De Dubaï à Genève

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Si vous voulez apprendre le private banking, c’est en Suisse qu’il faut le faire. Entretien avec Rahim Daya de Barclays.

En avril, Rahim Daya succédait à Gérald Mathieu1 au poste de CEO de Barclays Bank en Suisse, tout en conservant en parallèle sa position directeur de Barclays Private Bank pour le Moyen-Orient. Une nouvelle aventure qui lui demandera de réconcilier deux rôles a priori assez différents… et pourtant les similitudes pourraient être plus grandes que les dissemblances. Entretien.

Que représente pour vous ce passage de Dubaï à Genève et comment concilierez-vous les deux postes?

Le marché de la gestion de fortune du Moyen-Orient est étroitement lié à la Suisse. Plus de 80% des affaires effectuées par Barclays dans cette région sont réalisées à partir d’ici. Quant à sa typologie, elle est très représentative de celle du client très fortuné classique qui vient passer l’été au Royaume-Uni, en France ou en Suisse et aime l'immobilier londonien ou de la Riviera. En ce qui me concerne, mon transfert vers le berceau mondial de la banque privée me parait tout à fait naturel. Issu d’un univers très international, je n’éprouve aucune difficulté à concilier les deux rôles qui combinent clientèle suisse, russe, israélienne et moyen-orientale.

«Les Européens sont un peu plus classiques dans leurs goûts. Dans les pays émergents,
la clientèle est souvent plus transactionnelle, plus volatile, moins conservatrice.»
Quels sont les points communs et les différences entre les clientèles européenne et moyen-orientale?

Les Européens sont peut-être un peu plus classiques dans leurs goûts. Dans les pays émergents, la clientèle est souvent plus transactionnelle, plus volatile, moins conservatrice. Mais au niveau de fortune auquel nous faisons ici référence, les exigences sont très semblables. Pour dire vrai, même s’il s’agit de grandes fortunes privées, leurs besoins et leurs moyens ne différent guère de ceux de la clientèle institutionnelle.

En quoi Barclays est-elle bien adaptée à ces clients UHNWI?

Barclays est une banque à part entière au niveau mondial. Les UHNWI disposent normalement de plusieurs banques et Barclays est parfaitement positionnée pour être leur banque européenne. Et puis, dans les grandes banques privées suisses, ils se sentent souvent un peu perdus et trouvent chez nous un suivi … plus personnalisé. En outre, Barclays est exceptionnellement bien placée dans le domaine de l'immobilier, en Grande-Bretagne, dans le Sud de la France ou à Paris ainsi que dans la gestion de fortune. Dans tous les domaines, les salles de trading sont à Genève et offrent une capacité d'exécution mondiale – y compris dans les hedge funds et sur le private equity -, qui est une force. Existent aussi des liens étroits avec notre banque d'investissement qui nous permettent d’offrir des services de niveau institutionnel. 

Vos activités ont-elles souffert de la crise que nous venons de subir?

Notre infrastructure technologique a parfaitement fonctionné. Quant aux clients, ils se bien adaptés aux nouvelles méthodes. En réalité, ils se sont montrés plus engagés et plus disponibles qu’avant la crise, en premier lieu parce qu’ils se déplaçaient moins mais également parce qu’ils étaient particulièrement attentifs à la volatilité des marchés. Donc, pour nos clients existants, tout s’est bien passé. Par contre, avec les lockdowns mondiaux en place, il est devenu plus difficile d’en attirer de nouveaux.

«Au Royaume-Uni, Barclays est plutôt une banque de détail
mais en Suisse réside le berceau de la banque privée mondiale.»
La Suisse reste-t-elle un point focal de la stratégie de Barclays?

Pour ce qui est du Private Banking, sans le moindre doute. Les gens se tournent vers la Suisse pour son expertise, pour le sentiment de sécurité et de confiance qu’inspire le pays. Pour paraphraser Jean-Christophe Gérard2, «si vous voulez apprendre la banque privée, c’est en Suisse qu’il faut le faire». Au Royaume-Uni, Barclays est plutôt une banque de détail mais ici réside le berceau de la banque privée mondiale. Gérer une banque suisse sous la couverture d'une grande banque britannique, c’est offrir à la fois le spectre de tous les services bancaires et l’agilité d’une unité dédiée. En matière de gestion de fortune, c’est ici que les choses se passent, c’est ici que sont les meilleures équipes. Aux yeux de la clientèle fortunée et au plan international, il est critique d'avoir une banque suisse. Ce n’est pas seulement un débouché rentable, mais un élément capital.

Quel est votre regard sur le futur?

Les 10 à 15 prochaines années verront un immense transfert de richesse d’une génération à l’autre et partant, un changement de perspective sur la notion de gestion de patrimoine. Nous en avons eu un premier aperçu l'année dernière en mars et avril. Les aînés voulaient liquider leurs positions. La nouvelle génération voyait une excellente occasion de saisir des opportunités. Les tensions intergénérationnelles sur la façon d'aborder l'investissement étaient palpables. Le futur, ce sont de nouvelles stratégies, de nouveaux produits, de nouveaux objectifs. Et une redéfinition de la relation entre familles et banque. La génération qui arrive remet tout en question, y compris l’approche du profil de risque. 

«Mes prédécesseurs ont optimisé les coûts.
Je me concentrerai sur le développement des affaires.»
Moins de service, plus de collaboration? Les jeunes ont-ils davantage de connaissances techniques de la matière financière?

Non, les jeunes générations n'ont pas nécessairement plus de connaissances techniques que leurs ainés, mais d'après mon expérience, se montrent volontiers plus désireuses d'explorer des voies nouvelles. Et ont souvent des opinions bien arrêtées sur la façon d'utiliser leur argent.

Ce qui exige plus de diversité dans l’offre?

Oui, au-delà de l'immobilier et de la gestion financière classique, il faut être capable d'élargir l’offre. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait au cours des quatre dernières années, vers le private equity, les hedge funds, l’ESG. Une nouvelle boîte à outils.

On prête souvent les meilleures intentions aux Millenials.

Les bonnes intentions ont toujours existé mais il y a de nouvelles façons de les mettre en pratique. Autrefois, cela s’exprimait dans la philanthropie, aujourd’hui dans la finance d’impact.

En pratique, comment se passe le relai?

Parfois, l'un des enfants reçoit un mandat spécifique pour examiner des opportunités particulières (par exemple la philanthropie ou l’impact) que les seniors n'ont pas assez de temps pour explorer. C'est une bonne façon d'amener les enfants à participer à la gestion du patrimoine, un espace sûr qui permet aussi … de les tenir à l’œil.

Quelle sera votre stratégie pour la Suisse?

Mes prédécesseurs ont optimisé les coûts. Je me concentrerai sur le développement des affaires. Pour ce qui est du détail, il est encore trop tôt. Nous en reparlerons dans quelques mois. 

 

1 Géral Mathieu était nommé directeur de Barclays Private Bank pour l’Europe et le Moyen-Orient et CEO de Barclays Monaco.
2 Jean-Christophe Gérard est CEO de Barclays Private Bank

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