Changement de tendance pour l’immobilier international

Emmanuel Garessus

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L’immobilier international arrive à la fin de son ajustement, selon Irène Fossé, d’AEW. Les investisseurs peuvent profiter de la correction qui est intervenue.

 

L’immobilier international est la classe d’actifs qui a le plus déçu au sein d’un portefeuille diversifié en 2024. Les stratégistes y décernent une opportunité. Est-ce le bon moment pour y investir et comment? Irène Fossé, directrice recherche & stratégie Europe chez AEW, un gérant de fonds spécialisé dans l’immobilier, avec 80 milliards d’euros d’actifs sous gestion dans le monde, dont la moitié en Europe, répond aux questions d’Allnews.

Quel bilan tirez-vous de l’année 2024?

L’année 2024 s’est révélée une année charnière illustrée par une stabilisation des taux de rendement et de valeurs. Le marché immobilier avait connu divers bouleversements après la hausse des taux d’intérêt intervenue en 2022, avec une réduction du nombre de transactions. L’année dernière s’est traduite par une baisse des coûts d’emprunt qui a conduit à une augmentation des liquidités dans le marché.

Malgré les incertitudes politiques et géopolitiques, 2025 commence de manière plus favorable.

Est-ce que les difficultés des marchés immobiliers en 2024 se sont traduites par une diminution des valeurs immobilières?

Un léger décalage s’est produit. Avec la hausse des taux d’intérêt, les marchés immobiliers, du fait de leur valorisation, ont pris davantage de temps à s’ajuster que les marchés des actions et des obligations.

Il en a résulté des baisses des valeurs immobilières significatives, de l’ordre de 20% au total par rapport au point haut en Europe, toutes typologies immobilières confondues.

En 2024, le niveau des primes de risque a retrouvé son niveau historique, ce qui est très favorable à l’investissement.

Est-ce que les valeurs sont sensibles davantage aux taux d’intérêt ou à l’évolution du PIB?

Le marché immobilier dépend d’abord des taux d’intérêt. Nous pensons que nous arrivons à la fin de cet ajustement et que les investisseurs peuvent profiter des prix qui ont déjà subi l’ajustement nécessaire dans la plupart des marchés.

Si l’on s’intéresse aux différents secteurs du marché et des megatrends, quels sont les secteurs les plus porteurs en 2025?

Nous privilégions la logistique et le résidentiel, qui profitent de tendances structurelles favorables. Je pense au développement du eCommerce pour le premier et la faiblesse de l’offre de logements pour le second, qui conduit à un faible taux de vacance et à une modeste rotation du parc, donc à des loyers orientés à la hausse.

«Nous privilégions la logistique et le résidentiel, qui profitent de tendances structurelles favorables.»

Nous travaillons aussi sur une étude consacrée aux Data Centers, qui profitent des effets de la croissance exponentielle des traitements de données et des développements de l’intelligence artificielle.

L’hôtellerie est un autre secteur attractif. Après sa forte correction durant le covid, le secteur rebondit nettement et reprend sa tendance de croissance de long terme.

Est-ce que les différences géographiques sont fortes en 2024?

Les différences géographiques sont moins grandes que les différences sectorielles. En 2024, les marchés qui avaient été les premiers à réagir au contexte de taux d’intérêt, par exemple le Royaume-Uni et les Pays-Bas, ont été les premiers à rebondir. Sur le plan sectoriel, la logistique et le résidentiel ont été les premiers à se réajuster, avec une baisse des taux de rendement immobiliers.

Quelles sont vos perspectives pour 2025?

Les taux d’intérêt se sont stabilisés. Nous avons trouvé un plancher pour les valeurs et avons retrouvé des primes de risques proches des niveaux historiques, par rapport aux taux obligataires. L’investisseur retrouve donc une prime de risque qui permet d’à nouveau enclencher des investissements immobiliers. La liquidité est progressivement de retour. Les investisseurs  «core» sont encore prudents, mais en termes de transactions nous prévoyons une croissance de leur nombre en Europe. Nous prévoyons 200 milliards d’euros d’investissements immobiliers en 2025, contre 170 milliards en 2024.

Si la tendance est plus favorable dans la logistique et le résidentiel, l’immobilier de bureau reste important. Les secteurs de diversification devraient être bien orientés, comme l’hôtellerie, l’immobilier géré (résidences étudiantes et de seniors), les Data Centers.

Nous avons à la fois des fonds très diversifiés et d’autres plus spécialisés, dans la logistique, le résidentiel et le commerce.

Sur le plan géographique, quels pays privilégier et lesquels faut-il éviter?

Nous privilégions les Pays-Bas, la France et le Royaume Uni, qui devrait continuer de bien se comporter ces prochains mois et qui profite de taux d’intérêt plus élevés sur le marché monétaire.

Dans l’immobilier commercial, notre préférence va aux bureaux extrêmement bien placés («Prime»), en réponse au développement du télétravail et à une tendance à la polarisation du marché entre les meilleures localisations, les plus accessibles, avec des immeubles plus modernes et plus efficientes sous l’angle énergétique, et les localisations secondaires qui souffrent d’une moindre demande.

Dans le résidentiel, notre stratégie nous amène à nous concentrer sur les grandes métropoles européennes, où les marchés sont très tendus et la demande en hausse alors que l’offre est insuffisante. Elle a même baissé ces dernières années, puisqu’avec la hausse des taux d’intérêt des ménages qui auraient pu auparavant accéder à la propriété et au crédit immobilier en ont été empêchés. Les mises en chantier et la production de logements a diminué. Dans notre parc immobilier, nous n’avons jamais observé un aussi faible taux de rotation. Les ménages restent locataires plus longtemps. Après avoir été déjà très tendu, le marché est très déséquilibré.

Vous placez la France dans vos recommandations pour 2025. Comment prenez-vous en compte la tendance aux risques fiscaux dans un pays qui peine à réduire son déficit budgétaire?

L’instabilité politique sera un thème majeur en Europe en 2025, à commencer par les prochaines élections allemandes et l’incertitude sur la pérennité du gouvernement en France. L’attrait principal de la France porte sur la croissance économique, modeste mais positive. Dans une optique à cinq ans, ce marché devrait profiter de la tendance des taux d’intérêt et de la baisse des taux de rendement immobiliers. L’instabilité concerne le court terme, mais nous nous projetons plutôt sur le moyen/long terme.

Par rapport aux défis énergétiques, est-ce que vous n’investissez que dans les objets les plus efficients et les mieux isolés?

Nous avons différentes stratégies en fonction des investisseurs. De manière générale, notre préférence est accordée aux immeubles qui peuvent être aisément «verdis», c’est-à-dire mis aux normes les plus sévères en termes de durabilité. Nous investissons dans des immeubles déjà efficaces, mais nous réalisons aussi des travaux d’amélioration énergétique en particulier dans le résidentiel. La tendance à long terme est celle d’un verdissement du parc immobilier. En Europe, ce dernier est ancien. Il n’est pas possible de se contenter d’investir dans les objets les plus modernes parce que l’offre serait trop limitée.

Quel rendement peut-on espérer dans l’immobilier européen?

Dans nos prévisions à cinq ans, nous espérons un rendement annuel de 9% en moyenne en Europe.

Quelle est votre stratégie en Suisse?

Nous couvrons huit marchés immobiliers en Suisse. Le plus intéressant nous paraît être l’immobilier de bureaux à Zurich. Sa taille n’est pas dérisoire. Sa surface représente 7 millions de m², soit l’équivalent des marchés de bureaux d’Amsterdam ou de Barcelone.  Il a aussi l’avantage d’une grande diversification sectorielle, qui va de la finance à la Tech, puisqu’Open AI y a ouvert un bureau.

Son taux de vacance est l’un des plus faibles en Europe, même s’il a légèrement augmenté ces dernières années. Il se limite, pour nous, à 3,5%. Ses perspectives de rendement sont légèrement supérieures à la moyenne européenne à 10% par an à cinq ans.

Les taux d’intérêt augmentent en Europe et diminuent en Suisse. Qu’en déduisez-vous?

La baisse des rendements obligataires suisses a été spectaculaire ces derniers mois. C’est l’une des raisons qui nous amènent à privilégier le marché zurichois. Nous prévoyons une baisse du taux de rendement du marché des bureaux zurichois de 75 points de base ces prochaines années. En Europe, les rendements obligataires se sont accrus récemment mais ils devraient diminuer ces prochaines années.

Quel sera l’effet de l’accord bilatéral avec l’UE, notamment sous l’angle migratoire, sur la demande de logements?

C’est un thème majeur pour ces prochaines années. L’exemple de l’Espagne démontre à quel point la migration accroît la demande de logements.

Quel est l’attrait du marché immobilier européen par rapport aux autres?

Je suis spécialisée sur le marché européen, mais il ressort de notre analyse que le marché européen est bien positionné comme le montre le marché des foncières cotée. Les Etats-Unis entrent dans un nouveau cycle avec des incertitudes liées au changement de président. 

Le marché européen a l’avantage de plus grandes contraintes d’offre par rapport aux Etats-Unis. En Europe, les protections en matière d’urbanisme abondent dans nos villes historiques. Les protections bancaires, qui limitent l’endettement, conduisent aussi à une réduction de l’offre. Le taux de vacance est inférieur de moitié à celui des Etats-Unis dans l’immobilier de bureau (20% aux Etats-Unis et 9% en Europe). L’Europe se trouve aussi dans une tendance à la baisse des taux obligataires.

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