Transformer le monde? Une priorité rentable à condition d’avoir du temps, de la détermination et les mains libres, répond Rosie Rankin de Baillie Gifford.
Fondée en 1908, la discrète Baillie Gifford s’est imposée comme un acteur incontournable dans la gestion d’actifs, affichant quelque 487 milliards de dollars d’AuM1. Et ce parce que, résistant aux sirènes opportunistes, cette plus que centenaire société créée à Édimbourg a su conserver son indépendance qui lui permet de poursuivre une vision long-terme sans compromis. Sa vision, financer l’innovation de demain pour un monde meilleur à travers des entreprises à forte croissance, est le moteur de son développement durable et profitable. Décryptage avec Rosie Rankin, Directrice de la stratégie de changement positif chez Baillie Gifford.
Les deux sont liés, l’indépendance étant garante de la vision long terme qui caractérise Baillie Gifford. Cette indépendance, elle s’illustre d’abord dans la gouvernance du partenariat: la 7e génération d’associés, qui ensemble possèdent 100% du capital sans qu’aucun n’en détienne plus de 10%, est, comme celles qui l’ont précédée, active dans la société. Lorsqu’un associé part en retraite, il est remplacé par quelqu’un promu en interne – la mobilité interne fait partie de la recette de la réussite de Baillie Gifford, qui explique son très faible turn-over. La gouvernance humaine n’est pas en reste: nous recherchons des penseurs, des personnalités curieuses – quelles que soient les études qu’elles aient faites, qu’elles soient allées à l’université ou non. L’indépendance vis-à-vis du temps également, est fondamentale: chez Baillie Gifford, le temps dure longtemps, que ce soit le temps des collaborateurs et le temps des investissements. L’indépendance, c’est enfin celle de la gestion affranchie de tout benchmark, de toute contrainte de pondération – une fois que nous avons trouvé les bonnes entreprises, nous les gardons longtemps en portefeuille.
Tout comme notre passé est long, notre regard vers le futur va loin. Nos stratégies d’investissement sont toutes fondées sur le long terme. Nous avons à cœur de continuer à bien faire ce que nous faisons depuis toujours: investir dans des actions – 90% de nos actifs sont des actions, cotées majoritairement, avec quelques investissements dans des entreprises non cotées –, sur le segment de la croissance – et non «value» – et, surtout, à long terme – pour au moins 5 ans, souvent 10 ans. Donner du temps au temps, notre credo: ce qui se passera l’année prochaine ne nous intéresse pas, nous ne réfléchissons pas en trimestre. A quoi ressemblera une entreprise dans 10 ans, telle est la question centrale de notre processus de sélection. S’inscrire dans un horizon séculaire ne nous empêche pas, bien au contraire, d’accueillir l’innovation, de chérir la disruption, de chasser les créateurs des produits et services qui changeront le monde.
Moderna. Nous avons commencé à parler d’investir en 2016, alors que la société n’était pas encore cotée. Nous étions enthousiasmés par leur potentiel à développer des médicaments révolutionnaires. Nous avons investi au moment de leur introduction en bourse en 2018. L’avenir nous a donné raison: ils ont sorti depuis des médicaments et des vaccins et (COVID notamment mais pas seulement) et ont un pipeline de nouveaux traitements en développement impressionnant. L’histoire que nous avons avec Tesla est semblable: nous sommes entrés au capital en 2013, à un moment où les avis sur son avenir étaient loin de faire l’unanimité. Nous sommes depuis lors le plus gros investisseur institutionnel dans le capital de l’entreprise californienne.
Je pourrai multiplier les exemples, Spotify en est un autre, qui montrent que nous n’écoutons que nos convictions lorsque nous décidons d’investir, sans avoir à nous préoccuper de la pression d’actionnaires externes.
Un actionnaire au long cours, un actionnaire patient, un partenaire de confiance en quelque sorte. Nous n’avons pas de politique actionnariale, notre vision long terme en fait office. Parce que n’investissons que dans des entreprises que nous considérons comme exceptionnelles et croyons profondément en elles, notre rôle consiste souvent à accompagner le management sur le long terme.
Curieux, optimiste, patient, à l’affût d’opportunités très rentables sans être du tout opportuniste, tel est le type d’investisseur que nous sommes. Tous comme nos clients, qui sont essentiellement des institutionnels – caisse de pension, trusts, fondations, des investisseurs de long terme. Notre reporting est un autre élément de différenciation: nous avons mis en place un rapport annuel d’impact report, revu par KPMG. Une autre caractéristique, importante, tient à ce que nous sommes exclusivement guidés par une recherche fondamentale maison, qui se passe de données achetées à des tiers. A une approche quantitative nous préférons travailler avec des experts industriels ou des académiques sur un sujet donné. La genèse de «Positive change» est typique de notre approche libérée de toute contrainte – sinon le rendement: à l’origine était un jeune investment manager né en Chine qui, ayant assisté à la transformation de la population chinoise pendant son enfance, a convaincu les associés qu’investir dans la véritable transformation («positive change») était à la fois bénéfique pour la qualité de vie humaine et l’avenir de la planète mais aussi rentable. Autrement dit, changer les choses n’est pas obligatoirement une initiative à fonds perdu, ni l’apanage des œuvres charitables. Typique également par les thèmes de cette stratégie, qui vise à combiner fort impact et fort rendement: inclusion sociale et éducation (e.g. Duolingo); soins de santé et qualité de vie (e.g. Moderna); environnement et ressources (e.g. Beyond Meat); répondre aux besoins des plus démunis (e.g. Safaricom).