La baisse des taux d’intérêts en Suisse tout au long de l’an dernier a rendu les rendements obtenus dans l’immobilier à nouveau plus attrayants comparativement. Que faut-il attendre pour le marché de l’immobilier en 2025 ? Quels sont les freins qui empêchent de pouvoir répondre à la demande de la population et des entreprises en matière de logements? Le point sur la situation avec Jan Eckert, CEO Suisse & head of capital markets DACH chez JLL Switzerland qui s’exprimait dans le cadre du salon de l’immobilier IMMO’25 qui se tient mercredi et jeudi à Zurich.
Parmi les différentes thèses pour 2025 présentées mercredi dans le cadre de la conférence Immo’25, vous avez déclaré vous attendre à ce que les loyers continuent d’augmenter, et cela au travers de différents segments (habitations, bureaux, commerce de détail). Pourquoi êtes-vous si confiant quant à une poursuite de la hausse des loyers?
L’évolution des loyers ne peut pas être déconnectée de celle des coûts de la vie de façon plus générale et des salaires. Or, en ce moment, on peut observer que les revenus d’une partie importante de la population, en particulier dans les grandes villes, ont continué d’augmenter au cours des dernières années. Bien sûr, cela ne vaut pas pour tout le monde – il y a aussi des gens qui ont vu leurs revenus stagner ou diminuer.
«Lorsque l’on parle de hausse des loyers, il faut toujours garder à l’esprit le fait que les loyers ne représentent qu’une faible partie des coûts pour beaucoup d’entreprises.»
Néanmoins, dans le domaine où nous sommes actifs, il y a suffisamment d’entreprises qui peuvent se permettre de dépenser davantage pour des loyers dès lors que les objets immobiliers qui leur sont proposés correspondent à leurs attentes. Cela peut être le cas pour des entreprises actives dans les technologies, la finance, les assurances, des family offices, etc. Il existe encore un grand potentiel de développement pour ce segment de clientèle-là. Les prix les plus élevés observés pour les surfaces commerciales et de bureau dans les endroits bien centrés restent extrêmement élevés dans des villes comme Zurich ou Genève, tout comme c’est d’ailleurs aussi le cas dans de nombreuses grandes villes à l’étranger.
S’agissant de l’immobilier de bureau, les loyers les plus élevés pratiqués en Suisse ont particulièrement augmenté entre 2019 et 2024 à Genève (+19%) et Zurich (+9%), en partant de niveaux de prix au mètre carré relativement proches en 2019. Partant de niveaux plus bas, cela a aussi été le cas dans des villes comme Lucerne (+28%), Zoug (+22%), Berne (+22%) et dans une moindre mesure à Lausanne (+8%). Comment expliquer ces augmentations alors que tout le monde parlait, à la sortie de la pandémie, de bureaux à moitié vide et de surfaces commerciales désertées à cause du e-commerce?
En ce qui concerne Genève, où la hausse a été particulièrement importante entre 2019 et 2024, on peut observer que la ville se trouve au milieu d’une phase de transition. Il y avait eu pendant longtemps à Genève de nombreux bâtiments qui ne correspondaient plus aux exigences d’une partie de la clientèle. Ensuite, de nouveaux projets et de nouvelles surfaces ont été proposées, lesquelles ont mieux répondu aux attentes des clients. Dans le domaine de l’immobilier, Genève a longtemps vécu en-dessous de son potentiel.
Pendant longtemps, il y avait peu surfaces vacantes à Genève, ce qui fait que personne n’avait besoin ni ne voulait investir. Ensuite, de nouveaux bâtiments sont apparus sur le marché avec un nouveau positionnement correspondant mieux aux attentes des entreprises. Cela a fait que beaucoup d'entreprises ont à nouveau été intéressés à avoir des bureaux à Genève ou à proximité, plutôt que d’être situées dans des endroits plus éloignés et dépourvus d’accès aux transports publics.
En outre, lorsque l’on parle de hausse des loyers, il faut toujours garder à l’esprit le fait que les loyers ne représentent qu’une faible partie des coûts pour beaucoup d’entreprises. Qu’une entreprise paye 800 francs ou 1000 francs par mètre carré pour ses surfaces de bureau ne fait pas toujours une si grande différence si elle emploie des collaboratrices ou des collaborateurs qui gagnent entre 150'000 ou 200'000 francs par an par exemple. Pour ces entreprises, le fait de pouvoir attirer et fidéliser les employés les plus compétents joue un rôle plus important.
A propos du manque de logements ou la rareté des objets disponibles en Suisse, vous avez déclaré que ce n’est pas le capital qui manque en Suisse. Il y a selon vous bien assez de gens et d’investisseurs qui sont prêts à investir dans des projets immobiliers. Qu’est-ce qui serait alors nécessaire pour améliorer la situation?
Depuis quelques années, les questions liées à l’immobilier sont abordées dans le cadre d’une sorte de club de débat où chaque camp réaffirme ses positions sans qu’il n’y ait une réelle volonté de changer les choses. Or, les autorités et les politiques doivent apporter des solutions et ensuite les mettre en œuvre. On ne peut pas encore attendre 20 ou 30 ans avant de résoudre les problèmes.
Que faudrait-il faire concrètement?
Il est possible de procéder à des changements d’affectation pour certaines zones. On peut aussi permettre de bâtir davantage en hauteur dans certains endroits. Des partenariats peuvent être conclus entre les autorités et différentes catégories d’investisseurs.
«En 2023, beaucoup d’entreprises misaient sur un modèle 3 jours de travail au bureau, 2 jours à la maison, leur préférence va désormais en 2024 plutôt vers une répartition de type 4 jours au bureau et un jour à domicile.»
Historiquement, l’exemple de la construction du Lignon dans les années 1960 est intéressant à rappeler. En quelques années, investisseurs et autorités ont réussi à trouver une solution pour construire un grand nombre de logements dans un ensemble cohérent. A l’étranger aussi, on voit apparaître des «Micro Cities» dans différents endroits. Comparativement, tout reste bloqué en Suisse actuellement.
Il y a trois ans, au sortir de la pandémie de Covid, beaucoup d’experts doutaient du potentiel de retour dans les bureaux d’une partie du personnel. Quels ont été les changements induits par le Covid rétrospectivement et quelles sont vos attentes pour les prochaines années?
Il est certain que le Covid a entraîné l’un des plus grands changements de paradigme dans l’immobilier de bureau depuis plusieurs décennies, voire presque depuis toujours. Maintenant, les réponses apportées par les entreprises varient d’un secteur à l’autre et même d’une entreprise à l’autre. Les besoins ne sont pas les mêmes dans la IT que dans le conseil par exemple ou pour d’autres types de services.
En termes du nombre de jours de présence dans les bureaux au cours d’une semaine, on est passé successivement d’une situation où presque tout le monde faisait du Home office durant la pandémie à une répartition de type 3 jours au bureau, 2 jours de télétravail.
Un sondage que l’on a effectué en novembre dernier a fournit des indications intéressantes: alors qu’un an plus tôt, en 2023, beaucoup d’entreprises misaient sur un modèle 3 jours de travail au bureau, 2 jours à la maison, leur préférence va désormais en 2024 plutôt vers une répartition de type 4 jours au bureau et un jour à domicile. La présence dans l’entreprise est importante pour la communication, pour favoriser l’innovation. Dès lors que le personnel travaille entièrement à la maison, des entreprises peuvent se dire que le travail peut aussi être effectué à partir de n’importe où dans le monde. Le travail effectué en outsourcing peut être réalisé depuis l’Inde ou la Malaisie ou n’importe où ailleurs. Il y a déjà de nonbreux centres de services partagés qui s’occupent de tâches de support tels que l’identification de la clientèle, la facturation à partir de Calcutta ou Kuala Lumpur. Pour les autres activités à plus forte valeur ajoutée, beaucoup d’entreprises préfèrent à nouveau pouvoir travailler davantage avec leurs employés sur place plutôt qu’en télétravail.