Les taux longs US défient la Fed

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Un FOMC sans grande surprise

Comme la plupart des investisseurs, nous nous attendions à une baisse de taux suivie d’une communication mentionnant une pause et c’est exactement ce que Jerome Powell a délivré. Nous émettions des doutes à propos de ses explications concernant les dysfonctionnements du marché monétaire et le ton qu’il a employé, que l’on pourrait résumer par «circulez, il n’y a rien à voir», ne nous a pas rassurés mais pas étonnés non plus. Dans de telles circonstances, le meilleur baromètre est le niveau des taux longs. A la veille du FOMC, le 10 ans et le 30 ans valaient respectivement 1,85% et 2,35%; ils s’élevaient hier à 1,75% et 2,25% après avoir atteint vendredi 1,67% et 2,17%. 

Certes, l’euphorie des marchés actions (S&P 500 au-dessus de 3'065 points hier) a fourni l’occasion aux taux longs de se retendre légèrement mais le constat est édifiant : les marchés obligataires ne croient pas vraiment que la Fed pourra se permettre une pause dans sa politique de baisse de taux. Pourtant, si l’on consulte la page WIRP sur Bloomberg, le niveau actuel des Fed funds (1,50%-1,75%) pourrait ne plus bouger jusqu’en avril 2020. En effet, la probabilité que le statuquo monétaire soit privilégié lors du FOMC du 11 décembre s’élève à 89%. Elle diminue à 67% pour le FOMC du 29 janvier, puis 54% pour celui du 18 mars et 46% pour la réunion du 29 avril. Toutefois, il se pourrait que ces données ne reflètent pas tout à fait la réalité car les dysfonctionnements du marché repo pourraient biaiser les résultats. Le marché serait sans doute un peu plus dovish que ce que l’on peut estimer au premier abord. 

Une dernière baisse des taux de la Fed
n’est pas totalement exclue le 11 décembre.

Encore une fois, le comportement du 10 et 30 ans US nous incite à la prudence: lorsqu’une banque centrale annonce la fin d’une série de baisse de taux et que la réponse des taux longs est une détente de pratiquement vingt points de base, le signal est clair et net! Nous estimons qu’une dernière baisse n’est pas totalement exclue le 11 décembre. D’ici-là, la Fed devra sans doute trouver des arguments. Elle en aura deux à sa disposition : la croissance mondiale ne sera pas en meilleure posture en fin d’année, dominée par de mauvaises nouvelles provenant de Chine et d’Allemagne et les négociations sino-américaines concernant leur différend commercial n’auront sans doute pas avancé (malgré un éventuel succès concernant la phase n°1 d’un accord plus vaste difficile à faire avancer). 

Enfin, la Réserve fédérale ayant qualifié sa politique future de «data dependant», elle pourrait s’appuyer si besoin sur des données macroéconomiques moins flatteuses. Mais ce dernier point nous paraît très hypothétique. Le 11 décembre, c’est dans pratiquement un mois et la santé actuelle de l’économie domestique US est encore robuste, du moins suffisamment pour justifier un statuquo. Il faudrait donc assister à une brutale dégradation des données macroéconomiques outre-Atlantique dans les jours qui viennent, ce qui est hautement improbable. Dans cet environnement plus incertain, nous maintenons nos prévisions à 6-12 mois: Fed funds à 1%, 10 ans entre 1,3% et 1,4%, 30 ans aux alentours de 1,75% et breakeven d’inflation à 30 ans de retour vers 1,4%. Tout ceci dans l’hypothèse d’une absence de crise majeure sur le marché du repo…    

Nous ne pouvons pas imaginer que le marché monétaire
ait pu dérailler à ce point sans qu’il y ait un véritable problème.
Que se passe-t-il sur le repo?

D’après Jerome Powell, la situation est sous contrôle et la Fed a employé les ressources nécessaires pour un retour au calme. Nous sommes, comme tout le monde, soulagés par l’intervention énergique de la banque centrale pour enrayer un phénomène à portée potentiellement dramatique. Mais, n’étant pas nés de la dernière pluie, nous ne pouvons pas imaginer que le marché monétaire ait pu dérailler à ce point sans qu’il y ait un véritable problème. Bien entendu, le repo a commencé à s’emballer le jour où des drones ont attaqué des installations pétrolières saoudiennes. Au même moment, de grands corporates US devaient faire face à des échéances fiscales majeures et de grandes banques, très actives sur ce marché habituellement, s’abstenaient d’intervenir faute de réserves suffisantes (à l’origine du non-QE de la Fed). 

Des rumeurs ont également circulé, concernant des hedge funds à fort effet de levier contraints par des appels de marge, tout comme certains grands pays latino-américains, très engagés sur les marchés dérivés pour couvrir leur risque de change et de crédit. Nous n’avons pas la réponse à toutes ces questions. La vérité se trouve peut-être dans la somme de toutes ces hypothèses. Il ne s’agit pas de croire aux rumeurs, encore moins de les propager mais, en revanche, notre devoir est de rester vigilants. Il se passe quelque chose de sérieux sinon ce marché n’aurait pas déraillé d’une ampleur équivalente à celle que nous avions vécue au moment de la disparition de Lehman Brothers. La Fed baissera ses taux avant avril 2020: n’accordons pas trop de valeur à la page WIRP!

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