Moderna vient de publier un résultat trimestriel meilleur qu’attendu, notamment grâce au report d’une partie de ses revenus de 2022 sur les premiers mois de l’année. Tandis que le monde a définitivement tourné la page du Covid-19, comment la biotech célèbre pour son vaccin à base de l’ARN messager va-t-elle poursuivre sa croissance ascensionnelle? Julia Angeles, gestionnaire d’investissement et associée chez Baillie Gifford, est convaincue que la percée de l’ARNm mènera sur le lancement de nouveaux vaccins et de thérapies oncologiques. Interview.

Ce que Moderna offre est bien plus précieux que son seul vaccin Covid: l’entreprise est à la pointe du développement des thérapies à base d’ARNm. Il constitue une plateforme technologique évolutive pour de nombreuses autres maladies.

La société compte 48 candidats-médicaments dans son pipeline, allant des vaccins contre la grippe aux maladies rares, en passant par le cancer. Elle prévoit de lancer d’ici 2025 son vaccin combiné contre la grippe, le Covid et le RSV (virus respiratoire). Ce sérum offrirait un confort et une protection supérieurs aux patients, tout en permettant aux systèmes de santé de réaliser des économies substantielles.

Les progrès de Moderna dans l’oncologie sont encourageants. Son traitement anticancéreux personnalisé à base d’ARNm a récemment obtenu la désignation de thérapie révolutionnaire par la FDA (Food and Drug Administration), sur la base des résultats positifs des essais de phase 2. Cette qualification permet d’accélérer le développement de certains médicaments destinés à traiter une maladie grave, du moment que les éléments cliniques préliminaires indiquent que le produit peut apporter une amélioration significative par rapport aux autres thérapies disponibles sur le marché.

La plateforme de Moderna pour le développement de nouvelles thérapies est particulièrement efficace, dans la mesure où chaque essai clinique produit une multitude de données dont le suivant peut tirer des enseignements. Ce système contribue à réduire les risques dans le pipeline et, en fin de compte, conduit à un taux de réussite accrus au fil du temps, selon les affirmations du président de Moderna. Certains programmes de son pipeline ne connaîtront peut-être pas de succès, mais l’entreprise en aura suffisamment en développement. Elle n’a pas besoin que chaque programme réussisse.

La gamme de produits en développement chez Moderna comprend des vaccins contre certains des virus ayant le plus d’impact sur la santé humaine au niveau mondial. Par exemple, ils sont en train de développer un vaccin contre le VIH – qui tue encore des centaines de milliers de personnes chaque année – et contre le cytomégalovirus, première cause infectieuse de malformations congénitales aux États-Unis.

Le principe fondamental de l’ARNm est qu’il transforme nos cellules en de puissantes usines à médicaments. Les gens dépendent des protéines pour pratiquement toutes les fonctions de l’organisme, et l’ARNm indique quelles protéines doivent être fabriquées par nos cellules. Le véritable potentiel de l’ARNm pourrait donc s’étendre à un ensemble de problèmes bien plus vaste que les seuls vaccins. Il pourrait remplacer complètement de vastes domaines de thérapies sur le marché et cibler des maladies pour lesquelles il n’existe actuellement aucun traitement.

Moderna continue de renforcer considérablement ses investissements dans la recherche et le développement. Grâce à son bilan solide, la société est en bonne position pour croître de manière significative sur le long terme. À mesure que les médicaments en cours de développement atteignent le stade de commercialisation, que les risques diminuent et que l’entreprise se développe, sa croissance devrait s’accélérer. Il y a de fortes chances que Moderna devienne la première entreprise de biotechnologie pesant mille milliards de dollars.

La biologie est l’un des systèmes les plus complexes qui soient – je la définis comme un problème de grands nombres. Le génome humain compte trois milliards de paires de bases; nous avons des milliers de protéines. Et il y a des milliers de milliards de bactéries qui influencent notre santé. Les progrès technologiques tels que l’IA, l’informatique et la génomique permettent aujourd’hui d’appréhender cette masse de données ainsi que la complexité de la biologie humaine, favorisant ainsi les avancées médicales dans la lutte contre les maladies les plus difficiles à traiter. Cette convergence stimule également l’innovation dans le développement de médicaments, de dispositifs et de l’aspect opérationnel des soins de santé, tout en réduisant les coûts.

L’un des avantages de l’IA est que nous pouvons élaborer des outils de diagnostic de plus en plus précis pour la détection précoce des maladies. Un autre intérêt est que nous pouvons développer des médicaments en partant du bas de l’échelle, afin de créer des programmes de traitement individuels. Par exemple, Moderna a utilisé l’IA pour optimiser la composition de l’ARNm pour son vaccin Covid-19. Elle a également utilisé l’IA pour automatiser le contrôle de qualité préclinique, réduisant ainsi les besoins de vérifications manuelles alors que la vitesse était un facteur essentiel. Aujourd’hui, Moderna utilise l’IA pour prédire les éventuelles mutations du virus afin de développer rapidement de nouveaux vaccins.

Exscientia, par exemple, réalise de l’ingénierie de précision pour les médicaments en utilisant des molécules conçues par l’IA et capables de cibler les maladies de manière à la fois plus efficace et plus sûre, sans effets secondaires. Traditionnellement, il faut plus de dix ans et des milliards de dollars pour mettre au point un nouveau médicament. Et même dans ce cas, les chances de succès ne sont que d’environ 10 %, le plus souvent parce que le médicament atteint également d’autres parties de l’organisme, ce qui le rend inutilisable. Pour compenser tous ces risques, les compagnies pharmaceutiques fixent des prix élevés. Mais en utilisant l’IA, Exscientia est en train de réinventer complètement le modèle économique.