Croissance et inflation en ralentissement

Nicolette de Joncaire

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«Nous attendons une croissance réelle de l’ordre de 2% aux Etats-Unis et de 0,5% en Europe et en Grande-Bretagne», déclare Julien Lafargue de Barclays Private Bank.

Taux revus à la baisse aux Etats-Unis et en Europe, année électorale américaine, vitalité inattendue du marché japonais, ralentissement en Europe, faiblesses de l’économie chinoise, l’année 2024 démarre dans l’incertitude. A quoi s’attendre? Comment allouer et déployer le capital? Les réponses de Julien Lafargue, responsable de la stratégie de marché de Barclays Private Bank.

Vous attendez-vous à une baisse rapide des taux aux Etats-Unis et en Europe?

Les taux baisseront sûrement mais plutôt que de s’interroger sur «quand» il me parait important de se demander «pourquoi». Baisseront-ils parce que la croissance déçoit, parce que l’inflation diminue, parce nous assistons à un atterrissage en douceur? Je n’observe, pour ma part, aucun signe de crise majeure ni de récession sévère sur les douze prochains mois. Mais il ne faut pas sous-estimer les mauvaises surprises. En ce qui concerne la Fed, nous pourrions voir des baisses de taux à l’été ou juste avant. Notre sentiment n’est pas celui d’une catastrophe imminente mais nous voyons plutôt un scenario central de croissance et d’inflation en ralentissement, avec une croissance réelle de l’ordre de 2% aux Etats-Unis et aux alentours de 0,5% en Europe et en Grande-Bretagne. Ces dernières étant plus affectées par la crise énergétique subséquente à la guerre en Ukraine.

«Contrairement à ce que l’on entend parfois, les Etats-Unis ne feront probablement pas défaut même si leur dette n’est pas près de disparaitre.»

Le poids de la dette n’est-il pas l’une des raisons pour lesquelles la Fed se hâtera de baisser les taux?

Le rôle de la Fed n’est pas directement de soutenir les finances publiques américaines mais le poids de la dette d’Etat va influer sur la politique monétaire. Ce qu’il faut retenir est que l’argent consacré au service de la dette ne sera pas investi dans la croissance et il en découlera un ralentissement que le double mandat de la Fed la contraint à aborder. Contrairement à ce que l’on entend parfois, les Etats-Unis ne feront probablement pas défaut même si leur dette n’est pas près de disparaitre. Grâce au statut du dollar, ils peuvent se permettre ce que d’autres ne peuvent s’autoriser.

On a vu nombre de banques centrales de pays émergents vendre leurs positions en bons du Trésor américain. Une manœuvre politique?

Les banques centrales émergentes se sont débarrassées des bons du Trésor américain pour rebalancer les actifs au bilan en compensant avec davantage d’or. Toutefois ces mouvements ne sont pas inquiétants. J’y vois davantage une volonté de ces banques centrales de se diversifier face à l’incertitude que de faire pression sur les Etats-Unis.

L’élection possible de Donald Trump est-elle un motif d’inquiétude pour les marchés financiers?

Il est trop tôt dans le processus pour se prononcer et ce n’est pas encore une préoccupation première des marchés qui en ont d’autres pour l’instant. L’attention se portera sur les élections à partir du deuxième trimestre. Il importe de ne pas se positionner trop à l’avance. Il n’en reste pas moins que la question du résultat des élections va se poser et que l’inquiétude donc la volatilité devrait s’intensifier. Rappelons-nous que ce qui importe davantage n’est pas le nom du candidat mais l’état de l’économie.

Le marché japonais a connu un rebond inespéré en 2023. Les nouvelles règles sur la gouvernance en sont-elles une cause?

Les changements de la gouvernance d’entreprise au Japon ne sont pas si nouveaux, on en parlait déjà beaucoup il y a dix ans. En réalité, c’est la corrélation entre le marché japonais et le yen qu’il faut observer. Un yen faible favorise l’exportation et donc le boom économique mais, ramenée en francs suisses ou en dollars, la performance des actions japonaises n’a rien de spectaculaire.

Ralentissement de l’économie, tourmente immobilière et hausse vertigineuse du rapport dette/PIB, la Chine ne tient pas ses promesses.

Les attentes de rebond étaient mal placées quand la Chine a réouvert son économie post Covid. On parlait de 6%, voire 7%, de croissance mais une série d’évènements malencontreux a renforcé l’inévitable contraction des bilans nécessaire à un assainissement du crédit. Je m’attends à une croissance molle en 2024.

Croissance en baisse, inflation en baisse et donc taux en baisse Comment allouer le capital et comment le déployer?

L’année 2023 a permis de remettre le mot «income» dans Fixed Income. Sur les marchés obligataires, il n’est plus une question de rendement mais de générer des gains. Avec notre conviction que les taux vont baisser, il pourrait être judicieux d’allonger les maturités et jouer du couple rendement/appréciation. En ce qui concerne les actions, il nous parait important d’investir de manière à refléter notre vue macro à moyen et long terme. Ce sont les profits qui dictent la performance sur le moyen et long terme et qui déterminent la valorisation, Ce qu’on appelle ordinairement la qualité. Les secteurs qui pourraient bien performer quand les taux baissent sont les secteurs défensifs, comme les services publics (utilities), les biens et services de santé, les produits de base (staples).

Et les sept magnifiques?

Ce ne sont pas 7 mais 142 membres du S&P 500 qui ont fait mieux que l’indice en 2023, inutile donc de trop se focaliser. Quant au Nasdaq, il a gagné moins de 5% sur les deux dernières années (du 1/1/22-31/12/23).

Qu’en est-il des autres classes d’actifs?

De notre point de vue, il pourrait y avoir de la valeur dans les marchés privés (private equity ou private debt). La substitution du financement des banques par celui des marchés de capitaux offre des opportunités aux détenteurs de capitaux malgré le nombre faible d’IPO et de fusions/acquisition. Les hedge funds restent une source de décorrélation et les produits structurés sont en train de devenir l’un des building block des portefeuilles. Dans un environnement tel que celui que nous observons, avoir la possibilité de construire un instrument qui va donner plus ou moins de rendement selon le contexte est précieux pour améliorer la sensibilité de l’exposition.

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