Un nouveau Golden Age ou une inflation galopante

Salima Barragan

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Quel que soit le scénario à long terme envisagé par Anatole Kaletsky de GaveKal, les temps seront défavorables aux détenteurs d’obligations.

Le co-fondateur de Gavekal décrit les années 1950 à 1960 – surnommées le Golden Age – comme l’ère réussie du capitalisme, où s’alignent un bon rythme de croissance, un faible taux de chômage, une diminution de la dette publique et une inflation rampante. Lors de la conférence d’investissement annuelle organisée par Notz Stucki, il présentait deux scénarios à long terme alternatifs résultant du changement de régime induit par la COVID-19: un nouveau Golden Age…ou alors une inflation galopante couplée à une faible croissance comme de 1968 à 1980. Entretien.

Alors que le monde s’engouffrait visiblement dans une récession, pourquoi les marchés financiers ont-ils rebondi en V?

Habituellement, les marchés ont toujours une longueur d’avance de neuf à douze mois. Or l’intervalle du pic jusqu’à la reprise des actifs n’a duré que quelques jours. Ce rebond instantané a de quoi laisser perplexe. Une concordance de plusieurs éléments l’explique: les stimulus fiscaux en jeu dépassèrent toute imagination. Le nouveau régime en Europe a aussi surpris le monde. L’Asie et la Chine se sont découplés de l’Europe et des Etats-Unis. Enfin, les investisseurs ont commencé à croire en l’économie keynésienne. 

«Les politiques keynésiennes pourraient fonctionner
pour un an ou deux et porter les actifs risqués.»
Pensez-vous que les politiques keynésiennes vont porter leurs fruits?

Oui, les politiques keynésiennes pourraient fonctionner pour un an ou deux et porter les actifs risqués, malgré leurs récents gains. Ces années à venir seront dominées par les stimulus fiscaux dont les effets sur l’économie privée ne prendront que six à neuf mois, un délai plus rapide que dans le passé. Donc 2021 sera une année de grande croissance, pas seulement du PIB mondial qui pourrait finir l’année à quatre ou cinq pour cent en plus, mais aussi des revenus des sociétés, ce que les marchés ont d’ailleurs déjà commencé à anticiper il y a six mois.

Pour cette année qui commence, vos perspectives sur les actions sont donc très optimistes?

Oui. Le marché haussier en cours va perdurer même si beaucoup d’éléments positifs sont déjà dans les prix. Bien que les revenus des sociétés aient stagné - voire diminué – les valorisations ont déjà fortement augmenté, mais cette période de performance à dix ou douze pour cent est révolue. Je m’attends en outre à un bénéfice par action plus marqué sur le marché européen qui est très exposé aux secteurs cycliques.

Vous avez mentionné dans votre présentation que les politiques de taux à zéro pourraient conduire à une bulle des multiples de valorisation similaire à celle des années 1990. Pouvez-vous revenir sur ce point?

La presse parle beaucoup de la bulle tech. Mais après un premier semestre de croissance soutenue, les Amazon-Facebook-Google-Apple-Microsoft ont stagné durant la seconde partie de l’année. Les spéculations sur ces sociétés étaient des projections basées sur leurs performances passées, mais elles ne continueront plus à croitre à ce rythme dans le futur…contrairement à la Cleantech, où les spéculations portent réellement sur des projections futures. Son momentum sera durable même si pour l’instant la situation ressemble à une bulle.

«L’inflation n’est en fait que le coût à long terme
des mesures fiscales et monétaires exceptionnelles.»
Pour la décennie à venir, vous envisagez deux scénarios divergents: le Golden Age ou l’inflation galopante.

Oui, ce sont les deux conséquences à long terme possibles du changement de régime induit par la COVID-19. L’inflation, plus particulièrement, n’est en fait que le coût à long terme des mesures fiscales et monétaires exceptionnelles. 

Dans quelle mesure devrions-nous nous inquiéter du retour d’une inflation plus élevée à long terme?

On devrait s’en inquiéter uniquement si elle s’accélère au-delà de deux pour cent en Europe et trois pour cent aux Etats-Unis. Mais inutile de s’en inquiéter sur les deux ou trois prochaines années. Sa tendance ralentira à cause de l’effondrement des activités et du taux de chômage liés à la crise, ainsi qu’à un pouvoir d’achat stagnant dans certains pans de l’économie comme l’aviation malgré la demande qui reviendra en force lors de la deuxième partie de l’année.

Quelles seront les conséquences à long terme pour les marchés?

Si elle reste faible, de l’ordre de 0,5% par année, elle n’aura pas d’impact négatif dans un scénario similaire à l’ère de croissance des années cinquante à soixante où le pouvoir d’achat additionnel injecté dans l’économie amènera davantage de croissance que d’effet sur les prix. Cet environnement est positif pour les actifs tangibles, mais défavorable aux obligations. En revanche, une inflation marquée fera des dommages dans le marché des actions ainsi que dans l’immobilier, car les banques centrales maintiendront des politiques monétaires très complaisantes durant les cinq prochaines années et les taux d’intérêt monteront moins rapidement que l’inflation. Un scenario alternatif décidément très mauvais pour les détenteurs d’obligations.

Pourquoi les marchés obligataires ignorent-ils l’inflation?

Effectivement, les marchés obligataires ignorent totalement l’inflation qui est pourtant déjà intégrée dans les prix des actions. Vraisemblablement, parce que les attentes d’investissement sont extrapolées des quarante dernières années où nous avons vu les taux d’intérêts descendre. Le marché obligataire s’imagine que le monde est en train d’aller sur un nouveau régime de stagflation. Mais aussi parce que les banques centrales se sont clairement engagées à maintenir les taux à zéro. La courbe des taux à court terme est donc bien ancrée à zéro alors que les banques centrales achètent - mais obligent aussi les institutions financières à faire de même - des échéances sur la partie longue, ce qui aboutit à une situation où la courbe des taux ne peut pas représenter parfaitement les attentes d’inflation. 

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