Les nouvelles réglementations doivent tenir compte de la perspective d’équivalence avec l’UE

Yves Hulmann

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Selon Grégoire Bordier, président de l’ABPS, la question de l’accès aux marchés européens est aussi importante pour la gestion de fortune que pour l’électricité ou la medtech. 

L’accès au marché européen, la transformation numérique et la compétitivité de la place financière suisse en général ont été quelqu’un des sujets abordés dans le cadre du sixième Private Banking Day qui s’est tenu vendredi à Zurich. L’occasion de faire le point sur ces différents enjeux avec Grégoire Bordier, associé chez Bordier & Cie et président de l’Association de Banques Privées Suisses (ABPS), l’un des orateurs de cette matinée de présentations. 

Parmi les différents thèmes abordés lors de la journée du Private Banking Day de vendredi, il a été question de la proposition de vente unique («Unique Selling Proposition», ou USP) que la banque privée suisse du futur pourra offrir. Comment décririez-vous cette «USP» - comment les banques spécialisées dans la gestion de fortune peuvent-elles se démarquer des autres instituts? 

En termes de structure de clientèle, une banque privée comme Bordier & Cie compte environ 40% de clients qui sont résidents en Suisse et 60% de clients internationaux. C’est du reste le cas aussi de nombreuses autres banques privées. S’agissant de l’USP qui peut être proposée par les acteurs de la gestion de fortune helvétiques, il y a en premier lieu tout ce qui est lié à la Suisse. Il s’agit aussi bien de la stabilité qui caractérise la Suisse et son système politique, la solidité du franc suisse et la sécurité de la Suisse en général. Cette image de la Suisse est toujours l’une des raisons principale pour laquelle une partie de la clientèle étrangère confie son argent à des établissements comme le nôtre plutôt, que d’aller ailleurs. 
Le deuxième aspect est celui des conditions-cadres offertes par la place financière helvétique, qui peut s’appuyer sur un personnel extrêmement qualifié avec des spécialistes issus de multiples domaines. S’y ajoute aussi la fiabilité des systèmes informatiques. Un autre aspect est celui de l’ouverture du marché à toutes sortes d’acteurs. Que ce soit à Genève ou à Zurich, la place bancaire helvétique est très ouverte. Il y a beaucoup d’acteurs, pas seulement locaux, qui proposent une offre de services très diversifiée. C’est un grand atout pour les clients de la gestion de fortune. 
Enfin, je citerais aussi l’innovation. Bien sûr, les atouts traditionnels de la place financière déjà évoqués sont toujours un facteur essentiel. Toutefois, vous trouvez aussi en Suisse des acteurs extrêmement innovants dans des domaines comme la finance durable ou encore dans les cryptomonnaies. Il suffit de regarder le nombre de sociétés actives dans ce secteur à Zoug.

Les clients d'une génération ne sont pas toujours plus enclins à prendre davantage de risques que ceux de la précédente.
Vous parlez d’innovation. Les clientes et les clients de la nouvelle génération – par exemple ceux qui prennent la relève de leurs parents ont-ils d’autres attentes que ceux de la génération précédente? 

Bien entendu, la nouvelle génération est beaucoup plus habituée à utiliser l’ensemble des nouveaux moyens de communication pour gérer leurs affaires dans toutes sortes de domaines, y compris lorsqu’il s’agit de gestion de fortune, par rapport à la génération des 60 ans et plus. Les clients plus jeunes s’intéressent aussi, globalement, davantage à des thématiques telles que les cryptomonnaies.
Toutefois, il ne faut pas non plus perdre de vue que certaines règles demeurent valables, quels que soient les domaines dans lesquels on investit son argent. De notre point de vue, les cryptomonnaies doivent être traitées d’abord comme une classe d’actifs, même si celle-ci se caractérise par une volatilité plus élevée que d’autres. Même les clients les plus enthousiastes face à ce genre d’actifs ne veulent pas investir la moitié de leur fortune dans les cryptomonnaies. Ils ajouteront des placements, tels que les cryptos ou le private equity, par étapes consécutives. 
J’ai même souvent constaté que les clients de la génération suivante ne sont pas toujours plus enclins à prendre des risques par rapport à ceux de la précédente – c’est même parfois l’inverse ! Il arrive que des clients assez jeunes ne veulent prendre aucun risque parce qu’ils ont un projet précis à financer, par exemple l’achat d’un appartement. Parfois, c’est aussi le cas parce que des clients de la nouvelle génération ont moins de connaissances en finance que la génération précédente. 

Le Private Banking Day a été organisé conjointement par l’Association de Banques Privées Suisses (ABPS) et l’Association de Banques Suisses de Gestion (ABG). En quoi ces deux associations se distinguent-elles des autres structures qui représentent la place financière suisse, comme l’Association suisse des banquiers (ASB) ou d’autres groupes comme celui qui défend les intérêts des banques de détail? 

L’ASB est l’organe qui représente l’ensemble de la branche et qui est appelé à prendre des positions de la place – par exemple auprès de la Finma ou du Seco – sur certaines questions. En ce qui concerne l’ABPS ou l’ABG, il s’agit de structures qui s’occupent davantage de questions relatives aux métiers spécifiques de la gestion de fortune ou de la gestion d’actifs. Nous ne prenons par exemple pas position sur des questions liées aux prêts hypothécaires. 

L’ABPS et l’ABG restent donc à l’écart de toutes questions d’ordre institutionnel par exemple? 

Pour certains domaines spécifiques, le Conseil Fédéral ou la Finma s’adressent à l’ABPS directement pour avoir une position sur une question donnée, même si cette dernière adresse en parallèle la même demande à l’ASB. Cela a, par exemple, été le cas au sujet de la loi sur les trusts, pour laquelle le Conseil Fédéral nous a consulté. Sur les questions qui se négocient sur le plan interétatique, c’est toutefois l’ASB qui joue le rôle de chef de file, par exemple concernant les accords avec l’Union européenne (UE). 

Mieux vaut effectivement, lorsque cela est possible, que la réglementation suisse soit alignée à la législation européenne.
Les négociations au sujet de l’accord-cadre avec l’UE ont été suspendues depuis maintenant plus d’un an. La question de l’accès au marché européen est-elle toujours aussi centrale qu’il y a quelques années pour le secteur de la gestion de fortune ou y a-t-il d’autres marchés qui peuvent servir d’alternative? 

Notre point de vue sur cette question est que les enjeux liés à la place financière suisse doivent être situés au même niveau que d’autres thèmes négociés actuellement avec l’UE, à l’exemple de l’électricité, de la recherche ou des technologies médicales. L’accès aux marchés de l’UE est aussi important pour nous que pour d’autres secteurs. 

En attendant de nouvelles négociations, une stratégie peut-elle être de reprendre systématiquement les normes définies par l’UE, par exemple s’agissant de la taxonomie dans la finance durable? 

Pour toutes nouvelles règles ou lois, il faudrait que celles-ci soient «équivalentes» à la réglementation de l’UE. Donc, mieux vaut effectivement, lorsque cela est possible, que la réglementation suisse soit alignée à la législation européenne. C’est pourquoi toute nouvelle réglementation devrait être faite dès aujourd’hui en tenant compte de cette perspective d’équivalence. C’est ce qui nous permettra, à terme, d’obtenir plus facilement un accès aux marchés de l’UE. 

En attendant cela, voyez-vous des perspectives de croissance dans d’autres régions du monde?  

Nous avons bien sûr aussi besoin d’avoir accès et de nous développer dans d’autres places de marchés en croissance, comme ceux du Moyen-Orient ou de l’Asie. Il est important d’être présent sur ces marchés, indépendamment des développements en cours avec l’UE. 

Dans un article publié récemment sur la plateforme finews.ch, vous constatiez que la pandémie avait entraîné des restrictions massives des libertés. Maintenant que les risques liés au Covid-19 sont relégués au second plan, hors de Chine, va-t-on revenir peu à peu à la situation d’avant la pandémie – ou anticipez-vous au contraire un maintien de restrictions plus nombreuses à l’avenir dans différents domaines?

Depuis la pandémie, mon impression est que l’évolution politique est allée dans le sens qu’il y ait davantage de restrictions et qu’il y a une certaine diminution des libertés individuelles. Mais il peut y avoir un retour de balancier – on l’a déjà vu par le passé. Il est très difficile de prévoir comment la situation va évoluer.

 

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