Avoir 40% en or et 10% en argent

Emmanuel Garessus

3 minutes de lecture

Pierre Leconte, conseiller financier, craint surtout pour les obligations, mais aussi une correction d’ampleur des actions.

Le conseiller financier Pierre Leconte, également auteur du blog Forum monétaire de Genève, avait correctement géré la difficile année boursière 2022. Cette année, il avait anticipé la hausse de l’or. Il répond aux questions d’Allnews:

Après la déroute de Credit Suisse, recommandez-vous d’encore placer ses avoirs en Suisse?

Plusieurs facteurs plaident pour la Suisse. Celles des banques cantonales, comme la BCV et la ZKB, qui ont une garantie du canton dans lequel elles sont domiciliées, et celles des banques privées, qui n’effectuent pas d’opérations pour leur compte propre et n’octroient pas de crédit, ne présentent pas de risque de solvabilité pour leurs clients. Il faut donc vérifier cela avant d’ouvrir un compte.

Mieux vaut éviter UBS, un monstre bancaire qui ne me paraît guère viable, même si elle réalise une bonne affaire à court terme, avec de l’argent public. En cas de problème, je crains que l’ensemble du pays soit touché. Les conditions du rachat ne me paraissent d’ailleurs pas correctes, à commencer par l’annulation des obligations AT1. Dans un état de droit, la fin ne justifie pas les moyens.

La Suisse conserve aussi un atout fiscal. Si vous détenez de l’or physique en France, la plus-value est taxée à 11%, alors qu’elle n’est pas imposée en Suisse.

Qu’est-ce qui vous inquiète le plus en ce moment sur les marchés?

Mes craintes portent avant tout sur les obligations. La débâcle de la Silicon Valley Bank est la conséquence d’un risque obligataire mal géré. L’établissement avait acheté des obligations à l’époque des taux très bas et ne s’est pas couvert contre un risque de hausse des taux. Ses avoirs en obligations étaient comptabilisés comme si elles devaient être détenues jusqu’à échéance. Or la banque a dû s’en séparer au prix du marché lors de la panique bancaire et assumer ses pertes. Les obligations devraient être inscrites au bilan à leur valeur de marché.

Il est préférable d’acheter une part de propriété comme une action plutôt qu’une dette.

Les banquiers centraux ont monté les taux d’intérêt sans communiquer en détail leurs intentions. Ils se trompent en pensant que l’inflation disparaitra d’elle-même à la suite d’une récession américaine. Or il n’y aura pas de récession, comme le signale la bonne tenue de la consommation.

«Je ne crois pas que l’inflation baissera autant que le prévoient les marchés financiers.»
Les turbulences bancaires ne vont-elles pas provoquer une contraction du crédit et de l’économie?

Les grandes banques américaines ont, en majorité, présenté de bons résultats parce qu’elles profitent de la hausse des taux d’intérêt. Les commentateurs se trompent dans leurs prévisions. Ils croient à une récession provoquée par l’inversion de la courbe des taux. Or celle-ci persiste depuis de longs mois sans effet récessif.

Les investisseurs se trompent donc aussi s’ils achètent des obligations actuellement.

Pourquoi recommandez-vous 40% du portefeuille en or?

Quatre raisons plaident en faveur de l’or: Premièrement je ne crois pas que l’inflation baissera autant que le prévoient les marchés financiers. Deuxièmement, pour se prémunir contre la baisse future du dollar, l’or est préférable à l’euro. Troisièmement, le métal jaune va progresser en raison du phénomène de dédollarisation des pays émergents. Quatrièmement, face aux turbulences bancaires et aux tensions internationales, l’or devrait casser son plus haut historique et grimper peut-être à 3600 dollars ou 4000 dollars l’once (contre 2010 dollars actuellement).

Si, à l’inverse de mes attentes, l’économe américaine entrait en récession, mieux vaudrait détenir du métal jaune que des actions. Et si l’économie évitait la contraction, l’or monterait contre les obligations.

Dans les actions, vous avez privilégié Apple et Microsoft et vous dites de sortir actions pour des raisons saisonnières selon le principe «sell in May and go away». Pourquoi cette réticence?

Apple et Microsoft sont des groupes très sains, des multinationales qui produisent et vendent leurs biens dans tous les grands pays et n’ont nul besoin de crédits bancaires. Mais elles n’échapperont pas à une correction d’ampleur des marchés financiers.

La dédollarisation s’accélère. Comment en profiter?

La dédollarisation s’est concrétisée à la suite de la guerre en Ukraine, notamment à travers les relations entre les Etats-Unis et les BRICs.

J’ignore si le yuan deviendra une monnaie convertible. Mais ces pays n’ont pas d’autre alternative que l’utilisation de l’or à la place du dollar comme instrument de réserve. La dédollarisation profite au métal jaune.

Le marché de l’or peut-il absorber une forte demande?

Le stock d’or est insuffisant. C’est pourquoi je conseille de convertir en or physique les placements en or sous forme d’ETF ou d’autres produits «papier» et de les placer en Suisse. La conversion en or physique est intéressante parce que plus le cours de l’once va augmenter, plus on assistera à un phénomène de thésaurisation. L’or disponible va diminuer. Quand on cassera le record historique de 2075 dollars l’once, le choc psychologique sera significatif et générera d’importants achats.

«La discussion menée à Washington sur le relèvement du plafond de la dette est enlisée. Les démocrates et les républicains s’opposent comme jamais sur ce sujet.»

Un autre élément mérite d’être évoqué: La discussion menée à Washington sur le relèvement du plafond de la dette est enlisée. Les démocrates et les républicains s’opposent comme jamais sur ce sujet. Il n’existe encore aucun début d’amorce d’un compromis. Les marchés ne s’en inquiètent guère maintenant, mais les craintes d’un défaut de paiement pourraient s’accroître fortement. L’or en profiterait sans doute.

Que pensez-vous des avoirs en argent de JP Morgan?

JP Morgan est sans doute la banque qui dispose du plus grand stock d’argent métal au monde. Le résultat trimestriel de l’établissement étant bon, j’en déduis qu’il ne lui sera pas nécessaire de vendre une partie de son argent. Ce qui pourrait faire monter son prix.

Quelle allocation de portefeuille vous paraît actuellement optimale?

L’allocation de portefeuille recommandée à court terme, en fonction du profil de risque, devrait être de 40% en or physique et 10% en argent «papier». Précisons ici que la conversion d’or «papier» en or physique suppose de supporter différents frais.

Vous êtes un adepte de la saisonnalité des marchés. Qu’en attendez-vous ces prochains mois?

La saisonnalité des marchés indique qu’avril est un mois boursier favorable et qu’il faut se méfier de mai, selon l’adage: «Sell in may and go away». Dès à présent, il vaut mieux n’avoir que de l’or et un peu d’argent métal, ainsi que du cash, en attendant une grosse correction de la bourse américaine. En année pré-électorale de la présidentielle américaine, les actions baissent en mai, remontent ensuite jusqu’en juillet, avec beaucoup de volatilité, puis s’effondrent jusqu’à fin octobre. Nous recommandons de ne plus avoir de position longue sur les actions et les indices américains, puis d’acheter des options put sur ces derniers dès la dernière semaine d’avril, à conserver jusqu’à la fin mai.

Sur les monnaies, l’analyse de la saisonnalité prévoit une plongée du dollar à partir d’août. Ce déclin suggérerait aussi un questionnement sur la dette américaine.

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