Ce n’est pas un bear market

Salima Barragan

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La correction boursière est due à un accident de marché, affirme Pierre Mouton de NS Partners.

Covid, inflation, guerre en Europe: les réponses hors-normes des banques centrales et des gouvernements à la succession d’évènements inédits ont porté l'exubérance sur une pléthore d’actifs financiers, fonciers et numériques. Les bulles sont-elles en train d’éclater les unes après les autres? «Nous corrigeons les excès spéculatifs des 18 à 24 derniers mois afin de revenir sur des bases saines. Le marché haussier des actions entamé en 2013 reste intact»,  précise Pierre Mouton de NS Partners. Entretien.

Pourquoi la chute des bourses ne conduira-t-elle pas à un bear market?

Un bull market dure en général une quinzaine d’années. Pensons à celui de l’acier entre 1915 et 1929, à celui de la consommation de masse et de la découverte du marketing des années 1950-1960, et enfin au grand boom TMT de 1982 à 2000. Nous sommes entrés dans le dernier marché haussier en 2013. Quel est leur point en commun? Des changements économiques et/ou sociétaux qui s’accompagnent de cycles d’investissements massifs et durables. Aujourd’hui, la digitalisation et la transition énergétique figurent comme deux poches de financements colossaux. Nous voyons ainsi une correction due à un accident de marché plutôt qu’un bear market.

La tendance ascendante, en particulier sur les géants technologiques, resterait-elle donc intacte?

En termes de valorisations et de niveau de marché, nous sommes revenus sur l’avant-covid. La tendance haussière n’est pas cassée: la bulle a juste dégonflé. Cependant, l’élévation du niveau de taux d’intérêt est un élément nouveau. Alors que les anciens leaders du marché traitaient à des valorisations assez élevées selon les standards historiques, mais soutenues par des taux extrêmement bas, des multiples à 25x les profits deviennent difficilement justifiables lorsque les taux atteignent 4%. Nous assistons donc à un changement de domination avec le retour des secteurs plus cycliques et value, ce qui ne retire rien à la qualité des sociétés technologiques qui continueront à générer de free cashflows indécents malgré un ralentissement économique. Ces dernières souffrent en bourse en raison de leur valorisation stratosphérique de départ et non à cause de la marche de leurs affaires. Elles sont d’ailleurs très peu endettées, ce qui contraste avec la bulle de l’an 2000 où les entreprises opéraient avec de gros leviers financiers.

L’Europe a la malchance de dépendre des approvisionnements énergétiques russes. Une récession parait presque inévitable compte tenu de la flambée des hydrocarbures.
Quid des excès des banques centrales qui ont provoqué des taux courts et longs anormalement bas?

Elles ont accéléré des phénomènes déjà en place: la baisse des taux qui magnifie les valorisations et autorise des multiples à 30x les résultats et au-delà. Les modèles de valorisation qui se basent sur l’actualisation des flux ne fonctionnent pas avec des taux négatifs, car ces derniers signifient que le futur est plus certain que le présent. Ces taux anormalement bas ont créé des excès mathématiques.

En outre, la possibilité de se financer à des niveaux anormalement bas, qui a aussi conduit à des leviers sur les portefeuilles, a créé des spéculations sur les titres. Le fabricant de voitures électriques Rivian dont la valorisation a atteint 155 milliards de dollars pour 60 millions de chiffres d’affaires, est évocateur de ces excès.

Nous revenons d’années de folie avec des niveaux de spéculation conséquents sur les marchés risqués, sur l’immobilier, sur les NFT, mais aussi sur les voitures de collection ou les montres de luxe. Or, ces niveaux amènent toujours des corrections brutales. Elles ont commencé en 2021 lorsque Jerôme Powel a cherché à combattre l’inflation. La remontée des taux, douloureuse, mais nécessaire, remet en place la notion de valorisation et de faits mesurables qui avaient été mis de côté lors des phases spéculatives.

Quel est votre regard sur l’évolution économique du Vieux-Continent?

L’Europe a la malchance de dépendre des approvisionnements énergétiques russes. Une récession parait presque inévitable compte tenu de la flambée des hydrocarbures. Certaines entreprises ont décidé de fermer jusqu’à janvier prochain, quitte à mettre l’intégralité de leurs employés au chômage technique en raison de la non-rentabilité de leurs affaires.

Mais il semblerait que l’Europe s’entend afin d’essayer de trouver des solutions en commun, telles que des achats en commun d’énergie, ce qui renforcerait sa position vis-à-vis de ses fournisseurs. Enfin, les  des valeurs de la zone ont déjà intégré une récession, ce qui offre des opportunités dans certains titres cycliques.

L’une des seules façons d’engranger des revenus positifs cette année était de s’exposer aux sociétés pétrolières. Les investisseurs boudent-ils les placements verts?

En raison des pressions réglementaires et des politiques ESG des banques, les financements dans la recherche et la production de pétrole se sont réduits comme peau de chagrin, d’où une baisse drastique des capacités. De même, compte tenu de la transition énergétique, un grand nombre d’entreprises actives dans l’exploration pure ont décidé de fortement réduire leurs investissements en préférant à la place rétribuer leurs actionnaires au travers des dividendes et des rachats d’actions. Mais ce n’est pas pour autant la fin des investissements plus responsables. Les actionnaires peuvent continuer à investir dans les hydrocarbures via les sociétés les plus exemplaires telles que la texane Pioneer Natural Resources qui milite pour réduire le flaring, qui consiste à faire brûler continuellement des torchères de gaz sur les exploitations, dans toute l’industrie à moins de 1% de la production. Le monde ne pourra raisonnablement pas se passer de pétrochimie et exclure les bons élèves du secteur serait une erreur. Les sociétés évoluant dans des branches réputées polluantes ont leur carte à jouer dans cette transition énergétique.

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