Le private equity surperforme les actions durant les périodes de récession

Yves Hulmann

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Pour Steffen Pauls, directeur de Moonfare, le capital-investissement a l’avantage d’être structurellement plus fortement axé sur l’économie traditionnelle.

Comment les placements dans le private equity réagissent-ils durant les périodes de turbulences sur les marchés? Et pourquoi les investisseurs privés devraient-ils s’intéresser à cette classe d’actifs? Le point avec le docteur Steffen Pauls, directeur et co-fondateur de Moonfare, une société basée à Berlin spécialisée dans le capital-investissement et qui disposera bientôt d’une présence en Suisse.

Moonfare ambitionne de démocratiser l’accès au capital-investissement (private equity) et à d’autres placements alternatifs. Pourquoi jugiez-vous nécessaire de développer une telle offre pour les investisseurs individuels?

Démocratiser, ou du moins faciliter, l’accès aux placements dans le private equity est à la base du concept qui a conduit à la création de Moonfare en 2016. Nous partons de l’idée que les individus devraient pouvoir investir dans le private equity, de la même manière que des investisseurs institutionnels ou des personnes très fortunées le font. L’écart entre ces deux catégories d’acteurs est frappant : chez les professionnels du secteur de l’investissement, la part allouée au domaine du private equity atteint environ 25% au sein de leur allocation d’actifs, tandis que cette proportion se limite à moins de 3% chez les investisseurs privés. Pourquoi des institutions comme les fonds de dotation de Harvard ou de Yale investissent-elles autant dans le private equity? Parce que les rendements sur le marché privé sont plusieurs fois plus élevés que ceux obtenus sur les marchés accessibles au public. Il s'agit donc de briser au mieux cette discrimination pour les investisseurs privés.

On entend souvent dire que les marchés anglo-saxons sont beaucoup plus avancés dans les domaines du capital-investissement et du capital-risque que l’Europe continentale. En tenez-vous compte dans votre stratégie de développement?

S’agissant de Moonfare, notre présence est, dans l’ordre, la plus importante en Allemagne, là où nous sommes basés. La Suisse est notre deuxième marché le plus important, suivi par le Royaume-Uni. Maintenant, nous ne nous limitons pas à l’Europe. Moonfare connaît une croissance très rapide et est également présent aux États-Unis, au Canada, en Israël ainsi qu'à Hong Kong et Singapour pour l'Asie - au total, nous sommes dans 23 pays actuellement.

Les entreprises américaines sont en train d’ajuster leurs capacités rapidement à la nouvelle réalité. Les entreprises technologiques européennes n’échapperont pas à cette tendance.
Quels sont vos projets en Suisse et pourquoi le marché helvétique intéresse-t-il Moonfare?  

Nous avons l’intention de continuer à développer nos activités en Suisse. Nous allons du reste ouvrir un bureau à Zurich durant l’été. La Suisse est un marché particulièrement intéressant en ce qui concerne le groupe des High Net Worth Individuals (HNWI), des clients qui sont très sophistiqués et ouverts aux solutions de private equity. Dans l'ensemble, le marché suisse est très fragmenté, avec de nombreuses banques privées qui ouvrent de plus en plus leur offre de produits au private equity.

Vous avez conclu des accords de collaboration avec différents établissements de moyenne taille, à l’exemple de Bordier & Cie en ce qui concerne la Suisse romande. Que pouvez-vous apporter à ces sociétés?

Je pense que nous pouvons précisément apporter une valeur ajoutée importante à des établissements qui ne disposent pas eux-mêmes des ressources suffisantes pour proposer leur propre offre dans le domaine des marchés privés. Les grandes banques comme Credit Suisse ou UBS ou certains des plus grands établissements de gestion de fortune n’ont pas besoin de nous pour proposer des solutions à leurs clients.

En revanche, notre offre est attrayante pour les établissements affichant une taille plus modeste. Un autre atout de notre offre est que les clients des banques peuvent y accéder sous la forme d’une plateforme en marque blanche («white label»). Ils ont ainsi la possibilité d’utiliser nos solutions tout en restant dans leur environnement habituel, et sans avoir besoin d’ouvrir un nouveau profil d’utilisateur séparément.

Que se passe-t-il si, en tant que client, je souhaite retirer l’argent que j’ai investi après deux ans, au lieu d’attendre une période de 5, 6 ou 7 ans ou plus, comme c’est souvent le cas dans le domaine du capital-investissement?

Un autre avantage que nous offrons sur notre plateforme technologique est de mettre à disposition une place de marché secondaire à nos clients, ce qui leur permet d’entrer mais aussi de revendre plus facilement leurs positions. Chez Moonfare, vous pouvez revendre vos positions après au moins un an – vous n’avez en revanche pas besoin d’attendre entre 5 ou 10 ans, comme c’est le cas chez les grands fonds de private equity.

Nous répondons ainsi à la critique adressée au private equity selon laquelle les investisseurs doivent rester liés pendant des années. Néanmoins, il est également vrai que l'une des véritables raisons d'investir dans le private equity est le profil de rendement à long terme offert par cette classe d'actifs.

Quelle est la répartition sectorielle des investissements que vous proposez?

Elle concerne différents types d’actifs et de stratégies. Dans le segment dit du «buyout», les secteurs de l’industrie et des sciences de la vie sont largement représentés. Il y a aussi des fonds dédiés aux infrastructures, d’autres qui sont spécialisés dans les technologies ou les sociétés de taille moyenne (mid-cap), par exemple.

Face à l’inflation galopante dans de nombreux pays et compte tenu de la hausse des taux d’intérêt, est-il opportun d’investir maintenant dans le private equity?

Je pense qu’il est même beaucoup plus important d’investir dans cette classe d’actifs compte tenu de l’environnement de marché actuel des titres cotés, caractérisé par une forte volatilité. D’une part, car le private equity est structurellement plus fortement axé sur l’économie traditionnelle, soit les entreprises «brick and mortar» comme on l’appelle parfois en anglais. En plaçant de l’argent dans le private equity, vous investissez dans la véritable économie productive.

D’autre part, en période de remontée de l’inflation, vous perdez chaque mois de l’argent si vous gardez tout en cash. Or, les placements dans le private equity vous permettent d’obtenir, en moyenne, un rendement de l’ordre de 6 à 7% par année sur la durée. Les gérants des fonds de private equity travaillent aussi sur différentes mesures pour améliorer la structure du capital des entreprises dans lesquelles ils investissent, ce qui permet aussi d’obtenir un rendement attrayant.

Si l’on compare les cycles passés, on constate que le private equity parvient typiquement à surperformer les actions durant les périodes de récession. Et le fait que les prix sont déjà redescendus comparé à leurs plus hauts niveaux atteints l’an dernier permet aussi d’acquérir des sociétés à des prix plus avantageux.

Il y a déjà eu une forte correction dans les valeurs de la «tech» aux Etats-Unis au cours des six derniers mois. A quoi faut-il s’attendre pour l’Europe?

J’observe que l’histoire tend souvent à se répéter. Au début des années 2000, lorsque la bulle des valeurs Internet a éclaté aux Etats-Unis, beaucoup de gens pensaient que l’Europe resterait épargnée. Or, on sait ce qui s’est passé ensuite.

Les entreprises américaines sont en train d’ajuster leurs capacités rapidement à la nouvelle réalité. C’est pourquoi, je pense que les entreprises technologiques européennes n’échapperont pas à cette tendance. On le voit avec des start-up comme Klarna, une fintech suédoise à forte croissance, qui a procédé récemment à une importante restructuration. C’est le cas aussi pour une société comme Gorillas, active dans la livraison ultra-rapide, qui a licencié une grande partie de son personnel. Nous allons continuer à voir d’importantes turbulences dans le monde de la tech. Une réalité entièrement différente est en train de se mettre en place.

Compte tenu des nombreuses difficultés actuelles – qu’elles soient liées à la guerre en Ukraine, au rythme de resserrement des politiques monétaires des banques centrales et plus généralement du risque de récession, je m’attends aussi à une possible poursuite de la correction des marchés des actions. Malgré tout, je pense que l’environnement actuel est attrayant pour les investissements dans le private equity et les placements alternatifs.