Fonds immobiliers: une forte chute amortie par une base solide

Philippe Gabella, BCV

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Face au krach lié au coronavirus, l’immobilier indirect ne se relève pas d’un bloc. Le doute sur les dividendes pénalise surtout le secteur commercial.

©Keystone

Réputé défensif, le marché immobilier n’est pas épargné par la panique qui s’est emparée des marchés financiers en raison de la propagation mondiale du coronavirus. Dans un premier temps, l’indice suisse des fonds immobiliers – SXI Real Estate Funds Broad – semblait mieux résister, mais, à partir du mercredi 11 mars, il a suivi une trajectoire identique à celle des autres indices boursiers: la chute.

Entre le pic du 24 février et le mardi 17 mars, l’indice des fonds a perdu près de 20%. Ce krach est très impressionnant non seulement en raison de sa rapidité, mais aussi de son ampleur. Il s’agit de la plus forte baisse de l’indice depuis sa création en 1995. Le constat est identique pour les sociétés immobilières, mais ces dernières s’étaient déjà comportées de manière similaire en octobre 2008. A noter que cette baisse est intervenue dans des volumes importants.

Les anticipations sur les taux ont également influencé
le rendement des obligations de la Confédération à 10 ans.

L’intensité du mouvement s’explique en partie par l’ajustement au risque de hausse de taux et par l’anticipation d’une récession économique. Il est par ailleurs intéressant d’observer que les anticipations sur les taux ont également influencé le rendement des obligations de la Confédération à 10 ans, qui est monté de 60 points de base (pb).

Loyers à risque?

D’un point de vue fondamental, la baisse du taux de référence des loyers résidentiels, d’un quart de point à 1,25%, est quasiment passée inaperçue. Mais il est vrai que les baisses précédentes n’avaient aussi eu que peu d’impact direct sur les revenus des fonds immobiliers. La problématique des pertes sur loyer fait néanmoins pression sur le secteur. A court terme, en raison de la crise liée au coronavirus, ce sont les surfaces commerciales, plus particulièrement les surfaces de ventes, de restauration et d’hôtellerie, qui sont le plus exposées à un risque de pertes sur les loyers. La situation évolue de jour en jour. Les demandes des locataires sont analysées au cas par cas, selon chaque bail. Généralement, une politique de report du paiement des loyers de plusieurs mois est privilégiée. Et aujourd’hui, la plupart des gérants pensent encore pouvoir continuer de payer un dividende relativement stable pour l’exercice 2020.

Fondamentaux solides

En prenant un peu de recul (voir graphique), les mesures drastiques prises par les gouvernements vont certes avoir des impacts négatifs sur l’économie – notre scénario prévoit une récession marquée en 2020 –, mais la viabilité des fonds immobiliers ne semble pas encore à risque. Les raisons? Les agios se situent actuellement à 26% soit légèrement au-dessus de leur moyenne historique, le rendement au dividende a augmenté mécaniquement à 2,6% et l’endettement se situe à un niveau contenu de 22% pour les composants du SXI Real Estate Funds Broad. La baisse récente a ramené l’indice des fonds immobiliers au niveau qui était le sien au premier semestre 2019. 

Du côté des fonds non listés et des fondations,
très peu d’activité est à relever et la stabilité reste de mise.

Si l’on observe le secteur des sociétés immobilières cotées à la Bourse suisse, le bilan est relativement identique, mais avec une ampleur accentuée à la hausse comme à la baisse. Du côté des fonds non listés et des fondations, très peu d’activité est à relever et la stabilité reste de mise. Ces dernières ayant des portefeuilles immobiliers très similaires à celui des fonds, il faut s’attendre aux mêmes problématiques de pertes sur les loyers, et donc potentiellement à des résultats 2020 sous pression qui ne seront disponibles qu’en 2021 pour la plupart.

Marché nerveux

De manière plus granulaire, nous observons une grande nervosité chez les investisseurs. Sur les 37 fonds cotés à la Bourse suisse, près d’une dizaine sont passés temporairement en «disagio» au cours du mois de mars, principalement des fonds lancés plus récemment. Au cœur de la chute, il n’y a eu étonnamment que peu de discrimination entre les fonds exposés aux secteurs plus défensifs, tels que le résidentiel, et les fonds exposés aux surfaces artisanales, aux bureaux ou aux surfaces de vente. La différence est apparue lors des premiers rebonds. À fin mars, les fonds résidentiels et mixtes ont pour la majorité fortement rebondi, mais les fonds purement commerciaux sont restés logiquement à la traîne au vu de l’arrêt d’une grande partie de l’activité commerciale dans le pays.

Valorisation stable

Il est périlleux de s’aventurer dans des pronostics alors que le pic de la pandémie n’est pas encore atteint et qu’ainsi la durée de la crise reste inestimable, mais, à ce stade, notre scénario central demeure une reprise de l’activité économique pour le second semestre 2020. A court terme, la question du paiement des dividendes constitue l’une des plus grandes incertitudes. Nous pensons que les investissements les plus exposés à l’immobilier commercial devraient très probablement enregistrer des revenus à la baisse et certains devraient temporairement réduire leur dividende. En revanche, les valorisations devraient demeurer stables à court terme. L’immobilier continue d’apporter un profil de rendement-risque attractif dans un portefeuille diversifié. Si l’on se projette à moyenne échéance, certaines tendances observées lors des premières semaines de crise pourraient influencer le marché immobilier. Le passage forcé au télétravail et aux achats en ligne pourrait avoir un effet négatif sur les surfaces de bureaux et de ventes. A contrario, la relocalisation de chaînes de production et de stockage pourrait avoir un impact positif sur les surfaces artisanales et logistiques. Le résidentiel locatif demeure, lui, le secteur défensif par excellence. 

Comparaison des principaux indices suisses sur 5 ans: Fonds, Sociétés et fondations immobilières, actions et obligations.

 
Source: BCV

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