«Le style value a entamé un nouveau cycle de hausse»

Philippe Rey

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La partie est finie pour le style «growth» ou croissance. L’investissement dans la valeur renaît, selon Alex Rauchenstein, CEO de SIA.

L’investissement dans la valeur fonctionne à condition de bien connaître son cercle de compétences. Cependant, il n’est pas dénué de cyclicité. Plusieurs investisseurs dans les actions le prouvent, en battant durablement le marché, malgré plusieurs traversées du désert. Ceux-ci forment assurément une minorité. Marcos Hernandez Aguado, un ancien de Merrill Lynch où il a côtoyé l’actuel CEO d’UBS, Sergio Ermotti, CIO et gérant depuis 2019 du fonds global d’actions de Strategic Investment Advisors Group (SIA), en fait partie. Or, un nouveau cycle favorable au «value investing» a débuté l’automne dernier, après une période de pénitence d’une douzaine d’année. C’est ce qu’affirme dans un entretien avec Allnews Alex Rauchenstein, CEO et co-fondateur avec Jose-Carlos Jarillo, de SIA. Ce dernier a été CIO de SIA jusqu’en 2019 ainsi que  professeur de stratégie d’entreprise à l’Université de Genève et à l’IMD à Lausanne.

Vous affirmez que l’investissement dans la valeur est entré dans un nouveau cycle de hausse. Sur quoi cela se fonde-t-il?

En termes de valorisation, on trouve davantage d’entreprises de qualité qui se révèlent valorisées avantageusement, en particulier en Europe. Le style «growth investing», ou l’investissement dans des sociétés à fort potentiel de croissance mais qui s’avèrent chères aujourd’hui, a connu trois cycles porteurs: dans les années 1990, lors de la période de la nouvelle économie autour de 2000, et après la crise financière mondiale de 2008-09, jusqu’en 2022. Un nouveau cycle a commencé l’automne dernier en faveur du value investing. Au vrai, le value investing bat le growth investing à long terme, d’après les économistes Eugène Fama et Kenneth French. Cependant, l’investissement de croissance a surperformé depuis la crise financière.  

En quoi consiste votre concept de valeur stratégique?

Nous cherchons des entreprises de qualité, à un prix discount. Plus le risque est élevé, plus la décote doit être substantielle. Un critère déterminant est en effet le prix payé au regard de la valeur intrinsèque estimée.

Nous disposons d’une grille à quatre échelons concernant la qualité d’une entreprise, sachant que le risque n’est pas la volatilité mais une perte durable de capital.
Comment identifier les entreprises de qualité?

Elles doivent afficher une bonne performance à long terme, avec un rendement du capital (ROIC) supérieur à son coût. Par ailleurs, elles doivent receler de saines perspectives de marché. Pourquoi investiriez-vous dans une affaire en déclin? Poser la question revient à y répondre. Elles doivent avoir un bon management. Un autre critère est un bilan solide, qui doit permettre à une entreprise de traverser une période de crise sans grande difficulté.

Finalement, elles doivent se caractériser par des barrières à l’entrée hautes ou des facteurs limitant la croissance de l’offre, avec un excellent positionnement stratégique. De telle sorte qu’il soit extrêmement difficile de rivaliser avec elles. C’est ce que Warren Buffett décrit comme des «moaty businesses». En bref, une affaire de qualité, un bon management, un bilan robuste et un prix attractif composent cette valeur stratégique.

Pouvez-vous donner des exemples actuels?

Grifols, qui est le leader mondial du marché des protéines contenues dans le plasma sanguin. Ce groupe espagnol opère dans une structure oligopolistique avec CSL et Takeda comme concurrents. Grifols se caractérise par la qualité de son management, une intégration verticale, une croissance annuelle de 7% à 8%, une marge du cash-flow brut d’exploitation (EBITDA) d’environ 30% ainsi qu’un ROIC et un ROE respectifs de 15% et de 18% à 20%. Sa recherche et développement intense, son avantage en termes de coûts et de frais de changement pour les clients lui procurent un avantage compétitif stable. Nous estimons sa valeur intrinsèque à 23 euros par action.

Comment construisez-vous votre portefeuille et gérez le risque?

Nous disposons d’une grille à quatre échelons concernant la qualité d’une entreprise, sachant que le risque n’est pas la volatilité mais une perte durable de capital. La première catégorie comprend des sociétés fondamentalement très fortes, avec une croissance stable et une rentabilité inébranlable. Grifols ou Unilever, le numéro un mondial dans les soins personnels et des assaisonnements, se rangent dans cette catégorie. Nous les avons toutes deux en portefeuille. Un autre exemple est Nestlé. Dans le catégorie 2 figurent des bonnes entreprises, non cycliques, avec une croissance et une rentabilité robustes, mais qui se situent à un échelon au-dessous de la catégorie 1. En particulier Compass Group, leader de la restauration collective.

La catégorie 3 englobe de solides entreprises mais cycliques, notamment les cimentiers allemand et italien HeidelbergCement et Buzzi Unicem, ainsi que le groupe financier néerlandais ING. Enfin, dans la catégorie 4 se trouvent des sociétés à haut risque, à savoir des situations spéciales, telles que des compagnies pétrolières par exemple, pour lesquelles nous avons une autre thèse d’investissement que celle du marché. Un exemple dans ce registre est la société minière canadienne Hudbay Minerals, qui est spécialisée dans le cuivre. Nous visons un taux de rendement interne allant au minimum de 10% pour la catégorie 1 à 15% pour la catégorie 4.

Voyez-vous des occasions sur le marché suisse?

Il y est difficile de trouver en ce moment des opportunités pouvant procurer un TRI de 10% par an par rapport aux cours boursiers actuels. Roche, que nous rangeons en catégorie 2, nous intéresse, mais n’atteint pas encore le seuil minimal fixé en termes de rendement visé.

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