui bénéficieront d'une augmentation considérable. En ce qui concerne l'Argentine, nous craignons que cette augmentation n'entraîne un retard dans les réformes économiques, dans la mesure où elle facilitera le paiement des échéances de la dette extérieure au Club de Paris en mai (en utilisant le délai de grâce) et au FMI lui-même en août. Ainsi, il leur sera plus facile de reporter l'accord sur le programme du FMI après les élections de mi-mandat d'octobre. Le Sri Lanka pourrait être un autre exemple de retard potentiel lié à un ajustement macroéconomique nécessaire et à une restructuration de la dette probablement inévitable. Le Sri Lanka devrait recevoir 600 millions de dollars américains en DTS, ce qui serait plus que suffisant pour rembourser l'échéance de ses euro-obligations de janvier 2022. 

La Barbade recevrait 100 millions de dollars, ce qui suffirait
à couvrir 122% de l'amortissement de sa dette extérieure en 2021.

Quant aux petites nations dépendantes du tourisme, elle se verront offrir une bouée de sauvetage en attendant la reprise du tourisme mondial qui ne se redressera probablement pas avant le second semestre. De nombreuses économies dépendantes du tourisme ont des difficultés à financer leurs besoins en matière de balance des paiements. Le Belize qui tire environ 40% de ses recettes de change du tourisme en temps normal, a récemment été dégradé par S&P à la notation CC et recevrait 30 millions de dollars US. Ce montant peut sembler peu élevé, mais il représente près de 1,8% du PIB et est suffisant pour couvrir les trois quarts du service de ses euro-obligations en 2021. De même, la Barbade recevrait 100 millions de dollars américains (2% du PIB), ce qui suffirait à couvrir 122% de l'amortissement de sa dette extérieure en 2021. Les Seychelles recevraient 25 millions de dollars américains (également 2% du PIB), ce qui suffirait à couvrir 58% de l'amortissement de leur dette extérieure. De nombreuses autres nations non touristiques mais en difficulté bénéficieraient également d'un important allègement de leur balance des paiements, du Tadjikistan en Asie centrale à la République du Congo en Afrique subsaharienne.

Si cette initiative est adoptée, quand pourrait-elle entrer en vigueur?

Les pays pourraient bien recevoir leur part dès cet été. Lors de la crise financière mondiale en 2009, les dirigeants du G20 avaient convenu de stimuler la liquidité mondiale par le biais des DTS au mois d’avril. Cette décision a été suivie par l'approbation du conseil d'administration du FMI en juillet, puis par celle du conseil des gouverneurs en août, et enfin par l'allocation aux Etats membres le 28 août. Cette fois-ci, le calendrier semble très similaire, voire plus rapide. Nous prévoyons une annonce officielle lors des réunions du FMI de printemps et un versement des allocations au cours des mois qui suivent.

A lire aussi...