Credit Suisse: la CEP adresse 20 recommandations au Conseil fédéral

AWP

4 minutes de lecture

Dans son rapport publié vendredi, la Commission d’enquête parlementaire (CEP) adresse 20 recommandations au Conseil fédéral et dépose six postulats, quatre motions et une initiative parlementaire.

La Commission d’enquête parlementaire (CEP) tire les enseignements de la crise Credit Suisse. Dans son rapport publié vendredi, elle adresse 20 recommandations au Conseil fédéral et dépose six postulats, quatre motions et une initiative parlementaire. Voici les points principaux:

Finma I: la CEP veut donner plus de pouvoir à la Finma. Selon elle, la surveillance de la révision des grandes banques devrait être centralisée sous l’autorité de l’Autorité de surveillance des marchés financiers. Celle-ci devrait en outre pouvoir faire efficacement appliquer ses procédures d’enforcement (application de la loi). Elle devrait pouvoir communiquer par principe sur chaque procédure d’enforcement à l’encontre de banques d’importance systémique. La Finma devrait aussi pouvoir infliger des amendes à des grandes banques et leur ordonner une planification précoce des fonds propres.

Finma II: La Finma et l’Autorité de surveillance en matière de révision (ASR) doivent impérativement intensifier et améliorer leur collaboration et leurs échanges d’informations. Il faut aussi clarifier la notion de «protection des créanciers» et le moment où la Finma doit solliciter la Commission de la concurrence (COMCO).

INSPECTIONS: Le Conseil fédéral doit renforcer la transparence et la compréhension des inspections menées par l’Autorité de surveillance en matière de révision (ASR) auprès des banques d’importance systémique. La CEP demande des inspections plus dynamiques, qu’il s’agisse de leur fréquence et de leur portée. L’ASR doit vérifier rigoureusement la mise en oeuvre des mesures correctives.

LÉGISLATION TOO BIG TO FAIL: la législation TBTF est trop focalisée sur la Suisse. Lors de la future réglementation, le Conseil fédéral est invité à tenir compte des dépendances internationales des banques d’importance systémique. Il devra aussi considérer la taille relativement importante d’UBS, dernière banque d’importance systémique au niveau mondial en Suisse.

FONDS PROPRES: L’octroi aux grandes banques d’allègements touchant aux exigences en matière de fonds propres et de liquidités doit être limité. Le Conseil fédéral est prié d’examiner si la qualité et la quantité des fonds propres des banques d’importance systémique sont, conformément aux exigences actuelles, suffisamment protégées pour garantir la solidité des banques d’importance systémique.

RÉMUNÉRATIONS: Le Conseil fédéral est chargé d’examiner quelles mesures sont nécessaires pour que les systèmes de rémunération des grandes banques et les dividendes qu’elles versent n’induisent pas d’incitations délétères. Les rémunérations dites variables (prime de résultat) en particulier ne devraient pas être versées en l’absence de succès commercial.

BNS: Le Conseil fédéral est chargé d’adapter les bases légales de manière à ce que la BNS dispose de la compétence d’imposer des mesures préparatoires aux banques d’importance systémique pour un éventuel recours à une aide extraordinaire sous forme de liquidités.

GESTION DES RISQUES I: il faut améliorer la détection précoce des crises, selon la CEP. Elle recommande d’examiner la possibilité de renforcer le rôle de la Conférence des secrétaires généraux (CSG), l’organe qui assume en premier lieu la responsabilité de la gestion des risques.

GESTION DES RISQUES II: Le Conseil fédéral est invité à examiner quelles mesures appropriées et coordonnées au niveau international peuvent être prises en cas de panique bancaire numérique.

ECHANGE D’INFORMATION I: la CEP estime nécessaire d’améliorer l’échange d’informations entre les différentes instances. Le Département fédéral des finances (DFF) et la Banque nationale suisse (BNS) doivent s’informer mutuellement, de manière proactive, des évolutions importantes relatives aux banques d’importance systémique et de leurs répercussions sur la stabilité financière.

ECHANGE D’INFORMATION II: pour les affaires qui concernent plusieurs autorités, les responsabilités des différents acteurs doivent être clairement définies et un interlocuteur principal doit être désigné pour les contacts avec des acteurs externes. Lors d’une passation de pouvoirs au Conseil fédéral, le processus doit aller au-delà d’une liste de contrôle.

RESPONSABILITÉ: la CEP demande d’examiner l’opportunité d’élaborer des bases légales visant à mieux tenir compte de la responsabilité des établissements financiers d’importance systémique à l’égard de l’économie suisse et des contribuables. Le postulat cite en exemple l’obligation de résidence en Suisse pendant au moins 10 ans pour la majorité du conseil d’administration.

ACTIONNAIRES: la CEP propose de renforcer le pouvoir des actionnaires des grandes entreprises d’importance systémique.

 

La communication de l’ancien ministre des finances Ueli Maurer critiquée

Dans la crise qui a entraîné la chute de Credit Suisse, l’ancien ministre des finances, Ueli Maurer, ne sort pas tout blanc. La commission d’enquête parlementaire critique sa communication au Conseil fédéral. L’ancien élu UDC ne s’exprime pour l’instant pas sur ces reproches.
Les premières informations sommaires sont parvenues au Conseil fédéral dès août 2022. A la suite des sorties de capitaux en automne, l’ancien chef des finances (DFF), Ueli Maurer, a informé une deuxième fois le gouvernement de problèmes de liquidités de la banque. A la fin octobre 2022, les informations étaient à nouveau sommaires, note la commission d’enquête parlementaire (CEP).
M. Maurer n’a informé de manière approfondie le gouvernement de la situation critique de la banque que début novembre lors de l’entretien annuel entre le Conseil fédéral et la Banque nationale suisse (BNS). Cette information «laisse à désirer», critique la CEP dans son rapport.
Par ailleurs, le chef du DFF et le président de la BNS ont engagé des rencontres non institutionnalisées avec le président du conseil d’administration de Credit Suisse dès fin octobre 2022. Le contenu de ces rencontres n’est, en grande partie, pas connu en détail.
Leur but était de faire avancer la recherche d’une solution avec Credit Suisse. Mais ces rencontres n’ont eu que peu d’utilité dans le cadre de l’organisation de crise, retient la CEP. La circulation de l’information n’a pas été assurée.
La CEP juge également inappropriés les propos positifs tenus par l’ancien président de la BNS et M. Maurer en décembre sur Credit Suisse alors qu’ils connaissaient la situation critique de la banque.

Passage de témoin
Le passage de témoin à la tête du département ne s’est pas déroulé de manière optimale: il n’y a pas eu de véritable transmission du dossier. Ueli Maurer et Karin Keller-Sutter se sont rencontrés le 19 décembre. La future cheffe du département a reçu de brèves informations orales sur la situation de Credit Suisse, qui a été décrite comme stable.
Peu avant Noël et entre les fêtes de fin d’année, les deux conseillers fédéraux se sont entretenus par téléphone. Le chef sortant a répété que la situation était stable, alors que Credit Suisse avait annoncé être en difficulté pendant les fêtes.
«De l’avis de la CEP, l’ancien chef du DFF a manifestement sous-estimé l’importance de préparer à temps sa successeure dans un dossier à risque», indique le rapport.
Dès son arrivée à la tête du Département des finances, Mme Keller-Sutter a tenu le Conseil fédéral un peu plus souvent au courant de la situation de la banque aux deux voiles.

Ueli Maurer veut étudier le rapport
Ueli Maurer ne s’exprime pas sur le rapport pour l’instant. L’ancien élu souhaite d’abord examiner lui-même le rapport, a indiqué son parti à Keystone-ATS.
Dans une interview en février 2024, le Zurichois avait défendu sa décision de ne pas intervenir auprès de Credit Suisse fin 2022. Selon lui, un sauvetage par l’Etat était peu réaliste et une faillite du CS irréaliste. Il faisait référence aux fonds propres de la banque.

 

La présidente évoque les défis de l’enquête

La présidente de la Commission d’enquête parlementaire (CEP) Isabelle Chassot a évoqué les défis de l’enquête sur le rôle des autorités dans la crise de Credit Suisse. «Notre présentation ne peut pas remplacer la lecture de notre rapport», a-t-elle insisté.
La CEP a travaillé de manière très ouverte. Il n’était pas exclu que des minorités se forment: le rapport a été approuvé y a trois jours à l’unanimité, c’est félicité Isabelle Chassot vendredi devant les médias.
Rappelant les faits qui ont débouché sur la reprise le 19 mars 2023 de Credit Suisse par UBS, la conseillère aux Etats fribourgeoise du Centre a souligné que sans intervention du Conseil fédéral, «nous serions entrés dans une crise financière globale».
La CEP a été instituée en juin, la première après près de 30 ans. Elle s’est réunie pour la première fois en juin 2023. Dans les premières phases, il s’agissait de jeter les bases des travaux, puis de définir le concept d’enquête. Les auditions de 62 personnes ont suivi ainsi que l’examen de plus de 30’000 pages de documents.

Défis
L’envergure de l’enquête a constitué un défi de taille. Les bases juridiques pour une CEP n’avaient plus été appliquées depuis 30 ans: ces bases ont en outre été revisées, ce qui a nécessité un besoin d’interprétation.
Troisième défi, le temps; il a fallu des réunions presque chaque semaine, aussi pendant les sessions. La sécurité de l’information a également été une gageure, a déclaré Isabelle Chassot, en rappelant le devoir de discrétion de la CEP. Deux plaintes pénales ont été déposées pour des fuites. «Tout ce qui a été publié dans les journaux n’était pas des fuites», a dit la présidente. «Il s’agissait en partie de tentatives d’orienter le récit.»
A une exception près - le nouveau président du Conseil des Etats Andrea Caroni (PLR/AR) - l’ensemble de la CEP était présente vendredi devant les médias.Tous les groupes parlementaires étaient représentés au sein de la CEP.

A lire aussi...