Beaucoup de grandes entreprises disposent d’immenses piles de cash

Yves Hulmann

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Pour Alexander Grünwald de Houlihan Lokey, l’entrée en bourse n’est pas la seule option à considérer pour les sociétés qui veulent croître ou lever des capitaux.

Le ralentissement de la conjoncture mondiale va-t-il freiner les opérations de fusions et acquisitions – ou au contraire contribuer à accélérer les rapprochements entre entreprises à la recherche d’une plus grande efficacité? Le point avec Alexander Grünwald, managing director chez Houlihan Lokey, une banque d’affaires spécialisée dans les fusions et acquisitions.

Quelles sont les principales activités de Houlihan Lokey en Suisse et dans quelles branches êtes-vous le plus présent?

Nous sommes tout d’abord actifs dans le conseil en matière de fusions et acquisitions (M&A Advisory), que ce soit pour des fonds de private equity ou des entreprises elles-mêmes. Nous conseillons essentiellement des sociétés pour qu’elles parviennent à vendre leur entreprise ou leur plateforme dans les meilleures conditions. Les sociétés que nous avons accompagnées sont issues de différentes branches, incluant aussi bien les technologies, le commerce électronique, les produits de consommation courante ou la santé. Ensuite, Houlihan Lokey conseille aussi des entreprises dans le domaine des marchés des capitaux. Nous les aidons à lever de la dette ou des actions afin qu’elles puissent procéder à une acquisition par exemple. Nous travaillons ici aussi bien pour le compte d’entreprises que de sociétés de private equity.

«La fenêtre des IPO est effectivement complètement fermée, tout comme c’est le cas aussi pour les SPAC.»
Avez-vous des secteurs de spécialisation spécifiques?

En Suisse, nous avons accompagné beaucoup de transactions en lien avec les technologies ou le commerce électronique au cours des dernières années – et cela dans des domaines passablement différents. On peut citer la société bâloise Medgate qui a été rachetée par l’entreprise allemande Otto Group. Des assureurs ont aussi repris plusieurs start-up ces dernières années. C’est le cas de bexio qui a été racheté par La Mobilière, de Movu repris par Bâloise encore de Moneypark qui a été acquis par Helvetia. Des groupes de médias ont également été très actifs en matière de fusions et acquisitions, à l’exemple de Scout24 qui a été repris par Ringier Digital, ou de Jobs.ch qui appartient à Ringier et TX Group. On peut aussi mentionner les produits de consommation avec Digitec qui a été repris par Migros. Dans l’horlogerie, Breitling est désormais contrôlé par Partners Group. Qu’il s’agisse de compagnies d’assurance, de groupes actifs dans le commerce de détail ou les médias, on voit que beaucoup d’entreprises établies ont besoin de racheter des petites structures particulièrement innovantes dans un domaine spécifique afin de compléter leur portefeuille d’activité.

De quelles ressources disposez-vous en Suisse?

Houlihan Lokey s’appuie sur une équipe d’environ 30 personnes basées à Zurich. Celle-ci met l’accent sur les transactions de taille moyenne, ou «mid-market» comme on l’appelle en anglais. Nous avons l’avantage de pouvoir compter sur le réseau global de Houlikan Lokey qui dispose d’environ 50 bureaux à travers le monde, ce qui nous permet de proposer certains services, notamment en matière d’IPO Advisory, soit le conseil pour une entrée en bourse. Auparavant, c’est une prestation que GCA ne pouvait pas proposer lorsque cette structure était active seule (ndlr: l’intégration de GCA Corporation dans Houlihan Lokey a été réalisée en décembre 2021).

Quelles sont les prestations que vous proposez en matière d’IPO Advisory?

Nous représentons les intérêts des émetteurs et sommes indépendants des intérêts des investisseurs qui achètent des actions lors d'une entrée en bourse. Concrètement, nous évaluons quel est le meilleur prix qui peut être obtenu et évaluons certaines questions stratégiques en lien avec l’entrée en bourse. En revanche, ce n’est pas notre tâche de placer des actions auprès d’investisseurs, par exemple.

«Parmi les entreprises détenues en mains privées, il y a certes eu aussi une correction au niveau des valorisations mais cette baisse n’a pas été aussi brutale qu’à la bourse.»
La «fenêtre des IPO» comme on l’appelle parfois est à nouveau quasiment fermée actuellement. Si une entreprise avait déjà entamé son dossier de préparation d’une entrée en bourse, que doit-elle faire maintenant?

Actuellement, la fenêtre des IPO est effectivement complètement fermée, tout comme c’est le cas aussi pour les SPAC. Cela s’explique aussi par le fait que la valeur des entreprises cotées en bourse a beaucoup plus chuté – avec un recul qui dépasse souvent les 30% depuis le début de l’année dans certains segments – que ce n’est le cas s’agissant des marchés privés. Parmi les entreprises détenues en mains privées, il y a certes eu aussi une correction au niveau des valorisations mais cette baisse n’a pas été aussi brutale qu’à la bourse. Sur les marchés privés, il y a même toujours des transactions qui continuent de gagner en valeur. Dans le contexte présent, mieux vaut effectivement garder au frais son dossier de préparation d’une IPO et attendre que l’on revienne à une situation plus favorable sur le plan boursier.

Pour autant, cela ne veut pas dire que les préparatifs effectués pour une IPO auront été vains. En effet, préparer une entrée en bourse nécessite en général au moins entre 4 et 8 mois. Si une société attend que les conditions sur les marchés soient à nouveau optimales pour se mettre au travail, il y a fort à parier que la fenêtre d’opportunités commence déjà à se refermer au moment où elle celle-ci sera prête à franchir le pas.

Faute d’amélioration concernant la possibilité d’entrer en bourse, les entreprises ne devraient-elle pas prévoir un plan B?

C’est toujours important d’avoir un plan B – et, en fin de compte, l’IPO constitue seulement une possibilité de lever du capital parmi d’autres. Il est aussi possible de vendre une entreprise, ou une partie de celle-ci, à un fonds de private equity. Ou alors de la revendre à un grand groupe – beaucoup de grandes entreprises disposent actuellement d’immenses piles de cash et cherchent des opportunités de rachat. Des multinationales comme Nestlé, par exemple, rachètent régulièrement différentes entreprises ou marques, notamment dans une optique de gagner un meilleur accès direct à la clientèle grâce à une approche «direct to consumer». Dans certaines situations, il arrive aussi que des sociétés qui avaient au départ l’intention d’effectuer une IPO apparaissent sur le radar de grands groupes, puis optent finalement pour une transaction de type fusions et acquisitions.

«Beaucoup d’investisseurs ont toujours les poches bien remplies. Je ne crois pas que l’ensemble du marché va s’écrouler!»
Début juin, une importante transaction a été annoncée en Suisse avec la fusion entre la société genevoise Firmenich et la néerlandaise DSM. Anticipez-vous d'autres transactions de grande taille au cours des prochains mois - ou s'agit-il ici plutôt d'une exception?

Quand la situation économique change à l’échelle globale comme cela a été le cas ces derniers mois, cela entraîne aussi beaucoup de changements pour les entreprises: les coûts des matières premières augmentent, tout comme ceux de la distribution en raison des perturbations des chaînes d’approvisionnement. C’est pourquoi, beaucoup d’entreprises sont actuellement incités à réunir leurs forces pour améliorer leur efficacité et réduire leurs coûts. Dans ce contexte, je m’attends à ce qu’il y ait davantage de rapprochements de ce type.

Quelles sont vos impressions au sujet de la situation actuelle des marchés?

La situation varie d’un secteur à un autre. En ce qui concerne la «tech», il est clair que les sociétés technologiques étaient devenues très chères l’an dernier. On est passé d’une situation d’«overpricing» à une certaine normalisation. Maintenant, en dépit de la correction récente, j’observe aussi qu’il y a encore de grandes quantités de capitaux disponibles sur les marchés – beaucoup d’investisseurs ont toujours les poches bien remplies. Je ne crois pas que l’ensemble du marché va s’écrouler! Et après chaque crise, il y a un rebond.

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