L’industrie suisse domine les classements d’innovation. Mais en bourse les small & mid caps suisses souffrent. Le fonds Saraselect, spécialisé dans ce segment, avec 1,2 milliard de francs d’actifs sous gestion, a baissé de 13,8% l’an dernier alors que l’indice de référence a progressé de 1%. Est-ce que le gérant doit-il modifier son portefeuille? Les petites et moyennes capitalisations sont-elles attractives à l’orée de 2025? Marc Possa, gérant du fonds Saraselect, répond aux questions d’Allnews:
Après une année difficile pour votre fonds de small & mid caps suisses, est-ce que vous êtes amené à modifier vos choix et que devez-vous conserver?
Notre mode de réflexion, notre façon d’agir et d’investir doivent être maintenus en grande majorité. Nous pouvons toutefois adapter nos préférences et nos expositions sectorielles. Nous avons par exemple accru le côté défensif du portefeuille durant l’année. Ces modifications se heurtent parfois à des problèmes de faisabilité. Plusieurs positions sont peu liquides. Notre fonds de 1,2 milliard de francs a souffert en 2024 de notre exposition dans Lem (-63%), avec 43’000 actions en portefeuille. Je dois être convaincu par le management et la stratégie de Lem pour continuer de l’accompagner dans le temps. Compte tenu du faible volume traité en bourse, c’est difficile de réduire la position même si je prévois un trimestre ou une année plus compliquée.
«Nous avons par exemple accru le côté défensif du portefeuille durant l’année.»
L’idée de notre fonds consiste à faire une bonne sélection de titres au départ et à comprendre les raisons des vents contraires que peut affronter une société - ce qui nous amène à être proches du management et à l’accompagner-.
Est-il moins coûteux de conserver Lem 12 mois que de faire un aller-retour en fonction de facteurs temporaires?
Lem a rencontré un problème de management en Asie, la Chine étant un marché clé (environ la moitié des coûts et du chiffre d’affaires). La société a également été pénalisée par l’émergence récente de concurrents Chinois. Sa réaction a été tardive mais le discours avec ses clients montre que Lem est en bonne voie.
En réalité, nous n’avons pas le choix. Nous sommes convaincus par la stratégie à long terme et apprécions l’alignement d’intérêts avec cette société au bénéfice d’un actionnaire de référence et gérée par une famille d’entrepreneurs responsable. L’inconvénient d’un faible free float et d’une modeste liquidité est incontestable. C’est pour cette raison que nous sélectionnons les bons navires sachant qu’il ne sera pas aisé de les quitter à notre convenance.
Ce cas est valable pour d’autres sociétés, comme Bachem, Dottikon, Forbo et d’autres, qui peuvent temporairement souffrir de la situation en Europe, laquelle pénalise le résultat opérationnel et la perception des investisseurs temporairement.
Votre commentaire de décembre porte sur l’intérêt à utiliser le PER de Shiller, qui prend en compte les bénéfices ajustés sur le cycle dans l’analyse d’une action. N’est-ce pas audacieux de tenter de distinguer entre les facteurs conjoncturels et structurels? Les problèmes temporaires n’ont-ils pas tendance à se prolonger?
Nous pouvons ajouter de la valeur en parvenant à faire la distinction et à comprendre l’impact de mega tendances, comme l’urbanisation, la digitalisation, la communication, l’électrification ou l’automation. L’analyse de l’automobile européenne est un bon exemple.
Le ralentissement résulte en partie de la fin de subventions aux voitures électriques au moment où la Chine multiplie les soutiens à l’électrification de ses constructeurs automobiles si bien que le taux d’adoption y dépasse 50%. L’écart de tendance s’explique beaucoup par une volonté politique très différente.
«Les groupes suisses ont de l’avenir parce qu’ils répondront le mieux aux besoins et non pas parce qu’elles sont d’un pays précis.»
Pour distinguer les éléments conjoncturels et structurels, il importe de se référer à l’évolution des parts de marché et au degré d’innovation. Nos discussions avec le management portent sur ces aspects. Celui de Lem vient de se rendre en Chine pour visiter ses clients et en retourne avec une opinion positive. En réduisant un peu ses prix, Lem a repris des parts de marché. Mais la société devra maîtriser ses coûts et réduire son «footprint» sur un marché de l’automobile qui n’est décidément pas en croissance. Lem dispose de cinq segments, dont l’automobile, mais le groupe est bien diversifié dans le secteur ferroviaire, l’automation, les énergies renouvelables, les chargeurs électriques.
Les changements se poursuivront et il faudra y répondre, mais l’homme est un être de crise. Il a besoin d’une crise pour se développer.
En tant qu’investisseur, ne faut-il pas être exposé à l’intelligence artificielle plutôt qu’à l’automobile européenne?
D’accord, mais je reste convaincu par l’industrie suisse et en particulier par la mécatronique, soit la combinaison en temps réel de l’électronique, la mécanique, l’automatique, l’électrification et des données digitales. Les industriels suisses sont excellents dans la traduction physique des données digitales. La Suisse est championne mondiale de ce domaine. Depuis 2011, la Suisse reste le pays le plus innovant.
Adaptez-vous votre portefeuille à l’arrivée de Donald Trump et à la recrudescence du protectionnisme?
Presque pas. Il est très difficile d’anticiper ce qui sera vraiment décidé. Beaucoup de sociétés qui ont fait l’expérience du mode de décision de Trump en 2016 ont essayé de s’y préparer. En fait, l’arrivée de Donald Trump exprime l’émergence d’un monde bipolaire ou multipolaire, et non plus unipolaire. Les sociétés se sont diversifiées et ont réduit les risques de «mismatch» politique. Elles s’ajustent depuis quelques années aux développements tant de la Chine que des Etats-Unis. Toutes ont élaboré un plan d’urgence pour mieux réagir aux décisions possibles.
Faut-il investir dans les sociétés suisses les plus présentes aux Etats-Unis?
Non, parce que les sociétés suisses passent en dessous des radars et sont peu visibles du consommateur. Elles sont moins touchées par le risque de tarifs. Elles fournissent une partie des composants d’un produit, à l’image d’Intel Inside d’un ordinateur, mais sans être visible. Elles sont moins vulnérables à des droits de douane qui chercheraient à protéger une industrie américaine qui n’a pas accès à ces composants. Les groupes suisses ont de l’avenir parce qu’ils répondront le mieux aux besoins et non pas parce qu’elles sont d’un pays précis.
Est-ce que les groupes suisses seraient pénalisés si la Suisse ne signent pas le nouvel accord bilatéral entre l’UE et la Suisse?
Le risque existe, mais les entreprises nous répondent qu’elles peuvent ajouter de la valeur indépendamment des possibles obstacles administratifs supplémentaires. Le degré de bureaucratie et une des raisons de la faiblesse de l’Europe.
La pharma est ciblée par le nouveau ministre américain de la santé. Qu’en déduisez-vous pour les sociétés suisses de ce secteur?
Je m’intéresse surtout à la mégatendance du secteur de la santé consistant à privilégier l’administration de médicaments par voie injectable plutôt qu’orale. La tendance s’accélère. Selon les études de la société Skan, en 2005 aucun des dix plus grands produits pharmas n’était injectable. En 2023, le taux est passé à 70%. L’injection a l’avantage d’éviter de potentiels risques avec le système digestif. Elle permet aussi une administration très précise en fonction des caractéristiques du patient. Les effets secondaires sont également minimisés, ainsi que les prix.
«Les industriels suisses sont excellents dans la traduction physique des données digitales.»
Skan est un leader mondial et ne peut être remplacé par une société américaine. Robert Kennedy, le nouveau ministre de la santé américain, essaiera de promouvoir une Amérique plus saine, mais sa politique devra prendre en compte le rapport en termes de coûts/revenus.
Quelles sont les sociétés suisses les mieux placées dans ce secteur?
Ypsomed est très bien placée avec une position de leader mondial en termes d’innovation et de coûts dans les systèmes d’injection. Elle va investir aussi aux Etats-Unis et elle a déjà inauguré une usine en Chine après seulement 11 mois de travaux. Skan, dans la stérilisation du remplissage des ampoules, est aussi un leader mondial. Bachem et Polypeptide, qui produisent des peptides qui répondent aux défis d’une médecine ciblée et personnalisée, Lonza et Dottikon font aussi partie des bénéficiaires.
La situation est plus compliquée dans la biotech, un secteur qui est l’objet d’un moins grand nombre de transactions. Les espoirs de prix des vendeurs sont rarement satisfaits.
Votre portefeuille comprend une grande capitalisation, Sika, qui pénalise votre performance. Que pensez-vous?
Le timing est compliqué en bourse. Nous restons convaincus par la culture d’entreprise, celle qui consiste à répondre quotidiennement aux besoins des clients. Cette philosophie restera efficace. Elle a été immédiatement intégrée dans les sociétés qui ont été acquises, de MBCC à Parex.
Les industriels suisses sont souvent des sous-traitants de l’automobile européenne. En tant qu’investisseur, comment séparer le bon grain de l’ivraie?
Nous évitons des sociétés qui affrontent des vents contraires majeurs, comme Feintool. J’ai hérité en 2011 d’une position de 9% dans Adval Tech, que je garde, parce que la valorisation est très basse. La société avait l’exclusivité des capsules pour un des deux grand détaillent suisse. Le contrat arrive à terme, mais son offre pourrait attirer de nouveaux clients. Nous ne voulons pas vendre au mauvais moment.
Ems, Daetwyler, Sika sont aussi exposés à l’automobile, mais ce sont des groupes plus ou moins diversifiés. Nous n’aimons pas qu’une société soit concentrée sur un seul créneau.
Quelles sont vos convictions de marché pour 2025?
Un rebond devrait se produire après une année 2024 difficile. Nous restons convaincus par des titres comme Lem, Daetwyler, Forbo, SIG Combibloc, à travers leurs produits et leur stratégie.