Réfléchir en décennie, et non en trimestre

Salima Barragan

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«Nous apprenons à nos gestionnaires à penser différemment», déclare Stuart Dunbar de Baillie Gifford.

A la conquête de l’Europe, Baillie Gifford vient d’ouvrir un bureau à Zurich sous la direction d’Anna Bretschneider. Le gérant d’actifs qui nous vient d’Ecosse suit une philosophie d'investissement axée sur le long terme et se concentre sur des sociétés de croissance - cotées ou en mains privées - qui exploitent les nouvelles technologies et rompent avec les industries bien établies. Loin des bruits de marché, Stuart Dunbar, associé chez Baillie Gifford, et son équipe identifient les entreprises qui feront la différence dans les cinq à dix prochaines années. Entretien.

Pour quelle raison un gérant traditionnellement spécialisé dans les fonds de pension s’installe à Zurich?

Les fonds de pension ont connu un franc succès au cours de ces dernières années. Actuellement, leur potentiel de croissance subsiste, cependant nous savons pertinemment que d’ici vingt ans, cet univers se réduira dramatiquement. Nous souhaitons donc évoluer vers un différent mix de clients. Avec les ouvertures de filiales et bureaux à travers l’Europe, dont le bureau de Zurich, nous souhaitons étendre notre réseau et capturer des canaux différents tels que les banques privées. En outre, Zurich reste aussi un hub de premier ordre dans la sélection de managers et de fonds.

Les marchés et les prix des actions nous intéressent peu. La volatilité
des prix, les suiveurs de tendance et les momentums non plus.
Combien d’encours sous gestion et quelle clientèle cherchez-vous à capter?

Nous n’avons aucun objectif d’avoirs sous gestion, car la taille n’est pas une garantie de succès. C’est la progression des sociétés dans lesquelles on investit qui est primordiale. Nous ciblons une clientèle qui comprenne notre façon d’investir et qui partage notre vision d'un horizon d'investissement de plus de cinq ans.

Comment vous différenciez-vous de l’offre de la concurrence très étoffée sur le marché suisse?

Nous nous démarquons de la gestion benchmarkée, surpondérée ou sous-pondérée de nos compétiteurs. En réalité, les marchés et les prix des actions nous intéressent peu. La volatilité des prix, les suiveurs de tendance et les momentums non plus. Indifférents aux aléas à court terme des marchés, nous nous concentrons sur les modèles d’affaires, les capitaux déployés et les managements des entreprises. Nous nous focalisons sur les performances à cinq ans ou plus et non sur les chiffres d’affaire ou les bénéfices trimestriels. Cependant, il est difficile d’avoir une vue à long terme sans un horizon de temps de dix à vingt ans. Nous apprenons à nos gestionnaires – dont les formations sont variées – à penser différemment.

Quel est votre style d’investissement?

Nous investissons dans des entreprises extraordinaires - privées ou cotées en bourse - qui offrent une belle perspective de croissance sur cinq, dix ans voire plus. Nos gestionnaires examinent les possibilités futures d'une entreprise plutôt que ses bénéfices actuels tout en ignorant les bruits du marché. Il y a un grand malentendu sur la nature les rendements des marchés car en réalité, la plus grande partie de la richesse est créée par un petit nombre de sociétés que nous considérons comme des anomalies.

En Suisse, nous aimons particulièrement les sociétés familialement contrôlées
où les intérêts sont alignés à long terme et non à court terme.
Avez-vous quelques exemples de sociétés disruptives dans lesquelles vous avez investi?

Alors que personne n’en parlait encore, nous étions des investisseurs de la première heure dans Tesla. Cette société n’est pas un constructeur automobile comme les autres en termes de fondamentaux. Elle a dix ans d’avance sur ses compétiteurs dont elle grignotera les parts de marché. Avant la pandémie, nous détenions déjà le titre Zoom, qui en l’espace de trois mois a progressé l’équivalent de cinq ans! Le monde n’a pas changé mais les gens ont été forcés de se réveiller et de se rendre compte qu’il y a des façons différentes de faire les choses. En Chine, nous avions misé sur Tencent bien avant sa célébrité. De la réservation d’une table de restaurant aux messageries instantanées, Tencent offre tous les services imaginables. Nous aimons aussi Meituan-Dianping très présente en Chine dans le créneau de la livraison de plats cuisinés car nous avons observé une révolution dans la consommation de nourriture en Asie. Notez que de plus en plus d’immeubles y sont construits sans cuisine pour que les familles se fassent livrer jusqu'à trois fois par jour…

Détenez-vous des titres de croissance suisses?

En Suisse, nous aimons particulièrement les sociétés familialement contrôlées où les intérêts sont alignés à long terme et non à court terme. Les fondateurs investissent dans le futur et sans contraintes quant au prix de leurs actions, ce qui correspond parfaitement à notre philosophie d’investissement. Nous détenons des sociétés de niche tels que Sensirion, spécialisée dans les capteurs de machines et de téléphones, qui équipera dans le futur également les véhicules autonomes ou encore U-Blox, qui crée des semiconducteurs et bénéficie d’une excellente position concurrentielle. L’entreprise profitera notamment de l’essor de l’Internet des Objets (IoT) et du développement de l’intelligence artificielle.

Allez-vous recruter du personnel pour votre bureau à Zurich?

Oui, car dans un futur proche nous aurons besoin de renfort ! Notamment des spécialistes du marketing et de la compliance. Au cours des dix prochaines années, nous envisageons d’engager une poignée de collaborateurs pour soutenir Anna Bretschneider.