La plus grande bulle de tous les temps

Nicolette de Joncaire

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«Nous parlons de 17'000 milliards de dollars de dette à taux négatif, soit un tiers de la dette mondiale» explique Louis-Vincent Gave, CEO de Gavekal.

La plus grande surprise de 2019? Une hausse simultanée de toutes les classes d’actifs. Au cours de la conférence donnée par la société de gestion Notz Stucki récemment, Louis-Vincent Gave revenait sur ce qu’il a perçu comme les éléments les plus marquants de l’année écoulée: la crise entre Hong Kong et la Chine, le retour presque généralisé de l’assouplissement quantitatif - Chine exceptée -, les quelques 17'000 milliards de dollars de dette à taux négatif et la divergence entre hausse du cours du pétrole (+34%) et faible valorisation des entreprises du secteur de l’énergie. Entretien avec le CEO de Gavekal.

Hong Kong/Chine, quel poids faut-il attribuer à cette crise?

Un poids considérable même si vous pouvez estimer que je suis juge et partie car j’habite Hong Kong. Xi Jinping se veut le président de la transformation. Le premier à avoir une véritable politique étrangère, avec une vision «impériale» de la Chine, reflétée par le projet One Belt, One Road, le Silk Fund ou le rôle moteur de Huawei dans la 5G. Il le sait: la Chine ne peut prétendre à une destinée de leader mondial sans un secteur financier de premier ordre. Or, c’est à partir de Hong Kong qu’était prévu le déploiement de l’empire sous l’angle financier. Un déploiement compromis depuis février dernier car le mouvement anti-Pékin n’est plus, comme on l’imaginait auparavant, le fait de quelques étudiants marginaux mais, bel et bien, celui de plus de 60% de la cité. Corollaire? Shanghai et Shenzhen risquent de devoir prendre la relève ce qui suppose une levée du contrôle des capitaux. Le changement d’attitude entre juin et décembre est perceptible dans le discours du gouverneur de la Banque populaire de Chine, Yi Gang. Il lui faut aujourd’hui attirer des capitaux vers le renminbi.

La Chine n’effectuera pas de QE, elle maintiendra des taux positifs.
Pour cette raison – et pour d’autres -, le renminbi va se renforcer.
Quelles implications et que devrait faire l’investisseur?

Ce qu’il faut en retenir en tant qu’investisseur? La Chine n’effectuera pas de QE, elle maintiendra des taux positifs. Pour cette raison – et pour d’autres -, le renminbi va se renforcer. Sa récente remontée n’est pas un soubresaut. Le spread entre le dollar et le renminbi à 10 ans va s’élargir. Dans ce contexte, il peut être intéressant d’acquérir des obligations d’Etat chinoises (elles rapportent entre 3,2 et 3,5%), de l’or, des actifs en dollars australien et canadien et des valeurs de Macao et de Hong Kong. Sans oublier l’immobilier britannique.

Pourquoi Macao?

Quand la Chine assouplit ses contrôles, c’est la première destination des capitaux chinois.

Comment expliquez-vous la récente interruption du London-Shanghai Stock Connect?

Insuffisance des flux? Tensions politiques? Difficile encore d’évaluer pourquoi cette rupture moins d’un an après la mise en œuvre.

A quoi attribuez-vous le retour de la Fed à l’assouplissement quantitatif?

A la rupture du marché repo. Car derrière cette dislocation se cache la fuite en avant du déficit budgétaire américain qui s’est creusé sans interruption depuis cinq ans malgré l’absence d’une récession économique! C’est une première, au rythme de 5,6 milliards de dollars à emprunter par jour. C’est aussi la première fois que le budget de la Fed s’accroit de pair avec les dépenses du gouvernement. La Fed s’arrêtera-t-elle en mars? Peut-être pas si elle décide de ne pas troubler les élections. En attendant le dollar s’affaiblit.

La Banque de Suède vient de remonter ses taux,
un exemple à prendre en considération. 
Un effet commun à d’autres régions?

L’Europe, le Japon et dorénavant, quelques grands pays émergents - Inde, Brésil, Russie ou Indonésie – assouplissent leurs politiques monétaires. Nous assistons à un QE massif et mondialisé. Sauf en Chine.

Avec pour conséquence une gigantesque masse de dette à taux négatif.

17'000 milliards de dollars, soit un tiers de la dette mondiale: la plus grande bulle de tous les temps. Qui comme toutes les bulles précédentes repose sur les deux credo communs à toutes les bulles. Le premier:  cette fois-ci ce sera différent. Le second: il y aura toujours un pigeon pour racheter mon papier (les pigeons étant cette fois-ci les banques centrales). Donc continuons à émettre du papier. Plus on en émet, plus le prix monte. A croire que la loi de l’offre et de la demande est abolie! Mais tout le monde n’est pas dupe. La Banque de Suède vient de remonter ses taux, un exemple à prendre en considération.  

Pourquoi relever les taux s’il n’y pas d’inflation comme l’affirment les autorités?

Pas d’inflation? Vraiment? Demandez donc aux manifestants qui se soulèvent un peu partout.

Parlons de pétrole.

Ah oui, cet actif qui a surperformé le S&P500 avec une hausse de près de 35% sur 2019. On ne le devinerait pas en observant la performance des titres des entreprises du secteur de l’énergie malgré d’excellents bénéfices par action. 225 puits ont fermé dans les 12 derniers mois, malgré la hausse du cours. Car plus personne ne veut investir dans les énergies fossiles, ni leur prêter de l’argent. Le problème est que notre modèle de consommation ne s’est pas modifié. Pour faire baisser le prix du pétrole, il faudrait une crise économique. Faute de quoi, pour soutenir une industrie qui apparemment sert encore à quelque chose, elle devra se tourner vers les rachats par les dirigeants (MBO) et la reprise des actions à titre privé.

Conférence Notz Stucki
La rencontre, peu convenue comme l’est invariablement la conférence biannuelle de Notz Stucki, offrait la semaine dernière à Genève de multiples pistes de réflexion.  Louis-Vincent Gave, CEO de GaveKal, proposait une vision originale des marchés globaux. Stefan Blum du Groupe Bellevue exposait les dernières innovations en matière de digitalisation de la santé et Munib Islab de Third Point Investment revenait sur les bienfaits du dialogue privé et de l’engagement public dans le cadre de l’activisme de l’investisseur.