Acheter pour louer

Yves Hulmann

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L’achat d’appartements dans un but de location s’installe en Suisse, selon Credit Suisse. Favorisé par le très faible niveau des taux d’intérêt.

A Lausanne, le prix d'un appartement neuf est presque deux fois plus élevé qu'à Fribourg.

Année après année, différents experts ont prédit la fin de la tendance haussière dans le secteur immobilier, notamment en raison de l’augmentation du nombre de logements vacants en Suisse et de la perspective d’une remontée des taux d’intérêt. Pourtant, cette année encore, tout indique que la tendance favorable observée dans le secteur de l’immobilier depuis une décennie se poursuivra, notamment sous l’effet du recul récent des taux d’intérêt. «Le nouveau plancher historique des taux d’intérêt envoie le cycle du marché suisse de l’immobilier vers son énième prolongation», résume Credit Suisse en préambule de son étude sur le marché immobilier suisse en 2020 dévoilée mercredi.

Au moins cinq salaires annuels
nécessaires pour acquérir un logement.

La persistance des taux négatifs entraîne de multiples effets. Tout d’abord, sur le niveau élevé des prix qui rend la propriété du logement pratiquement inabordable dans les grands centres urbains. En moyenne, il faut consacrer 5,6 salaires annuels en Suisse pour acquérir un logement en propriété, avec de grandes variations par régions. Cette moyenne dépasse ainsi les huit années à Genève, dans une partie de l’arc lémanique ainsi que dans l’agglomération zurichoise et à Zoug. Elle tombe en revanche à moins de quatre dans une partie de l’arc jurassien. Quant aux maisons familiales, la moyenne s’élève à 7,6 salaires annuels en Suisse.

La tendance haussière des prix de l’immobilier se poursuit alors que les logements vides augmentent. En l’absence d’impulsions suffisantes provenant de l’immigration et de la croissance, le marché du logement locatif ne va pas s’équilibrer, selon les économistes de Credit Suisse. Avec des différences marquées selon le type d’objets: les taux de vacances concernent en particulier les logements qui ne sont «plus tout à fait récents», soit des immeubles placés sur le marché il y a entre trois et six ans et dont une partie des premiers locataires sont déjà repartis. En termes de taille, les logements dotés de pièces relativement petites restent vacants le moins longtemps.

Acheter pour louer: une tendance en vogue

Autre effet lié au très faible niveau des taux : la volonté d’échapper aux taux négatifs incite un nombre grandissant d’investisseurs privés à acheter des biens d’habitation pour les louer. Le phénomène, décrit sous le terme de «buy-to-let», n’a cessé de gagner en importance depuis la crise financière. Ainsi, alors qu’en 2007 la proportion des hypothèques nouvellement conclues servant à acheter un bien immobilier destiné à location atteignait un dixième du total, cette part se situe désormais à 17%. Avec quelle perspective de rendement? Selon Thomas Rieder, économiste immobilier chez Credit Suisse, il est possible de compter avec un rendement moyen de l’ordre de 2,7% (4,3% avant impôts). En procédant ainsi, les investisseurs privés s’exposent toutefois à plusieurs risques: notamment celui d’une hausse des taux (même s’il n’apparaît pas prioritaire actuellement), de logements vacants et ainsi que celui de sous-estimer les coûts et les efforts liés à une activité de location.

 Les écarts de prix n’ont cessé de se creuser
entre les centres urbains et la périphérie.

Autre effet indirect du faible niveau des taux d’intérêt: les écarts de prix n’ont cessé de se creuser entre les centres urbains et la périphérie. A titre d’exemple, un appartement neuf de 4,5 pièces à Lausanne coûte environ 1,4 million de francs, alors que ce prix descend à moins d’un million à Yverdon (plus de 20 minutes de trajet) et diminue à moins de 800'000 francs à Fribourg (plus de 45 minutes de trajet). La même relation entre prix et distance est constatée dans des villes proches de Zurich. En conséquence, on dénombre plus de trois millions de pendulaires en Suisse qui effectuent un trajet de plus d’une demi-heure.

Effets contradictoires de la crise du coronavirus

Les auteurs de l’étude n’ont pas échappé mercredi aux questions liées aux conséquences de l’épidémie de coronavirus sur le marché de l’immobilier. Fredy Hasenmaile, responsable de l’analyse immobilière chez Credit Suisse, a mis en balance les différents effets possibles susceptibles d’en résulter: d’un côté, « rien de positif n’est à attendre pour l’économie au cours des prochains mois». «Le degré d’incertitude massif actuel est un poison pour les activités d’investissement», y compris dans l’immobilier, constate-t-il. De l’autre, cette crise signifie aussi que la phase des taux négatifs est encore appelée à se prolonger en Suisse, renforcée notamment par la baisse d’un demi-point des taux annoncés par la Réserve fédérale mardi et de nouvelles mesures allant dans le sens d’un assouplissement attendues du côté de la BCE. Quant à la durée de cette crise, l’expert de Credit reste néanmoins optimiste, anticipant un rebond de l’activité durant le deuxième trimestre.

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