Artemis chasse sur les terres d’Europe continentale

Anne Barrat

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L’ère post-Brexit pousse la boutique londonienne à chercher des partenaires de distribution outre-Manche pour amplifier sa croissance. Avec Greg Jones.

«The profit Hunter» de St James Street est, à la veille de son 25e anniversaire, à une croisée des chemins. Quelle voie choisir pour assurer la poursuite de son développement, qui l’a mené depuis sa fondation en 1997 à se rapprocher en 2002 d’ABN Amro Fund Managers Limited, l’entité britannique de gestion de fonds du groupe ABN AMRO (revendue en 2008 à Fortis), puis à faire entre l’américain AMG dans son capital en 2010? Elle gérait alors 10,6 milliards de livres sterling, en gère aujourd’hui 28 milliards (au 31 mars 2022). Les conséquences du Brexit l’obligent à se redéployer avec, en ligne de mire, le continent. Opération de M&A, rapprochement stratégique, mise en place d’une société de gestion? Un casse-tête, avant tout culturel, reconnaît Greg Jones, responsable de la distribution d’Artemis.

Diriez-vous que l’impact du Brexit vous force à rompre avec votre histoire?

Rompre non. Artemis se distingue pas quelques caractéristiques fondamentales qui ne sauraient être compromises. Une culture de la liberté de pensée d’abord, qui se traduit dans nos stratégies d’investissement par une absence de contraintes – sinon de générer de la performance absolue ajustée au risque –, ainsi qu’une forte conviction: nos équipes de gestion gèrent leurs fonds comme elles l’entendent sous l’autorité du gérant et avec une approche purement bottom up. Nous n’avons d’ailleurs pas de CIO au sens classique top-down.  Un fort alignement des intérêts ensuite: les gérants sont les propriétaires de 40% d’Artemis. Ce sont des actionnaires stables qui réinvestissent leur propre argent dans les fonds qu'ils gèrent. Une volonté de poursuivre notre croissance de manière aussi indépendante que possible enfin. Ce qui ne veut pas dire que nous ne sommes pas prêts à accueillir de nouveaux partenaires appropriés, comme nous l’avons fait avec AMG, qui possède 60% d’Artemis sans pour autant avoir aucun rôle opérationnel. Un «sleeping» partenaire fiable et stable.
Nous réinventer, oui. Dans le sens d'une évolution, pas d'une révolution.

«Le Brexit nous a conduits à diversifier notre offre.»
Comment envisagez-vous de le faire?

Plusieurs options s’offrent à nous, pour contourner les restrictions qui s’imposent à nous en termes de distribution depuis le Brexit. L’une d’elles serait de confier à une société de gestion indépendante, comme nous le faisons déjà avec FundRock au Luxembourg, ou bien de contacter avec une société tiers la distribution de nos fonds dans les pays où nous n’avons plus le droit de parler avec des investisseurs – la France par exemple ¬ ou un droit restreint – en Italie et en Espagne où nous ne pouvons rencontrer que nos clients existants et non des prospects. Une autre option, beaucoup plus coûteuse, serait de monter notre propre société de gestion, pour servir l’Europe. Une dernière s’inscrirait dans la tradition que nous avons d’engager des équipes de gestion spécialistes d’une stratégie que nous n’avons pas encore. Cela a été le cas avec celle de Kames Capital venue nous rejoindre en 2020 pour lancer une stratégie ISR et d'impact. Cette option, qui suppose moins de capital, pourrait nous permettre d’accompagner la montée en puissance de gérants de fonds discrétionnaires que nous souhaitons avoir en Europe. Quelle que soit la solution que nous choisirons, nous pouvons compter sur notre partenaire AMG, ouvert à l‘éventualité, si l’opportunité se présente, de mobiliser des fonds propres pour la financer.

Quid de l’impact du Brexit sur votre gamme de fonds?

Le Brexit nous a conduits à diversifier notre offre, non seulement pour l’adapter à la demande des investisseurs européens, mais aussi pour toucher davantage d’investisseurs institutionnels qu’aujourd’hui. Ces derniers représentent moins de 25% de nos encours sous gestion, la clientèle «retail» représentant les trois-quarts. Ce qui s’explique en grande partie par le succès auprès des investisseurs privés de nos stratégies historiques dédiées aux actions britanniques.

«Nos efforts se sont également portés sur le développement d’une gamme ISR, et ce sans lien avec le Brexit.»

Nous avons ainsi lancé en 2018, anticipant le Brexit, une série de fonds luxembourgeois répliquant des stratégies globales, américaines et marchés émergents qui affichaient des performances exceptionnelles. Et ce n’est pas fini, d’autres fonds sont en préparation, qui viendront renforcer notre offre obligataire – en plein développement, avec des ressources nouvellement recrutées par notre 2e siège social à Edinbourg. Loin de nous l’envie de sacrifier à la mode de lancer des fonds de private equity ou de marchés privés, qui consistent essentiellement à laver le bilan de sociétés. Ce n’est absolument pas notre philosophie d’investissement, laquelle s’inscrit dans le long terme. C’est pourquoi nos efforts se sont également portés sur le développement d’une gamme ISR, et ce sans lien avec le Brexit. Cet autre catalyseur de diversification nous a permis de répondre à la demande de nos investisseurs et a été grandement facilité par notre processus d’investissement qui, intuitivement, sans code écrit, excluait déjà des secteurs controversés tout en intégrant la durabilité. Ont été lancés en 2021 des fonds d’impact, labélisés article 8.

Quels défis rencontrez-vous dans cette phase de redéploiement?

Le principal est d’ordre culturel: miser sur de la croissance externe pour nous allier à des gérants aux compétences complémentaires aux nôtres suppose une grande communauté de valeurs, des mentalités compatibles sinon proches, … Une véritable gageure qui pourrait nous faire préférer la piste de la croissance organique.

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