Hedge funds: le grand retour

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Nouveau tournant pour les hedge funds en 2020. Le bilan est positif et la perception améliorée.

Au cours d’une année 2020 assez chahutée, les hedge funds ont clairement rempli leur rôle, celui d’offrir une très bonne performance ajustée au risque, leur volatilité ayant prouvé être la moitié de celle des marchés actions. Et dès le deuxième trimestre, les investisseurs en ont pris conscience et les flux nets sont devenus positifs, une tendance qui s’est confirmée au quatrième trimestre. C’est ce grand tournant pour la classe d’actifs que nous commente Nicolas Nussbaum, responsable des hedge funds pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient (EMEA) chez BlackRock.

2020 est-elle l’année du revirement en faveur des hedge funds?

C’est sans aucun doute celle d’un grand tournant et d’un changement d’attitude et de perception envers ce type d’investissement. Etant donné la volatilité croissance et les dislocations des marchés, l’environnement leur est favorable et les études récentes pointent clairement vers un regain de demande. L’engouement est confirmé par une étude que nous avons menée auprès des family offices , une clientèle traditionnellement friande de hedge funds mais qui les boudait depuis quelques années en faveur des marchés privés. Interrogés sur leur appétit envers les hedge funds, le panel de 185 family offices a indiqué vouloir augmenter son allocation dans 38% des cas, la consolider dans 58% et ne la diminuer que dans 4%.

Le désintérêt pour la classe, observé après la crise de 2008, est donc bien terminé.

L’industrie été marquée par 2008 mais elle s’est depuis professionnalisée et institutionnalisée. Contrairement à ce que certains imaginent, le nombre d’acteurs s’est largement accru: de 6800 en 2008, il s’est stabilisé à environ 8000 aujourd’hui. 300 à 400 nouveaux fonds ferment chaque année et autant ouvrent. Le darwinisme bat son plein. Certaines anciennes gloires ont été remplacées par de nouveaux venus plus «à jour».

Les acteurs capables de mettre en place des outils sophistiqués
de gestion ou de risk management ont un net avantage concurrentiel.
Pouvez-vous revenir sur les aspects favorables à ce type de gestion en cette période?

Volatilité réelle élevée des actions (bien plus que ne le laisse apparaitre celle des indices), dislocations techniques sur l’obligataire, écarts de valorisation: tout a été favorable aux hedge funds sur la période. Depuis des années, l’intervention des banques centrales avait lissé le marché mais 2020 a été un cas d’école. La panique de mi-mars a offert un point d’entrée historique au plus bas. Il a été suivi d’un rebond adossé à des mesures de soutien sans précédent. Une situation qu’on retrouvera mais peut-être de manière moins extrême à l’avenir.

Quelles sont les stratégies qui ont le mieux fonctionné?

Les stratégies long/short equity, event-driven et relative value ont toutes bien marché. Les stratégies long/short equity positionnées sur certains secteurs comme la santé ou la technologie ont fait des étincelles. La rotation de style de growth vers value en fin d’année a bien profité à celles qui étaient placées correctement. On avait cru au moment du choc du 1er trimestre que les fusions et acquisitions et les IPO allaient souffrir, entrainant un désastre sur l’event-driven. Ce fut exactement l’inverse. Beaucoup de M&A ont tenu et nous avons assisté à énormément de nouvelles entrées en bourse et d’activité sur les marchés des capitaux, surtout aux Etats-Unis. Ces nouvelles émissions devraient également se renforcer en Europe en 2021, je suis personnellement très positif sur l’event-driven à venir. Quant aux fonds relative value, certains gérants ont su naviguer ces périodes de trouble et capturer les dislocations qui sont apparues. En ce qui concerne les stratégies macro, compte tenu d’une dispersion dans l’industrie double de la moyenne historique sur 10 ans, ils ont obtenu, selon les cas, des performances extrêmes, c’est-à-dire excellentes ou vraiment médiocres.

A quoi tiennent les écarts de performance entre gérants?

Au risque de dire des banalités, j’avancerai la qualité du gérant et celle de ses outils de gestion du risque. La génération d’alpha est plus difficile à obtenir qu’il y a 10 ans, et c’est donc la gestion du risque, liée à la puissance technologique, qui fait souvent la différence. Les acteurs capables de mettre en place des outils sophistiqués de gestion ou de risk management ont un net avantage concurrentiel. Disposer de ressources au niveau global est aussi un point fort. Pour les stratégies event driven, être un acteur important sur les marchés des capitaux compte. Et les barrières à l’entrée sur le quant sont de plus en plus élevées. Il y a peu de doute que les grands acteurs sont en mesurer de dominer les boutiques sur certains segments.

Le stimulus monétaire est tellement important qu’il provoque
une sensibilité exacerbée des marchés qui sont à fleur de peau.
Quelles sont les performances selon le type de stratégie?

D’après l’étude publiée annuellement par HFRI , celle des long/short equity a été en moyenne de 17,4%, celle des Emerging Markets de 20,4% et de celle de l’event-driven de 8,84%. Le S&P 500 a affiché une performance de 18% et donc, certaines stratégies hedge funds ont atteint en 2020 des résultats quasiment comparables avec moitié moins de volatilité.

Qu’anticipez-vous pour 2021?

Le stimulus monétaire est tellement important qu’il provoque une sensibilité exacerbée des marchés qui sont à fleur de peau. Le moindre choc provoque un emballement. C’est un excellent contexte pour les stratégies long/short equity car il est propice au stock picking sur des secteurs riches en opportunités d’investissement (énergie, financier, voyage, tech, santé). L’année 2021 sera également bonne pour l’event driven car M&A et IPO vont continuer à progresser. Pour ce qui est de l’obligataire, le «relative value fixed income» est également bien placé car les gérants peuvent capture des dislocations plus fréquentes, d’éventuels changements de politique des banques centrales et les opportunités liées au remplacement du Libor. En effet, la fragmentation du taux de référence et la multiplication des alternatives vont entrainer un nouveau type de distorsions, avec des erreurs de valorisation tant sur les taux que sur d’autres segments obligataires. Pour ce qui est des Quant, ils développeront de nouveaux modèles pour capturer la dynamique actuelle et il y de bonnes surprises à en attendre.

Longtemps considérés comme excessifs, les frais se sont-ils alignés sur des pratiques plus acceptées?

La pression est à la baisse. Il en existe encore des fonds très chers mais en moyenne les prix déclinent: 1,5% sur la gestion et 20% sur la performance pour les off-shore, 1% sur la gestion et 20% sur la performance pour les UCITS. Certains appliquent un meilleur alignement des intérêts avec leurs clients sur le modèle 0,5%– 30%.

On ne parle guère d’ESG quand il s’agit de hedge funds.

Le secteur avait un certain retard mais commence à intégrer des solutions ESG, soit par l’adoption d’exclusions ou par des processus plus aboutis avec de réels résultats. Sur ce sujet, 2020 a été un réel point d’inflexion en raison de l’intérêt et de la sensibilité accrue des investisseurs. L’industrie des hedge funds va devoir prendre le train ESG en route.

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