Exploiter les sur-réactions des marchés

Yves Hulmann

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Luc Dumontier, directeur général adjoint chez Ossiam, observe que, depuis 2023, la dispersion sectorielle est forte en dépit d’une volatilité globalement faible.

Quels sont les secteurs qu’il vaut mieux sur- ou sous-pondérer actuellement? Une stratégie d’Ossiam, qui repose sur le modèle Shiller Barclays CAPE, cherche précisément à exploiter les situations de sur- ou de sous-réaction des investisseurs en fonction de la survenance ou non de certains scénarios de marché. La sélection des secteurs est effectuée à partir du concept de ratio cours/bénéfice ajusté des cycles, ou «Cyclically Adjusted Price-to-Earnings (CAPE) ratio», tel qu’il a été conçu et développé par le professeur américain Robert Shiller. Entretien avec Luc Dumontier, directeur général adjoint, responsable de la gestion et des opérations chez Ossiam, une société affiliée à Natixis Investment Manager.

Vous estimez que les catalyseurs de dispersion sectorielle ne devraient pas manquer en 2024. Pourquoi cela devrait-il être le cas et est-ce positif ou négatif pour la stratégie d’Ossiam qui repose sur le modèle Shiller Barclays CAPE?

Mon rôle n’est pas de faire des pronostics à propos des chances de survenance de tel ou tel scénario macroéconomique ou d’événements géopolitiques. Néanmoins, il y aura cette année plusieurs événements ou situations qui seront susceptibles d’avoir un impact important sur les marchés financiers. A commencer par les attentes de baisse des taux des principales banques centrales comme la Fed qui sont déjà largement intégrées par les marchés. En d’autres termes, cela signifie aussi que si, pour une raison ou une autre, le scénario de baisse des taux attendu ne devait pas se concrétiser, cela pourrait déclencher de fortes variations sur les marchés et aussi entraîner des changements de préférence des investisseurs pour tel ou tel secteur.

«Aujourd’hui, le secteur technologique n’est pas sélectionné par la stratégie appliquée au marché américain. Apple, Microsoft et Nvidia ne font donc pas partie du portefeuille.»

A supposer, par exemple, que les prix du pétrole remontaient fortement, cela relancerait l’inflation sous l’effet des coûts plus élevés de l’énergie, ce qui pourrait empêcher la Fed de baisser ses taux aussi vite qu’attendu par les marchés. Un tel scénario conduirait les investisseurs à privilégier les valeurs bancaires qui conserveraient une marge de profit importante liée aux crédits, au détriment des services aux collectivités («utilities»), fortement endettés. Il y a de bonnes chances que l’on assiste dans un tel cas à une surréaction des marchés, car les investisseurs tendent à surréagir à ce type de «narratives» comme les appelle Robert Shiller. Notre stratégie cherche justement à exploiter ces situations de sur- ou sous-réaction des investisseurs aux flux d’informations, qui génèrent des sur- ou sous-valorisations de tel ou tel secteur.

Votre stratégie fonctionne mieux quand le marché est dispersé en termes sectoriels. Le marché est-il suffisamment dispersé au début de 2024?

Effectivement, plus les performances entre les secteurs sont dispersées, plus la stratégie a d’opportunités de battre le marché. Historiquement, la stratégie a surperformé dans tous les régimes de dispersion, particulièrement en régime de dispersion élevée. Depuis 2023, la dispersion sectorielle est forte en dépit d’une volatilité globalement faible.

Pourquoi cette tendance devrait-elle se poursuivre en 2024?

Il y a un phénomène d’autocorrélation de la dispersion. Lorsque la dispersion est forte, on peut s’attendre à ce que cette dispersion reste forte encore un moment. Comme je l’ai déjà évoqué, plus il y a de «narratives» qui ont une forte influence sur les marchés, plus il y a d’opportunités pour que la stratégie fonctionne. Il suffit de penser aux élections présidentielles américaines de novembre: en fonction du résultat, cela peut profiter à certains secteurs et être défavorable à d’autres.

Sur la base de votre modèle, faudrait-il actuellement sur- ou sous-pondérer les valeurs technologiques américaines portées par les «7 magnifiques»?

La stratégie compare les ratios de CAPE relatifs entre les secteurs. La première étape consiste ainsi à estimer la cherté de chaque secteur par rapport à ses standards historiques. Puis la deuxième étape consiste à comparer ces niveaux de cherté relatifs entre les secteurs. Aujourd’hui, le secteur technologique n’est pas sélectionné par la stratégie appliquée au marché américain. Apple, Microsoft et Nvidia ne font donc pas partie du portefeuille. En revanche, le secteur des services de communication ainsi que celui de la consommation durable sont sélectionnés. Les autres «7 magnifiques», c’est-à-dire Meta, Alphabet, Amazon et Tesla sont donc investis. Si notre modèle ne porte pas sur tel ou tel thème d’investissement ou sur l’acronyme du moment, il est tout de même intéressant de noter que la stratégie a réussi à surperformer le marché américain en 2023, malgré une pondération moyenne aux «7 magnifiques» inférieure (20% contre 25,6%).

«Les baisses de marché interviennent souvent en période d’augmentation de la volatilité, qui elle-même alimente la dispersion entre les performances sectorielles.»

Quels autres secteurs sont sélectionnés par la stratégie?

En plus des secteurs des services de communication et de la consommation durable, la stratégie américaine a sélectionné les secteurs de la finance ainsi que celui des matériaux. La version européenne de la stratégie a sélectionné les mêmes secteurs, sauf le secteur de la finance qui est remplacé par celui de la santé.

Vous procédez à une permutation moyenne de deux secteurs tous les deux mois. Quels en sont les coûts et comme cela affecte la performance finale du fonds?

La stratégie étant équipondérée entre 4 secteurs, cela signifie que le turnover est de l’ordre de 50% tous les deux mois. Concernant les coûts liés à ce rééquilibrage, ils sont intégrés dans le prix du swap puisque la réplication des stratégies est synthétique s’agissant des versions standards. Les achats/ventes sont donc effectués par nos contreparties de swap, qui bénéficient naturellement de frais de rebalancement très attractifs.

Dans l’ensemble, peut-on dire que le modèle marche mieux lorsque les marchés vont moins bien?

Historiquement, c’est effectivement ce que nous avons observé. La raison principale est que les baisses de marché interviennent souvent en période d’augmentation de la volatilité, qui elle-même alimente la dispersion entre les performances sectorielles. Lorsque la stratégie est positionnée dans le bons sens, cela créée mécaniquement beaucoup de surperformance. Bien sûr, si, à l’inverse, elle était positionnée dans le mauvais sens, cela engendrerait une plus grande sous-performance.

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