Développement durable: maintenir le cap

Ophélie Mortier, DPAM

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La reprise économique ne sera durable que si toutes les parties prenantes s’engagent ensemble en vue du bien commun.

©Keystone

Le COVID-19 a remis en avant le fait que le facteur social et le capital humain en particulier constituent les piliers de l’entreprise. Il appartient aux employeurs de mettre en place des mesures de prévention et de protection de la main d’œuvre afin de s’assurer de la continuité de l’activité économique et des efforts des personnes employées. Dès lors qu'elles sont partie intégrante du projet, ces dernières se sentent personnellement concernées et se montrent donc désireuses d’apporter leur contribution. 

A ce propos, il peut être intéressant de comparer la situation des employés scandinaves à celle de ceux qui travaillent dans certains grands magasins ou pour le compte de géants tels qu’Amazon. Alors que les premiers ont hâte de reprendre le travail, certains que les mesures nécessaires ont bien été prises, les seconds s’y refusent du fait de l’absence de garanties quant à la prévention des risques sanitaires. Une relation de confiance ne s’instaure généralement pas en quelques jours, mais nécessite plusieurs confirmations à différents moments. Il sera donc intéressant d’examiner l’impact des mesures prises par Amazon pour protéger ses employés et les récompenser pour leurs efforts. Les réserves COVID de l’entreprise sont colossales (4 milliards de dollars), mais les mesures prises plus réactives que proactives. Toute la question est de savoir quel sera leur impact à court terme sur le retour au travail et en quoi elles influeront sur la loyauté des employés et la capacité bénéficiaire de l’entreprise à moyen et long terme.

Vers l’automatisation

Les machines étant par définition résistantes aux pandémies et aux virus, une plus grande automatisation des tâches pourrait être un moyen de répondre à la nécessité de continuité de l’activité économique. Le processus d’automatisation est déjà bien avancé et il devrait se poursuivre dans la mesure où il répond à la fois à la problématique de la sous-traitance à l’étranger et à celle du risque sanitaire. Toutefois, les machines ne sont pas la panacée et elles ne peuvent remplacer l’être humain. Cela dit, il convient de se préparer, tant au niveau des différents secteurs économiques qu’à celui de nos descendants, à une progression constante de l’automatisation.

Les aspirations professionnelles des adolescents interrogés correspondent
davantage à des métiers des XIXe et XXe siècles plutôt qu'à ceux du XXIe.

La dernière étude PISA de l’OCDE s’est focalisée sur la question de l’adéquation du système éducatif au marché de l’emploi. Elle conclut malheureusement que la majorité des étudiants interrogés sont mal préparés aux métiers de demain. En effet, bien que le marché de l’emploi ait subi des mutations importantes ces dernières années, les pratiques pédagogiques n’ont pas suivi. Les aspirations professionnelles des adolescents interrogés correspondent davantage à des métiers des XIXe et XXe siècles plutôt qu'à ceux du XXIe. Cela s’explique en partie par l’apparition de nombreux métiers nouveaux dont on ne pouvait anticiper l’existence et auxquels il n’était donc pas possible d’aspirer. Le genre et milieu socio-économique d’origine influencent aussi fortement les ambitions des adolescents. Ainsi les garçons sont sept fois plus nombreux que les filles à vouloir se diriger vers les métiers de l’informatique, des communications et du secteur de la technologie. 

Rares sont les pays qui peuvent aujourd’hui prétendre offrir des cursus scolaires adaptés aux besoins professionnels d’aujourd’hui et de demain. La crise financière de 2008-2009 a eu des effets désastreux sur la santé et l’éducation, les premiers secteurs touchés par les restrictions budgétaires. Il faut espérer que les mêmes erreurs ne seront pas répétées durant la crise actuelle. 

Ceci nous amène à examiner le rôle des gouvernements et des banques centrales. Alors que la coopération internationale n’a jamais été aussi indispensable qu’aujourd’hui, les comportements des différents pays, que ce soit à l’échelle mondiale ou à celle de l’Union européenne, montrent que le dialogue ou la poursuite d’un objectif commun ne sont pas à l’ordre du jour. 

Diverses institutions ont pourtant plaidé explicitement en faveur d’une reprise durable. Le 26 mars dernier, dans leur déclaration commune, les membres du Conseil européen ont appelé à intégrer la transition écologique dans le plan de relance économique. Le 14 avril, «l’alliance pour une relance verte» abondait dans ce sens en demandant que le Pacte vert européen soit placé au cœur du plan de relance post-pandémique de l’UE. Bien que l’on puisse multiplier les exemples d’interventions de ce type, il y a loin des paroles aux actes comme en témoigne l’octroi de subventions au secteur de l’aviation. Faut-il donc craindre un recul des ambitions en matière de lutte contre le réchauffement climatique?

Des ambitions repoussées, mais pas nécessairement amoindries

Au niveau international, la relance chinoise ne laisse rien présager de bon en matière de climat: après avoir mis en place d’importants programmes de lutte contre le changement climatique et investi massivement dans des solutions plus «vertes», la 2e économie mondiale paraît avoir relâché ces efforts à la suite de l’arrêt complet de l’activité du pays pendant plusieurs mois et de ses conséquences économiques désastreuses. Les centrales à charbon sont rouvertes, les usines tournent à plein régime et la qualité de l’air des mégalopoles se détériore à nouveau. Ces sacrifices vis-à-vis de l’environnement devraient permettre de maintenir le pouvoir d’achat d’une classe moyenne toujours plus importante. Les plans de relance du pays ne sont pas axés sur les énergies renouvelables, mais sur l’industrie lourde et la construction de nouvelles centrales électriques au charbon. Alors que le gouvernement s’apprête à injecter 7’000 milliards de dollars dans l’économie, ses objectifs climatiques semblent avoir été oubliés : la reprise économique de la Chine n’est pas fondée sur des considérations écologiques.

C’est au niveau européen que les espoirs de réponses
à la hauteur des ambitions et des engagements sont les plus grands.

Les provocations à répétition du président américain n’augurent pas d’une reprise verte et durable. Après avoir sorti les Etats-Unis de l’Accord de Paris, Donald Trump leur a fait quitter l’Organisation mondiale de la Santé. Il ne reste plus qu’à espérer que des états comme la Californie réussissent à mettre l’investissement écologique au cœur de leur reprise et compensent ainsi le défaut d’image à l’échelon fédéral. 

C’est au niveau européen que les espoirs de réponses à la hauteur des ambitions et des engagements sont les plus grands. Ces dernières années, la Commission européenne a montré sa volonté d’aller de l’avant sur la question de la durabilité, de l’économie circulaire et des investissements durables et responsables. L’accélération amorcée par la Commission Juncker par le biais du plan d’action sur la finance durable, de la taxonomie de la finance durable et de la réglementation concernant les indices bas carbone, s’est trouvée largement confirmée dans le Pacte vert d’Ursula von der Leyen, un élément essentiel d’une stratégie de croissance durable et inclusive. 

L’année 2020 sera celle de la COP 26, reportée, mais non pas annulée, qui marquera le 5e anniversaire de l’Accord de Paris. Il s’agit d’une date charnière dans la mesure où elle représente le moment où les états signataires se sont engagés à augmenter leurs contributions. Seule une minorité d’entre eux les ont déjà revues à la hausse, mais l’impact économique de la pandémie amène à penser que cette situation ne va guère évoluer. La COP 26 se tiendra bien à Glasgow, mais elle a été repoussée à 2021, année durant laquelle la présidence de l’Union européenne sera assurée par la Slovénie (au lieu de l’Allemagne si elle s’était tenue comme prévu en 2020).

Les réponses du système financier

Au-delà des actions des gouvernements et des banques centrales, la crise pourrait également remettre en question la capacité du système financier international à répondre aux objectifs de ce siècle. De nombreuses leçons ont pu être tirées depuis la crise financière de 2008.

En 2008-2009, l’investissement durable et responsable en était encore à ses balbutiements : à cette époque, les Principes pour l’Investissement Responsable des Nations Unies (UN PRI) représentaient environ 12’000 milliards de dollars contre près de 90’000 aujourd’hui. La réglementation concernant la responsabilité des investisseurs ou celle afférente aux obligations d’information des entreprises a considérablement évolué. Les investissements durables et responsables ont démontré leur résilience face aux crises. L’évolution technologique s’est accélérée et a ouvert la voie à une multitude de nouvelles opportunités tout en réduisant les coûts (notamment dans le domaine des énergies renouvelables). Les différentes parties prenantes subissent une pression accrue et la société civile n’hésite plus à s’engager.

Le système financier a un rôle essentiel à jouer
dans la reprise économique qui suivra la pandémie.

Il convient donc continuer à tirer les leçons des crises, y compris de celle déclenchée par le COVID-19. C’est ainsi qu’il sera possible de rester centrés sur les objectifs à moyen et long terme et de soutenir les initiatives en faveur d’une économie et d’une finance plus durables. Le système financier a un rôle essentiel à jouer dans la reprise économique qui suivra la pandémie et il peut s’assurer que cette reprise sera durable et inclura toutes les parties prenantes. 

Vers un cercle vertueux

De ce point de vue, le rôle de l’actionnaire sera primordial. Compte tenu du caractère exceptionnel de la situation actuelle et des mesures tout aussi exceptionnelles qui ont été prises, la gouvernance devra être abordée avec une certaine flexibilité. Le dialogue actif avec les entreprises permet de mieux comprendre leurs difficultés, qu’elles soient temporaires ou non, et d’adapter les décisions des actionnaires en conséquence, et ce en visant un horizon d’investissement de moyen terme. 

La crise déclenchée par le COVID-19 a renforcé la gouvernance de l’ensemble des parties prenantes et cela signifie que l’entreprise ne se focalise plus uniquement sur l’actionnaire. Sa stratégie va dorénavant bien au-delà du seul objectif d’optimiser sa capacité à réaliser des bénéfices. La responsabilité de l’entreprise vis-à-vis de la société dans son ensemble est revenue au cœur des débats, à l’instar de la recherche d’un meilleur équilibre entre les différentes parties prenantes et la création de valeur à long terme. L’intégration constante des facteurs ESG permet de s’engager sur la voie d’un cercle vertueux caractérisé par l’allongement des horizons d’investissement et de meilleures pratiques ESG.

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