Ce qu’en disent les marchés

Salima Barragan

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Pour Anatole Kaletsky, CEO de Gavekal, le marché obligataire ne croit pas en une inflation démesurée.

Les vaticinateurs sont de retour. Le monde va-t-il retourner à un cycle d’inflation incontrôlée digne des années 1970, comme certains commentateurs de CNBC se plaisent à l’annoncer? Ou un scénario alternatif – moins brutal – pourrait-il être envisagé? Eléments de réponses avec Anatole Kaletsky, CEO de Gavekal, lors d’une conférence organisée par la société de gestion Notz Stucki.

Pourquoi pensez-vous qu’il est particulièrement difficile de prévoir l’équilibre macroéconomique à venir?

Trois forces poussent le marché dans des directions divergentes, mais pour prédire l’équilibre futur, nous ne pouvons plus nous fier aux modèles du passé qui se basent sur des régressions et des corrélations obsolètes. Les données actuelles démontrent une rupture avec le passé et nous observons également des politiques monétaires inédites.

Malgré ces difficultés, quelle est votre compréhension de l’évolution du monde sur le long-terme?

J’ai découpé cette évolution en trois horizons de temps distincts, où le court-terme se différencie du long-terme en raison de l’impact des stimulus. Le plus important est de savoir ce qui arrivera entre 2023 et 2030, lorsque le monde se remettra des politiques monétaires non-orthodoxes. Depuis le mois de février, les marchés commencent à anticiper les conséquences à long-terme de ce nouveau régime. Et je pense qu’il est intéressant de prendre en compte les vues non-consensuelles.

Les politiques monétaires ont été supplantées par les politiques fiscales qui elles-mêmes sont devenues expansionnistes.
Que dit le consensus, et qu’y répondez-vous?

Le consensus s’attend à une décennie d’inflation importante. Ce qui sera vrai dans la mesure où depuis dix ans les banques centrales consentent un niveau d'inflation plus élevé après avoir favorisé un environnement déflationniste. Ajoutons que les politiques monétaires ont été supplantées par les politiques fiscales qui elles-mêmes sont devenues expansionnistes. Enfin, il y a également des raisons structurelles comme la technologie et la démographie qui plaident pour une inflation décennale que nombre d’observateurs débattent dans les médias. On entend aussi dire que la croissance sera plus basse que dans les années 1970, ce qui pourrait déboucher sur une stagflation d’ici cinq ans. Le scénario que nul n'évoque, alors qu'il est cohérent avec le comportement et les prix des marchés actions et obligations, est celui du Golden Age: une période prospère pour l’économie et les marchés financiers accompagnée d’une inflation élevée. Le point crucial n’est pas de savoir dans quelle direction ira l’inflation, mais quel sera son ordre de grandeur. Si elle grimpe rapidement à 5% en concordance avec le scénario des années 1970, elle aura un impact négatif sur les actifs financiers. En revanche, si elle augmente graduellement de 1,5% à 3% sur un an, dans un environnement d’activité soutenue, puis évolue à l'intérieur de certaines limites, les marchés la supporteront confortablement.

Revenons sur les marchés actions et obligations: que disent-ils?

Le marché obligataire suggère que la disruption due à un environnement inflationniste a une probabilité très faible. Regardez comment les attentes du marché des obligations souveraines américaines à 10 ans ont toujours exclu un scénario d’inflation galopante, même lorsque les rendements avaient atteint le pic de 1,8%. Quant aux prix des actions, ils anticipent une poursuite de la productivité pour les cinq prochaines années au moins.   

Le dollar me paraît surévalué de 10%, notamment vis-à-vis des devises asiatiques.
Par le passé, les marchés n’ont pas toujours eu raison…

Les marchés n’ont pas toujours eu raison, notamment lors de la bulle Tech…mais peut-être que cette fois-ci, les marchés pourraient voir juste…et les discussions sur CNBC pourraient être sans objet.

Le rebond économique est-il déjà intégré dans les prix du marché?

Les rebonds américain et chinois le sont. Les surprises à la hausse ne dépendent plus que de l’Europe. Mais en réalité, l’Europe décevra les investisseurs à la baisse, car la période estivale continuera à être affectée par la lenteur de la campagne de vaccination ainsi que par le manque à gagner du secteur touristique. Quant au Japon, la déception est déjà perceptible.

Quelles sont les implications de cet environnement inflationniste pour les investisseurs?

Les détenteurs d’obligations perdront leur pouvoir d’achat car la bulle des prix va se résorber. Pour l’instant, les actions sont raisonnablement valorisées aux Etats-Unis mais sont bon marché dans les autres régions du monde. Sur le long-terme, la rotation des actions de croissance aux actions value continuera, parce que ces dernières seront les plus attrayantes. Mais de 3 à 6 mois, la probabilité d’un retournement – qui semble déjà s’amorcer – est très élevée. Enfin, le dollar me paraît surévalué de 10%, notamment vis-à-vis des devises asiatiques.

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